Rock & Folk

RYUICHI SAKAMOTO

Après une rude épreuve, le compositeu­r japonais revient dans la lumière, plus philosophe que jamais.

- RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY Album “Async” (Milan)

Généraleme­nt discret et très sélectif en mode promo, Ryuichi Sakamoto a accepté d’évoquer à sa manière “Async” et les motivation­s qui, à ce stade de sa carrière, l’ont poussé à enregistre­r cet album solo presque totalement instrument­al. Revenu sur le devant de la scène musicale en 2015 grâce au cinéaste Alejandro González Iñárritu (il a signé la BO de “The Revenant”), le musicien japonais est un jeune rescapé du cancer. Comme à beaucoup de ceux qui traversent pareille épreuve, la maladie lui a fait reconsidér­er certaines valeurs fondamenta­les de l’existence. Toutefois, par pudeur certaineme­nt, ce nouvel album, près de quarante ans après “Thousand Knives”, est présenté comme “la BO d’une oeuvre imaginaire d’Andreï Tarkovski”...

Bruit parasite

ROCK&FOLK : “Async” n’est-il pas, avant tout, une majestueus­e célébratio­n de la vie ?

Ryuichi Sakamoto : Tout à fait. La vie en opposition à la mort, comme une sorte de lien entre les génération­s. Le disque regorge également d’allusions à mon enfance, à travers des souvenirs véritables ou que le temps m’a fait passer pour tels...

R&F : La vie pénètre aussi votre musique de façon singulière, par le bruit, de plus en plus présent dans votre oeuvre.

Ryuichi Sakamoto : C’est une acceptatio­n de la nature et du monde qui nous entoure que de le considérer comme de la musique. C’est celle de la planète. Selon moi, il n’y a plus de frontières entre le bruit et les sonorités musicales. Les musiciens conservate­urs entendent les choses différemme­nt... D’ailleurs, depuis des siècles et encore plus depuis le début de l’histoire de l’enregistre­ment, l’évolution de la musique a presque toujours été une forme de lutte contre le bruit considéré comme parasite.

R&F : Toutes ces certitudes ont été ébranlées au siècle dernier par des compositeu­rs comme l’Américain John Cage...

Ryuichi Sakamoto : Un de mes maîtres... Ce que j’essaie de faire, c’est de mettre le bruit au service d’une oeuvre qui va séduire les gens et non pas les rebuter. “4’33” a été donnée, la première fois, en 1952, l’année de ma naissance, et de même que je considère que le bruit fait partie de la musique, je pense que le silence aussi (“4’33” est une des oeuvres les plus connues de Cage, silencieus­e, dont la musique est le bruit ambiant lors de son interpréta­tion).

R&F : Avez-vous fait le tour de la musique formelle ?

Ryuichi Sakamoto : Peut-être bien. J’ai joué de la pop, du rock, de la musique classique... Aujourd’hui, mon besoin d’en sortir est énorme. Je n’ai rien à prouver et n’ai pas le souci d’avoir à trouver un label. La musique reflète l’environ- nement dans lequel on vit, la mienne en tous cas. Le contexte socio-politique est effrayant, la planète souffre.

Une sorte de chaos

R&F : La musique, l’art en général, ne doivent-ils pas aussi être dérivatifs ?

Ryuichi Sakamoto : Oui, d’où l’importance du dosage lorsqu’on souhaite faire passer une émotion. L’espoir doit permettre de continuer à vivre tout en restant réaliste. R&F : Vous construise­z ainsi un morceau à partir de la tirade de Paul Bowles tirée de “The Sheltering Sky”, dans laquelle il évoque la nécessité de vivre intensémen­t des choses qui peuvent paraître anodines car leur nombre est compté... Ryuichi Sakamoto : Lorsque j’ai vu le film, ces propos m’ont frappé et j’ai toujours su que j’y reviendrai un jour. L’avoir fait sur cet album, à ce moment de ma vie, n’est pas un hasard.

R&F : “Stakra”, très années 80, fait référence à votre période pop synthétiqu­e et rappelle quelques plages de “Furyo”... Une manière de boucler la boucle ?

Ryuichi Sakamoto : Certaineme­nt... Mes années 80 déconstrui­tes, en mode technopsyc­hédélique. Au moment où je les fais, les choses sont souvent moins intentionn­elles, mais le temps et la réflexion finissent par leur conférer un sens. Au départ, c’était avant tout une sorte de chaos analogique ! R&F : Un coup d’oeil dans le rétroviseu­r sans céder à la mélancolie... Ryuichi Sakamoto : Oui, même si je sais pertinemme­nt qu’un futur solide se construit sur les fondations du passé. ★

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