Rock & Folk

ALGIERS

De retour, l’intense quartette d’Atlanta tente de résoudre cette équation jamais simple : peut-on faire passer un message tout en faisant de l’excellente musique ? Pari tenu.

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Après un premier album plutôt captivant en 2015, le groupe américain Algiers livre “The Underside Of Power”, disque intransige­ant, noir, définitif, admirable de sauvagerie et de poésie d’apocalypse. Comme si Alan Vega et Sam Cooke pilotaient le même tank. Suicide, Temptation­s, Four Tops, Motown, gospel, dépression et barbelés, rock et électroniq­ue, industriel et hardcore, la musique d’Algiers piétine les codes et brûle les habitudes. Ici, on entend l’Occident sombrer, les smartphone­s fondre, les âmes hurler leur vacuité et c’est très impression­nant. Social music ou vision

music, comme disait Dylan, on ne sait pas vraiment et, à vrai dire, on s’en moque. Algiers n’est ni Bérurier Noir ni Zaz. S’il a choisi son camp, s’il ressent certaines injustices, ce n’est pas non plus pour défiler le dimanche entre les stands de merguez et les banderoles idiotes. Non. Algiers vise plus haut ou plus profond, là où les miroirs implosent et où l’homme ne peut plus se mentir. Vertige. De passage à Paris, Franklin James Fisher (chanteur récemment marié) et Lee Tesche (guitare) en disent un peu plus.

Gravé pour l’éternité

ROCK&FOLK : Etes-vous satisfaits de cet album ?

Lee Tesche : Je crois qu’il existe toujours une certaine frustratio­n et une certaine déception après avoir terminé un album. Sinon, il n’y aurait pas vraiment de raison d’en faire un autre. Chaque membre du groupe a eu une expérience différente avec ce disque... Franklin James Fisher : Ouais, moi, je n’ai pas pu participer au mix. Je n’ai pas pu me rendre à Seattle parce que je devais travailler. Je suis en charge du vestiaire dans une boîte de nuit. C’était très frustrant... Ce disque a été enregistré avec plusieurs ingénieurs du son, trois producteur­s différents, plusieurs studios dans différente­s villes, à New York, Londres, Bristol, le travail de mix a donc été très compliqué. Mais Randall Dunn a fait un boulot phénoménal ! On a vraiment l’impression que toutes les chansons viennent du même univers.

R&F : Chez Algiers, une chose surtout impose de choisir son camp, c’est votre voix Franklin. Elle captive ou irrite, elle ne fait pas de prisonnier­s ?

Franklin James Fisher : Toute ma vie, on m’a dit que je ne savais pas chanter. Sérieuseme­nt ! Sur certaines chansons, ma voix est vraiment en avant, elle est nue, comme sur “A Murmur A Sign”. Et j’ai du mal à l’écouter. J’estime que je ne chante pas encore aussi bien qu’il le faudrait. Mais cette chanson est là désormais, gravée sur ce putain de disque pour l’éternité. Je l’assume. La seule chose qui m’a un peu frustré, c’est de ne pas avoir eu assez de temps entre le premier et le deuxième album pour devenir un meilleur chanteur. Actuelleme­nt, je me considère plus comme un musicien, un guitariste, que comme un chanteur. Ma femme me pousse, elle tente de me convaincre que je suis le chanteur de ce groupe. Et que je dois travailler dur pour m’améliorer. Elle a raison.

Dans l’existentia­lisme

R&F : Algiers est un groupe positionné. Vous ne chantez pas que les flirts malheureux et les voitures. Mais Woody Guthrie n’a jamais tué un seul fasciste avec sa guitare. N’est-il pas naïf de croire que la musique est une arme ?

Franklin James Fisher : Je pense que la musique peut véhiculer des idées et amorcer des conversati­ons. Mais elle n’a aucun pouvoir réel. Moi, je ne suis pas devenu musicien pour jouer les prêcheurs merdiques ou les messies. Je ne suis pas là pour améliorer le monde. J’exprime simplement mes crises existentie­lles, le fait de vivre dans ce monde complèteme­nt baisé. Et la musique m’aide à me sentir un peu mieux... Si certaines personnes sont irritées d’entendre la voix de Fred Hampton (l’un des leaders des Black

Panthers) au début du disque, qu’elles aillent se faire foutre. Je ne fais pas de la musique pour être aimé de tous. Et parfois, il est très agréable d’agacer les bonnes personnes... Algiers fait peut-être une musique inclassabl­e parce que chacun de ses membres a une vision très personnell­e et très forte des choses. Par exemple, Ryan (basse), lui est très politique. Moi, je suis plus dans l’existentia­lisme. On est là pour interpréte­r ce qu’il se passe dans le monde. Pour éventuelle­ment dégainer quelques symboles. Aujourd’hui, cette hyper réalité a perdu les gens. Ils sont en demande d’authentici­té. Il faut être honnête et intense dans tout ce que tu fais. ★ RECUEILLI PAR JEROME REIJASSE Album “The Underside Of Power” (Matador/ Beggars)

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