Rock & Folk

DISCOGRAPH­IE STAX

Même si les labels Stax et Volt furent longtemps préoccupés par les singles (à ce titre, les coffrets “Complete Stax/ Volt Singles” restent indispensa­bles), la maison de Memphis a tout de même sorti une belle flopée de très grands albums. Sélection très e

- Nicolas Ungemuth

BOOKER T & THE M.G.’S “Green Onions” (1962)

Dès les premières mesures de “Green Onions”, on comprend que les Mods anglais aient été instantané­ment tétanisés en découvrant cet hymne ultra sharp. Le grand manifeste modernist est enchâssé dans ces deux minutes et quarante-cinq secondes et est parfaiteme­nt souligné dans le film “Quadrophen­ia” comme sur sa BO. L’orgue, la guitare tranchante de Cropper découpant le silence comme un sabre électrique, le groove phénoménal : voici les tables de la loi. Le reste de l’album aligne des reprises instrument­ales de tubes de l’époque mais brille éternellem­ent par un sens de la retenue d’une classe absolue.

RUFUS THOMAS “Walking The Dog” (1964)

C’est en assistant à la séance d’enregistre­ment ahurissant­e d’efficacité et de rapidité que Jerry Wexler, l’homme d’Atlantic, réalisa le potentiel et le génie de la maison Stax. Il faut dire que Thomas, légende cabotine de Memphis qui avait déjà servi pour le label Sun de son ami Sam Phillips, envoyait alors avec une spontanéit­é confondant­e une soul crue à mille lieues de ce qui se pratiquait alors chez Motown. Les versions de “Ooh-Poo-Pah-Doo”, “Land Of 1 000 Dances” ou du “Boom Boom” de John Lee Hooker envoyaient le bois de la vraie croix, et comme chacun le sait, les jeunes Rolling Stones ne restèrent pas insensible­s au charme brutal du morceau enregistré durant la séance en question.

OTIS REDDING “Otis Blue/Otis Redding Sings Soul” (1965)

Le troisième long player de la légende est aussi le premier à sonner véritablem­ent comme un album et non comme un assemblage de bricoles. Sur cette merveille, Otis chante pas moins de trois classiques de son héros Sam Cooke, qu’il revisite avec génie (voir sa version de “A Change Is Gonna Come”), avant de s’attaquer aux Rolling Stones, qui restèrent médusés devant son dynamitage en bonne et due règle de “(I Can’t Get No) Satisfacti­on”. Et comme si tout cela ne suffisait pas, “Respect” et “I’ve Been Loving You Too Long” (repris par Jagger et ses troupes) achèvent de défoncer l’auditeur par KO.

SAM & DAVE “Hold On, I’m Comin’ ” (1966)

Historique­ment, ils furent d’abord signés chez Atlantic, qui les imposa à Stax, qui ne s’en plaint pas (ce qui leur coûta leur carrière lorsque Atlantic les récupéra après s’être séparé de Stax). Et ils furent, d’ailleurs, les seuls poulains de Stax capables de rivaliser en violence et brutalité avec les champions d’Atlantic comme Wilson Pickett (qui fut, techniquem­ent au moins un moment, un artiste St axpuisqu’ enregistra­nt chez Stax avec le groupe maison des compositio­ns écrites par le staff de Stax). Sam & Dave, avec leur trilbies impeccable­s, assuraient comme des bêtes, et le duo de songwriter­s Isaac Hayes/ David Porter les traita bien en leur écrivant “Hold On, I’m Comin’” pour ce premier album délirant (“I Take What I Want”, “Ease Me”, “You Don’t Know Ike I Know”, etc.).

OTIS REDDING “The Soul Album” (1966)

Après le choc de “Otis Blue”, Redding atteint le sommet de sa carrière avec “The Soul Album”, qui contient probableme­nt les choses les plus belles qu’il ait jamais enregistré­es : “Just One More Day”, “Cigarettes And Coffee”. Il réinvente ici la musique noire américaine, au même titre que son idole Sam Cooke (dont il reprend encore un titre avec “Chain Gang”) l’avait fait avant lui. Ailleurs, “Nobody Knows You

Les jeunes Rolling Stones ne restèrent pas insensible­s au charme brutal du morceau

(When You’re Down And Out)”, “Good To Me”, “Scratch My Back” ou “634-5789” enfoncent le clou : la soul ne sera plus jamais la même.

CARLA THOMAS “Comfort Me” (1966)

Petite merveille de soul sudiste flirtant parfois avec la pop (“What The World Needs Now”, de Bacharach), “Comfort Me” est le premier grand album de la fille de Rufus. Le disque bénéficie de plusieurs compositio­ns signées Cropper ou Hayes, ce qui ne l’empêche pas de reprendre un titre Motown. La miss allait plus tard signer un album légendaire avec Otis Redding, “King & Queen”, avant d’être sacrée définitive­ment “Memphis Queen” en 1969.

THE MAR-KEYS “The Great Memphis Sound” (1966)

La colonne vertébrale du son Stax captée sur un album entier. Voici en effet,

le son de Memphis sur cet album d’instrument­aux incisifs envoyé par le groupe mythiqueme­nt funky composé par Steve Cropper, Duck Dunn, Isaac Hayes, Al Jackson, Wayne Jackson (trompette), Andrew Love (sax) et Gene Parker (sax). A l’époque, pour trouver des gens jouant aussi bien, deux uniques solutions : Muscle Shoals ou New Orleans...

THE BAR-KAYS “Soul Finger” (1967)

Collectif de musiciens super doués pensés comme des petits frères des Mar-Keys (Steve Cropper, Duck Dunn, etc.) à qui ils étaient un peu ce que les Stooges étaient aux MC5, les Bar-Kays, chaperonné­s pas Booker T et Al Jackson devaient cartonner en 1967 avec leur instrument­al furieux “Soul Finger”. Le groupe, décimé dans l’accident d’avion qui coûta la vie à Otis Redding, devait se reformer avec de nouvelles recrues et briller longuement en compagnie d’Isaac Hayes. Sur ce premier album, il s’agit bien de la formation vintage qui envoie onze instrument­aux à la sobriété et au dénuement grandioses.

WILLIAM BELL “The Soul Of A Bell” (1967)

L’un des plus grands albums sortis de chez Stax, un monument d’équilibre : sur la première face, William Bell s’impose comme l’un des plus grands chanteurs du genre deep soul, maîtrisant à la perfection l’art de la grande ballade. Sur la face B, le tempo s’accélère et les chansons lorgnent du côté de Detroit, même si rien n’y fait : l’esprit de Memphis lui colle à la peau. Grand chanteur, Bell bénéficiai­t également d’un répertoire de premier ordre avec des chansons signées Isaac Hayes, Dan Penn et Chips Moman ou Jerry Butler. Bell lui-même n’étant pas précisémen­t un manchot dans le genre (voir son propre “You Don’t Miss Your Water”).

SAM & DAVE “Soul Men” (1967)

Un an après “Hold On, I’m Comin’ ”, Sam et Dave ne touchent plus terre. Isaac Hayes et David Porter se sont surpassés et ont écrit l’hymne ultime : “Soul Man” est un crochet dans les tempes. Et le reste du disque est à l’avenant, envoyant directs et uppercuts à chaque round : “Just Keep Holding On”, “Hold It Baby”,

“Rich Kind Of Poverty”, “Don’t Knock It”, n’en jetez plus... Gilbert Bécaud est à la fête (“Let It Be Me”), et notre Jean-Pierre Leloir national signe la photo de couverture. Chic.

EDDIE FLOYD “Knock On Wood” (1967)

C’est durant cette grande année soul qu’apparut Eddie Floyd, venu rappeler que le Summer of Love psychédéli­que n’était bon que pour les femmelette­s. Le temps d’un premier album stupéfiant et d’un tube en or massif (“Knock On Wood”, qu’il a coécrit avec Steve Cropper), Floyd rivalisa avec les plus grands, et il faut dire que son album enchaîne tuerie sur tuerie, tandis qu’autour de lui, Steve Cropper, Al Jackson, Isaac Hayes, Booker T, Duck Dunn et Wayne Jackson s’en donnent à coeur joie le temps de mettre en boîte ce monument. Classique.

BOOKER T. & THE MG’S “Hip Hug-Her” (1967)

Cinq ans après le séisme de “Green Onions”, Booker T et ses MG’s affichaien­t encore une forme insolente. Sur cet album à la pochette mythique, le groupe chauffe à blanc une soul sudiste à l’instrument­ation saignante. Cropper, Dunn, Jackson et les autres lèvent un peu le pied sur les versions de tubes à la mode et se mettent à composer des trucs brûlants comme “Carnaby St.”, “Booker’s Nation”, “Double Or Nothing” ou l’imparable “Soul Sanction”. Admirable ! ALBERT KING “Born Under A Bad Sign” (1967) Avant de signer chez Stax, Albert King végétait en pratiquant un blues certes digne mais rarement surprenant. Lorsqu’il rejoint le label en 1966 et qu’on le met dans une pièce avec Cropper, Dunn & Co, les étincelles fusent et le guitariste enregistre fissa plusieurs morceaux et singles qui, une fois assemblés, donneront ce qui restera considéré pour l’éternité comme son plus grand. Blues, soul voire franchemen­t funky, un nouveau genre est inventé au 926 E. McLemore Avenue (même si John Lee Hooker, qui enregistra le très correct “That’s Where It’s At” pour Stax, resta, lui, fidèle à son style primitif).

JOHNNIE TAYLOR “Who’s Making Love...” (1968)

Après avoir sorti un premier album très correct chez Stax en 1967 (“Wanted : One Soul Singer”), Johnnie Taylor touche le jackpot un an plus tard avec un album porté par un tube aussi furieux que le meilleur de James Brown, Sam & Dave ou Wilson Pickett. Le single, funky à souhait, encombre les radios, le public se rue sur le 33 tours qui est également excellent, bien que montrant un net penchant pour le blues, sur toute sa longueur. Stax prouvait qu’après les sommets vertigineu­x atteints en 1967, il y avait encore de quoi s’amuser.

THE MAD LADS “The Mad, Mad, Mad, Mad, Mad, Lads” (1969)

L’une des plus grandes incongruit­és de Stax/ Volt : les Mad Lads étaient un groupe vocal fortement influencé par le doo-wop, qui sonnait presque comme du Philly avant l’heure, voire au genre subtil lancé par les Impression­s. Mais on ne se défait pas du Sud aussi facilement, et leurs morceaux délicats, très différents de ce à quoi le label avait habitué ne sombrent jamais dans la mièvrerie ni les dégoulinad­es. Superbe.

ISAAC HAYES “Hot Buttered Soul” (1969)

Mais que lui a-t-il pris, à lui, compositeu­r génial de dizaines de tubes pour Stax, chefsd’oeuvre de concision et de sobriété lorsqu’il s’est lancé dans sa “chaude soul beurrée” ?! Un album comprenant quatre morceaux dont trois écrits par d’autres — un comble pour ce songwriter brillant — s’ouvrant par une reprise sous Tranxene du “Walk On By” de Bacharach durant douze minutes, et se clôturant avec une version de dix-huit minutes du classique de Jim Webb “By The Time I Get To Phoenix” introduite par un monologue parlé qui en compte plus de huit... L’idée était osée, mais payante : cette extravagan­ce ultra-suave s’est vendue à plus de huit millions d’unités l’année de sa sortie. Compliqué à réécouter mais historique.

ISAAC HAYES “Shaft” (1971)

Après trois albums fonctionna­nt de manière similaire (de la soul reposant sur quelques morceaux ralentis et étirés au maximum), Isaac Hayes serre tous les boulons et montre au monde entier quel compositeu­r, mais surtout, quel arrangeur il est. Que dire de cette BO géniale, sans doute l’une des plus grandes de toute l’histoire du cinéma ? Que dire du morceau éponyme, féerie à l’efficacité monstrueus­e, de la musicalité des Bar-Keys qui, derrière, rugissent à plein régime ? Rien si ce n’est qu’on atteint ici la perfection absolue.

MELVIN VAN PEEBLES “Sweet Sweetback’s Baadasssss Song” (1971)

Sans être grandiose (contrairem­ent à “Shaft” ou “Superfly”), la B.O du film de Van Peebles a atteint un statut quasi légendaire : funky à souhait, composée par le réalisateu­r en personne, elle est exécutée par des Earth Wind & Fire débutants qui ne re-soulaient pas encore dans la confiture. Les cuivres sont excellents et l’ensemble lorgne davantage vers le jazz que les excursions cinématogr­aphiques d’Isaac, Marvin ou Curtis. Valable.

THE STAPLE SINGERS “Be Altitude : Respect Yourself” (1972)

Vieux routier de la musique (il était né dans la même plantation que Charley Patton), Pops Staple n’était pas exactement le perdreau de l’année lorsque son groupe familial cartonna en 1972 (sa fille Mavis avait également signé chez Stax un petit chefd’oeuvre en 1970, “Only For The Lonely”). Ces légendes du gospel et des droits civiques eurent la chance de se payer trois tubes issus de ce même album grandiose et funky, pas très loin (bien que plus sage) de ce que pratiquait Curtis à l’époque : “Respect Yourself”, “I’ll Take You There” et “This World”. Ce n’était que justice.

THE SWEET INSPIRATIO­NS “Estelle, Myrna and Sylvia” (1973)

En 1973, bien qu’amputées de Cissy Houston, la tante de Whitney, les choristes d’Elvis sont encore en grande forme. La maison Stax est en grande difficulté mais les filles assurent. Avec l’aide de David Porter, les cuivres des Memphis Horns et les cordes satinées du Memphis Symphony, Estelle Brown, Myrna Smith et Sylvia Shemwell enregistre­nt un grand album dramatique tout en ballades ultra lyriques et paroles au coeur brisé. Les influences gospel sont naturellem­ent omniprésen­tes.

En 1973, la maison Stax est en grande difficulté mais les filles assurent

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