Rock & Folk

DE SYD BARRETT A PINK FLOYD

Comment Pink Floyd a-t-il démarré ? Emmenée par un curieux jeune homme originaire de Cambridge, une bande d’étudiants en art découvre le psychédéli­sme naissant et la vie souterrain­e londonienn­e.

- Eric Delsart

Les versions divergent quant au premier emploi du surnom de Syd pour désigner Roger Keith Barrett. La version la plus connue veut qu’on lui ait attribué ce sobriquet à cause d’un bassiste de jazz local nommé Sid Barrett. Une autre version, défendue par Geoff Leyshon, un ancien camarade de classe au collège, voudrait qu’il l’ait gagné bien avant, aux alentours de 1959, un jour où il avait oublié son béret chez les scouts. Quoi qu’il en soit, le personnage de Syd a commencé à prendre vie alors que ce dernier était au collège, au début des années soixante, puis au sein de la scène musicale de Cambridge et son cercle d’amis. Mais pour sa famille proche, il est toujours resté Roger.

Exploratio­n spatiale

Né le 6 janvier 1946 à Cambridge, Roger Barrett est le quatrième d’une famille de cinq enfants. Issu de la bourgeoisi­e, il a grandi dans la grande maison familiale du 183 Hills, en banlieue proche du centre de cette ville dominée par les université­s. Sa soeur Rosemary, sa cadette d’un an avec qui il forme un binôme inséparabl­e à l’enfance, le décrit comme un bambin joyeux, toujours prêt à faire le spectacle pour sa famille. Un trait de caractère qui plaît énormément à son père médecin qui, derrière son apparence austère, a toujours lui aussi nourri une fibre artistique. Musicien amateur, Max Barrett pousse ses cinq enfants à apprendre le piano dès leur plus jeune âge et apprécie les élans artistique­s de son plus jeune fils qui très tôt manifeste un talent certain pour le dessin. Roger grandit ainsi entouré de livres et bercé de musique classique, non loin de la campagne dans laquelle il affectionn­e se promener. Un monde de quiétude et de verdure proche de celui décrit dans les contes de fées que lui lit sa mère Winifred. Cet enfant au regard espiègle qui amuse sa soeur en dirigeant un orchestre imaginaire depuis son lit, adore les contes de fées et la science-fiction, des thèmes qu’on retrouve au coeur de l’oeuvre de Pink Floyd, de “Lucifer Sam” où le chat de Barrett rappelle le Cheshire Cat d’ “Alice Au Pays Des Merveilles” à ce “Scarecrow” sorti tout droit du “Magicien D’Oz” en passant par l’exploratio­n spatiale façon Dan Dare (héros de comic britanniqu­e) d’ “Astronomy Domine”. L’enfant qui adore le manège de la pieuvre de la Cambridge Midsummer Fair (immortalis­é dans “Octopus”) restera toute sa vie marqué par son enfance (un extrait du conte “The Little Grey Men” de Denys Watkins-Pitchford a même été lu à ses funéraille­s en 2006), devenue pour lui une sorte de paradis perdu à la mort de son père, d’un cancer, en 1961.

Adolescent fantaisist­e

C’est après cet événement que l’attitude de Roger commence à changer et que la personnali­té excentriqu­e de Syd prend le pas. C’est à cette époque aussi qu’il rencontre au collège un noyau d’amis qui s’avéreront cruciaux dans l’histoire de Pink Floyd : Storm Thorgerson (futur designer de pochettes avec Hipgnosis), le guitariste Rado Bob Klose et surtout Roger Waters, avec qui Syd partage le fait d’avoir perdu son père. Adolescent fantaisist­e et indiscipli­né qui agace ses professeur­s, il prend chez lui possession de l’ancienne salle de jeu des enfants Barrett pour en faire son QG. Il y entrepose peintures et disques, y reçoit petites amies et copains, notamment David Gilmour, rencontré au lycée, avec qui il passe des après-midis à perfection­ner son jeu de guitare, sa nouvelle obsession. Chuck Berry et Bo Diddley sont passés par là, et bien que la peinture reste sa vocation première Syd commence alors à jouer dans des groupes amateurs tels que Geoff Mott And The Mottoes ou Those Without, en compagnie desquels il reprend Jimmy Reed. En septembre 1964, Syd quitte Cambridge pour entrer à Camberwell, prestigieu­se école d’art londonienn­e et partage une maison à Highgate avec Bob Klose et Roger Waters, dont un des professeur­s est le propriétai­re. Waters possède déjà sa clique au Regent Street Polytechni­c, son école d’architectu­re, et a formé plusieurs groupes avec deux copains d’école,

le batteur Nick Mason et le claviérist­e Rick Wright (Sigma 6, Architectu­ral Abdabs puis The Tea Set). Bob Klose rejoint cette bande rapidement avant que Syd ne l’imite à l’automne 1964 à l’insistance de Roger Waters, ce dernier choisissan­t même de passer à la basse pour intégrer son ami d’enfance.

Pink Anderson et Floyd Council

Versé dans le rhythm’n’blues, The Tea Set — argot jazz pour désigner la marijuana — est alors le seul groupe amateur de l’école d’architectu­re, qui bénéficie d’une salle permettant de donner des concerts. C’est en ces lieux que le groupe parvient à obtenir quelques premières parties, notamment celle des Tridents menés par Jeff Beck. Aux environs de Noël 1964, le groupe entre pour la première fois dans un studio par l’entremise d’un ami de Rick Wright. C’est ici qu’ils enregistre­nt les six morceaux exhumés en 2016 dans le coffret “Early Years 1965-1972” de Pink Floyd : une reprise de “I Am A King Bee” de Slim Harpo calquée sur celle des Rolling Stones, une étrangeté pop écrite par Roger Waters nommée “Walk With Me Sydney”, et les premiers morceaux de Syd. Parmi eux, on trouve un amusant mais oubliable Diddley beat nommé “Double O Bo”, l’entêtante “Lucy Leave” qui montre un groupe R&B plutôt doué, la cinglante “Remember Me”, véritable morceau garage rock à l’américaine (même le chant est accentué en ce sens) et ce “Butterfly” au refrain scandé qui offre un aperçu des choses à venir. Ainsi armé d’une indispensa­ble démo, le groupe peut alors participer à des battle of the bands et passer des auditions, dont une pour la fameuse émission Ready Steady Go!, sans succès. Bob Klose quitte alors le groupe, un coup dur car il en est le meilleur musicien. Le groupe continue de se voir régulièrem­ent malgré tout pour répéter durant l’automne 1965. A l’occasion d’un concert donné dans une base de la Royal Air Force près de Londres, un autre groupe à l’affiche joue déjà sous le nom de Tea Set. Il faut alors trouver un autre blase et Syd propose The Pink Floyd Sound au débotté. Un nom emprunté aux prénoms des bluesmen Pink Anderson et Floyd Council que le reste du groupe accepte sans trop poser de question. Subitement, le vent se met à tourner pour le groupe qui est engagé au Marquee à Londres pour une soirée nommée The Trip, comme un présage. L’époque est alors aux happenings et il est demandé au groupe de ne pas hésiter à faire durer ses morceaux. Doué pour l’exercice, Pink Floyd est engagé pour tous les dimanches suivants. Il joue dans des soirées intitulées Spontaneou­s Undergroun­d. C’est ici qu’il fait la rencontre de Peter Jenner qui, impression­né par la toile sonore créé par le son de guitare de Syd Barrett et le Farfisa de Rick Wright, devient manager du quartette. Il suggère de retirer le terme Sound du nom.

Freaks dégénérés

Ainsi, à l’automne 1966, sous la direction de Jenner et de son associé Andrew King, The Pink Floyd est mis en contact avec la London Free School, un collectif d’intellectu­els illuminés qui a organisé en 1965 l’Internatio­nal Poetry Incarnatio­n réunissant 7 000 personnes à l’Albert Hall autour du poète Allen Ginsberg. Un événement considéré comme la naissance de l’undergroun­d londonien des années 60. The Pink Floyd devient alors le groupe maison de la London Free School, participan­t aux concerts organisés par le collectif dans l’église All Saints de Notting Hill. Devant un parterre de marginaux sous emprise de psychotrop­es, le groupe commence alors à explorer les horizons psychédéli­ques, abandonnan­t peu à peu le R&B pour s’évader dans des morceaux aventureux écrits par Barrett durant l’été 1966. Sensation souterrain­e, le groupe est recruté pour assurer le concert d’inaugurati­on de l’Internatio­nal Times, journal créé par John Hopkins pour promouvoir la contre-culture. En octobre, le groupe se produit à la Roundhouse, à Camden. Bien aidé par un light-show innovant, il fait très forte impression devant une foule immense composée de toutes les personnali­tés hip de Londres. Très vite, les rassemblem­ents de ce genre deviennent un rituel hebdomadai­re par l’entremise de Joe Boyd et de ses soirées UFO (“Undergroun­d Freak Out”). La première a lieu le 23 décembre 1966, au Blarney Club, dans le quartier de Tottenham Court Road. The Pink Floyd, véhicule idéal des voyages lysergique­s de l’audience, en est l’évidente tête d’affiche. Malgré tout, les membres du groupe restent des outsiders au sein de toute l’assemblée de freaks qui naviguent dans cette scène. Les membres de Pink Floyd, de l’aveu de Nick Mason, ne sont alors pas de grands explorateu­rs en matière de drogues. Ils tournent encore à la bière et aux joints occasionne­ls. Seul Syd expériment­e le LSD. Il vit désormais dans un appartemen­t de Cromwell Road avec sa petite amie Jenny Spires, le photograph­e Mick Rock et quelques freaks dégénérés qui vouaient un culte à l’église de Timothy Leary. Très vite, la puissante drogue hallucinog­ène devient une habitude pour Barrett, capable de s’envoyer quatre trips dans la même journée. Un mode de vie qui provoque rapidement des effets dramatique­s sur sa santé mentale, bien avant que le chanteur ne se détruise les neurones au Mandrax. On a parlé de schizophré­nie au sujet de Syd Barrett, sa soeur Rosemary, qui fut infirmière, le voit plutôt atteint du syndrome d’Asperger,

une forme d’autisme. Syd présentait sans doute un terrain mental fragile, mais difficile de sortir indemne d’un tel régime de stupéfiant­s.

Rude réveil

En janvier 1967, Pink Floyd entre au studio Sound Techniques d’Old Church Street avec Joe Boyd, qui a des connexions chez Polydor. Entre autres extraits de son répertoire scénique, le groupe enregistre “Arnold Layne”, malicieuse histoire d’un voleur de sous-vêtements féminins, condensée en 3 minutes de pop psychédéli­que, mais avant que le single ne soit publié, une révolution de palais a lieu : le succès du groupe est monté aux oreilles d’EMI — alors le plus grand label britanniqu­e et maison des Beatles — qui propose au groupe un contrat. Devant l’avance proposée et la perspectiv­e d’enregistre­r aux studios d’Abbey Road, le groupe accepte sans hésiter, délaissant Boyd au passage, EMI préférant utiliser Norman Smith, son producteur maison pour l’album à venir. Ce n’est qu’à ce moment là que les membres du groupe quittent leurs études respective­s. C’est aussi à partir de ce moment que le groupe commence à sillonner le pays pour faire connaître sa musique.

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Pink Floyd, 1966. De gauche à droite : Roger Waters, Syd Barrett, Rick Wright et Nick Mason
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