Dream Machine
“THE ILLUSION”
Une fois n’est pas coutume, nous allons narrer une belle histoire d’amour. Le personnage principal est Matthew Melton, fringant bohémien à la sémillante moustache, guitariste au style chatoyant et au chant susurré. Dès 2010, on le remarque avec l’échevelé “Seeking Love” — il était donc déjà question de cela — qu’il a usiné en compagnie de Bare Wires, son power trio garage boogie d’alors, à San Francisco. La quête de l’âme soeur, il en a été souvent question sur toutes les galettes qui ont suivi. Qu’elle se prénomme Julia, Jeanie, Lola ou Ramona, cette figure féminine rêvée, fantasmée, devait l’aimer, le comprendre. C’est ce charme naïf, un rien suranné, allié à une power-pop de qualité, qui rendait son gang suivant, Warm Soda, assez unique. Matthew, lui, noyait son chagrin en taillant la route avec ses potes rockers, pirate charmeur, quasi sans-abri, voguant entre Oakland et Austin, où il a fini par installer son propre studio. Et puis, un beau jour, lors d’un concert à Rotterdam, son regard croise celui de Doris, poupée brune au teint de porcelaine, d’ascendance bosnienne. Le coup de foudre. Elle part le rejoindre au Texas, ils se marient. Et leur drôle de premier enfant est une nouvelle formation, Dream Machine, et ce disque étrange, “The Illusion”. Doris et Matthew réhabilitent le couple rock (Yoko & John, Grace & Paul, Meg & Jack) mais aussi un politiquement incorrect assez navrant. Ils y vilipendent les réseaux sociaux, l’illusion du réel, le narcissisme. Dans les médias, ils clament que le“conservatisme est le nouveaupunk”, et certains propos ouvertement réactionnaires à l’encontre des réfugiés, des immigrés clandestins ou des groupes de rock féministes leur ont même valu de se faire immédiatement saquer de leur label historique, Castle Face et répudié avec une violence hallucinante par l’ensemble des musiciens de la scène de San Francisco. Toute cette agitation risque donc, et ce serait dommage, de masquer la qualité extraordinaire de ce disque, soigneusement pensé et enregistré. Au niveau sonore, nos tourtereaux ont poussé le snobisme jusqu’à accorder tous leurs instruments sur le la 432 Hz (au lieu du 440 Hz habituel), jadis affectionné par Verdi. Pour le reste, ils ont tout composé à quatre mains, et la frétillante guitare de Matthew se retrouve donc confrontée à d’ambitieuses partitions de claviers imaginées par Doris, férue de musique classique, créant un amalgame stupéfiant : une sorte de glam progressif, au format chanson, nanti de refrains et soli enthousiasmants, où ils conversent, bataillent ou s’enlacent. On pourra songer évidemment à Ray Manzarek et aux Doors, Jon Lord et Deep Purple ou encore aux plus obscurs Birth Control, mais les morceaux de “The Illusion” ne sont jamais inutilement bavards. Efficacement écrits, avec des riffs doublés, ils sont souvent du genre chevaleresque et viril (“I Walked In The Fire”, “Eye For An Eye”), d’autres fois baignés dans une atmosphère brumeuse avec d’ensorcelantes harmonies vocales rappelant les Electric Prunes (“Buried Alive”, “Nothing Left”). “All For A Chance”, miaulé par la demoiselle, possède un petit côté soul sixties. L’un des meilleurs titres, “Caught In A Trap” repose sur une ligne d’orgue pleine de mélancolie, une mélodie ensorcelante, déchirée ensuite par un synthétiseur gazouillant. “Back To You” démarre par un passage instrumental virtuose avant de virer hard rock, comme un Uriah Heep sans hurleur. Majestueuse conclusion, la fière “Weeping Statue” démontre une dernière fois cette alchimie particulière, mystérieuse, résolument unique. Voici donc un disque inclassable, à la fois vintage et terriblement original. Le premier rejeton d’un couple atypique qui a choisi de tracer son propre chemin sans se soucier des modes, et qui le fait à merveille.