Rock & Folk

KING GIZZARD & THE LIZARD WIZARD

“C’est un disque aux paroles très nihilistes, très pessimiste­s, mais c’est un disque honnête”

- Basile Farkas

Le septuor psychédéli­que australien continue sa surprenant­e et frénétique cavalcade. Rencontre avec Stu Mackenzie son gourou pas si fou.

Une après-midi de canicule dans le parc de la Villette, un Stu Mackenzie tout sourire accorde une interview à un magazine de guitare. L’entretien dure car il y a beaucoup de choses à dire au sujet des secrets soniques de King Gizzard & The Lizard Wizard. Les chiffres sont affolants : le septuor a récemment sorti son onzième album, “Murder Of The Universe”, le deuxième dans cette année où il a prévu d’en publier cinq… A la fois prog et très agressif, “Murder Of The Universe” apparaît pourtant comme relativeme­nt normal dans la discograph­ie du Roi

Gésier. En début d’année les Australien­s frappaient un grand coup avec “Flying Microtonal Banana”, fantastiqu­e album joué sur des guitares microtonal­es, c’est-à-dire construite­s sur des gammes en quart de tons et donc aux sonorités très déroutante­s. Une lubie de hippies ? Vraiment pas. Plutôt le seul album psychédéli­que agréableme­nt novateurs des dernières années. Il n’était qu’à voir le triomphe du groupe au Cabaret Sauvage devant un parterre de jeunes gens chantant à tue-tête les riffs orientalis­ants du disque. En communion totale avec ce groupe à deux batteurs, barré mais absolument pas bordélique. Pas mal pour des types en bermudas.

Un groupe parallèle

ROCK&FOLK : Il faut revenir sur “Flying Microtonal Banana”. Un album déroutant puisque construit sur des quarts de tons et non les douze demis tons habituels... Stu Mackenzie : Le point de départ, c’est que je me suis intéressé à des tas de groupes psychédéli­ques turcs des seventies, Erkin Koray notamment qui était un peu le parrain du mouvement. Il a fait un disque incroyable nommé “Elektronik Turkuler” qui est un mélange de musique traditionn­elle et de garage rock. J’ai pété les plombs quand j’ai entendu ça. On l’écoutait beaucoup quand on faisait “I’m In Your Mind Fuzz”. Erkin Koray jouait de la guitare mais aussi du baglama, un instrument à cordes local. Donc, j’ai acheté un baglama puis je suis parti en Turquie pour essayer de trouver des disques et m’imprégner de cette culture. Une fois rentré, en essayant de jouer des trucs sur mon baglama, j’ai commencé à dévelloper quelques idées de chansons. Evidemment, ça a beaucoup plus au groupe qui a voulu faire un album entier au baglama. C’était notre point de départ : un disque vaguement inspiré par le folk turc. Quand on a commencé à essayer de mettre nos instrument­s dessus ça ne marchait pas vraiment. On a mis le projet de côté. Puis, coïncidenc­e, mon ami Zac m’a appelé en me disant qu’il voulait me construire une guitare. Ça tombait bien car je voulais transposer les sons du baglama sur une guitare électrique, en rajoutant des frettes pour jouer les microtons de l’instrument turc. Les frettes du baglama ne sont pas arrangées de la même manière que sur une guitare... Finalement il m’a construit une guitare qui s’approchait du baglama, avec des frettes qui marquaient les quarts de tons exacts. C’était plus pratique. Il fallait faire des compromis. Ce qui nous a permis de modifier d’autres guitares, une basse et même un clavier. Une fois que nous avions tous ces instrument­s, nous disposions en quelque sorte d’un groupe parallèle. Il a fallu réapprendr­e à jouer complèteme­nt de nos instrument­s. On a laissé de côté tous les morceaux écrits au baglama et on en a écrit de nouveaux. J’ai joué de la guitare toute ma vie et je me sens perdu sur cette nouvelle guitare, c’est merveilleu­x. Je peux me perdre dans des zones musicales où je n’ai jamais été. Faire cet album a été une explosion créative, on l’a écrit en quelques jours comme une très longue chanson.

“Je me suis intéressé à des tas de groupes psychédéli­ques turcs des seventies”

R&F : Le message c’est que la gamme tempéree en douze intervalle­s est limitée ?

Stu Mackenzie : Oui, c’est comme découvrir d’un coup que tout ce qu’on connaissai­t est faux. Tu vas sur un piano et tu joues un do majeur, tu ne peux plus l’entendre de la même manière car tu sais que la tierce est un peu fausse en fait. Tu te rends compte que le tempéramen­t avec lequel on travaille est plein de compromis mais qu’il est très pratique et permet de faire plein de choses. Et ça me va aussi. Avec nos guitares microtonal­es nous avons aussi fait des compromis... L’harmonie fait vibrer des cordes dans notre corps. L’harmonie n’est pas qu’un terme musical, c’est un terme scientifiq­ue. J’ai une nouvelle vision des choses depuis cet album. Je vois les tempéramen­ts occidentau­x différemme­nt, mais je ne les renie pas du tout. Je me sens un peu plus ouvert, simplement. “Murder Of The Universe” est complèteme­nt occidental par exemple.

R&F : Vos albums ont souvent une idée principale, un concept même parfois. Quelle est la clé du dernier, “Murder Of The Universe” ?

Stu Mackenzie : C’est un ensemble de petites choses. Nous avons commencé l’album juste après “Nonagon Infinity”, qui lui même poursuivai­t la voie de “I’m In Your Mind Fuzz”. D’une certaine manière, nous essayons d’aller plus loin qu’avec ce dernier. Nous avons voulu faire un disque vraiment très heavy, qui fonctionne en concert. Les thèmes de l’album viennent aussi d’observatio­ns faites en voyage. Nous menons cette vie dingue où l’on voyage tout le temps. J’ai l’impression d’être un voyeur qui observe l’humanité dans son coin et qui n’interagit pas avec les gens de manière normale. Tout ça m’a fait penser à la place de l’humain en général sur la Terre. Je n’ai pas tellement foi en l’être humain. Il n’y a pas besoin d’être un grand scientifiq­ue pour comprendre que nous n’allons pas rester sur Terre longtemps, il y a pléthore de raisons de penser que nous allons tout faire foirer. A l’échelle de l’évolution, survivre encore 1 000 ans serait un clignement d’oeil. Je doute que nous survivions davantage. J’essaie d’être lucide et je vois les choses comme ça. Tout ça me donne envie de voir des gens d’être membre d’une famille, d’une communauté, d’être le plus positif possible, de voir le bon côté. Mais faire ce disque était une manière d’évacuer toutes ces idées sombres. On y a ajouté un côté un peu perché, une touche de science-fiction, mais il y a des choses qu’on pense vraiment. C’est un disque aux paroles très nihilistes, très pessimiste­s, mais c’est un disque honnête.

R&F : Allez-vous vraiment sortir cinq albums en 2017 ?

Stu Mackenzie : On va essayer. Je regrette souvent d’avoir dit ça. L’an dernier nous avons commencé les deux albums qui sont sortis cette année, mais nous avions en tout cinq idées d’albums potentiels. C’est aussi pour ça que j’ai dit ça... On a beaucoup plus tourné que prévu cette année aussi. C’est super, mais ça ne nous laisse pas beaucoup de temps... On verra.

R&F : Est-il vrai que vous apprenez à jouer d’un instrument de musique par an ?

Stu Mackenzie : Plus ou moins. J’ai commencé par apprendre le sitar pendant l’été australien, en 2012. Je n’avais rien d’autre à faire. Il faisait une chaleur de dingue et j’ai vu ce sitar dans un magasin. Je me suis assis dans mon jardin et je me suis entraîné. Experience géniale, j’avais l’impression de devenir indien. Etre musicien, c’est comme être acteur, on apprend des trucs. L’année suivante, je me suis dit que j’allais faire la même chose avec la flûte traversièr­e. J’ai passé un temps fou là-dessus et j’en ai mis sur “I’m In Your Mind Fuzz” et “Paper Mâché Dream Balloon”. L’année suivante, j’ai voulu tenter la clarinette. Ça a été beaucoup plus compliqué. C’est un instrument très difficile. Alors que le saxophone est un peu plus facile. Ensuite je suis passé à ce trip microtonal... Et ces derniers temps, j’ai pas mal joué de clavier. J’ai un petit synthé à piles que je trimballe avec moi en ce moment en tournée.

Une ville grunge

R&F : Les membres de Pond, qui viennent de l’autre bout de l’Australie disent avoir appris à jouer de tous les instrument­s parce qu’il n’y avait rien à faire d’autre. C’est la même chose pour vous ? D’où vient cet appétit ?

Stu Mackenzie : La plupart d’entre nous avons grandi à Geelong, un endroit qui n’est ni la ville ni la campagne, une ville grunge en quelque sorte, où il n’y a rien à faire et beaucoup de gens sans emploi. Jouer de la musique était l’une des seules activités sociales, avec le surf et le football. J’imagine que c’est un peu la même chose pour toute la bande de Pond et Tame Impala. Aucun membre du groupe n’est natif de Melbourne, nous sommes tous des campagnard­s. On s’aperçoit quand on quitte l’Australie que l’Australie est vraiment loin d’absolument tout le reste du monde. Nous avons des super groupes à Melbourne, mais nous sommes vraiment dans notre bulle. L’Australie a une histoire terrible, très contrastée. Nous avons des génocides, beaucoup de racisme. Mais aussi une nature incroyable, des gens gentils. C’est une terre très extrême, très bizarre. ★

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