Chris Cornell 1962-2017
A la stupéfaction générale, le chanteur de Soundgarden s’est donné la mort le 17 mai, après un concert à Detroit.
Sur “Say Hello 2 Heaven”, il signait l’hommage le plus poignant qu’un homme pouvait délivrer à son ami disparu : c’était sur le projet Temple Of The Dog en 1991, qui révéla entre autres l’inconnu Eddie Vedder, futur Pearl Jam, pour saluer la mémoire d’Andrew Wood, chanteur de Mother Love Bone et icône glamour de l’underground de Seattle, à l’époque où l’on ne parlait pas encore du terme fourre-tout grunge. Qui aujourd’hui, à son tour, pourra chanter avec autant d’émotion la disparition de Chris Cornell ?
Le grand public pourra hausser un sourcil, reconnaissant vaguement le tube “Black Hole Sun”, raz-de-marée de l’année 1994 — deux ans après que les parisiens ont découvert Soundgarden en première partie des Guns N’Roses, il y a précisément vingt-cinq ans à Vincennes. Quatuor des bas-fonds de l’Etat de Washington, fondé en 1984 dans un alliage inédit de hard rock seventies qui mêle la lourdeur venimeuse de Black Sabbath à la grandeur épique de Led Zeppelin, tout en injectant la fièvre cathartique et l’énergie nihiliste du punk hardcore US, Soundgarden est devenu en quelques années l’un des géants de la scène rock internationale, grâce au colossal “Badmotorfinger” (1991) et au quintuple platine “Superunknown” (1994), portés par l’immense Chris Cornell, dès lors l’une des voix les plus phénoménales du rock. Les néophytes continueront à penser qu’il n’était qu’un gourou messianique de la scène de Seattle, punaisé comme un successeur de Kurt Cobain par une industrie avide d’icônes. Non, malgré un passé douloureux, une adolescence de junkie laissépour-compte et des démons sur les épaules, Chris Cornell n’était pas qu’une simple nouvelle star écorchée aux côtés des autres Eddie Vedder, Billy Corgan ou Trent Reznor de sa génération : s’il s’est maintenu dans les hautes sphères en tant que frontman d’Audioslave, supergroupe monté avec les musiciens de Rage Against The Machine, le chanteur a choisi de montrer sa facette la plus personnelle au cours d’une carrière solo parallèle moins vendeuse. Si son seul faux pas consiste à avoir tenté une expérience R&B électro produite par Timbaland (“Scream” en 2009), après avoir brillé le temps d’une chanson originale pour la franchise 007 (“You Know My Name” pour “Casino Royale”, 2006), ses disques dévoilent toute sa fragilité et son intégrité, tout en le voyant tutoyer des univers bien plus vastes que celui du hard rock incandescent des années Soundgarden. Funk, blues, rock et même soul émanent de son deuxième album “Carry On” (2007), notamment marqué par une reprise étonnante de “Billie Jean” de Michael Jackson. Son premier essai solo en 1999, “Euphoria Morning” (censé s’intituler “Euphoria Mourning”, nuance rejetée par le label) trahissait des inclinaisons dépressives lors d’un nouveau chapitre difficile de sa vie, tout en explorant des contrées aussi psychédéliques que folk, osant même une version française de son propre single “Can’t Change Me”, révélant ainsi son attachement à notre pays, lui qui avait d’ailleurs un temps choisi le 8ème arrondissement de Paris. C’est là qu’il avait acquis quelques parts dans un bar, le Black Calvados, où il se posait régulièrement, anonyme.
Tout
en ayant ressuscité Soundgarden avec ses camarades le temps de concerts mémorables (Hellfest 2014, brillant) et d’un album tout à fait digne (“King Animal”), il arpentait aussi des salles plus intimes pour des tours de chant strictement acoustiques, sa voix seule suffisant à provoquer des moments bouleversants. Sous antidépresseurs et après avoir semble-t-il dépassé la dose prescrite, Chris Cornell s’est ainsi ôté la vie en se pendant dans la salle de bain de sa chambre d’hôtel, à l’âge de cinquante-deux ans ce 17 mai 2017, une poignée d’heures après avoir donné un dernier concert à Detroit, où, lors du rappel, il avait entonné quelques mesures d’une de ses chansons fétiches, “In My Time Of Dying” de Led Zeppelin...