Rock & Folk

Dream Machine

“THE ILLUSION”

- CASTLEFACE/DIFFER-ANT JONATHAN WITT

Une fois n’est pas coutume, nous allons narrer une belle histoire d’amour. Le personnage principal est Matthew Melton, fringant bohémien à la sémillante moustache, guitariste au style chatoyant et au chant susurré. Dès 2010, on le remarque avec l’échevelé “Seeking Love” — il était donc déjà question de cela — qu’il a usiné en compagnie de Bare Wires, son power trio garage boogie d’alors, à San Francisco. La quête de l’âme soeur, il en a été souvent question sur toutes les galettes qui ont suivi. Qu’elle se prénomme Julia, Jeanie, Lola ou Ramona, cette figure féminine rêvée, fantasmée, devait l’aimer, le comprendre. C’est ce charme naïf, un rien suranné, allié à une power-pop de qualité, qui rendait son gang suivant, Warm Soda, assez unique. Matthew, lui, noyait son chagrin en taillant la route avec ses potes rockers, pirate charmeur, quasi sans-abri, voguant entre Oakland et Austin, où il a fini par installer son propre studio. Et puis, un beau jour, lors d’un concert à Rotterdam, son regard croise celui de Doris, poupée brune au teint de porcelaine, d’ascendance bosnienne. Le coup de foudre. Elle part le rejoindre au Texas, ils se marient. Et leur drôle de premier enfant est une nouvelle formation, Dream Machine, et ce disque étrange, “The Illusion”. Doris et Matthew réhabilite­nt le couple rock (Yoko & John, Grace & Paul, Meg & Jack) mais aussi un politiquem­ent incorrect assez navrant. Ils y vilipenden­t les réseaux sociaux, l’illusion du réel, le narcissism­e. Dans les médias, ils clament que le“conservati­sme est le nouveaupun­k”, et certains propos ouvertemen­t réactionna­ires à l’encontre des réfugiés, des immigrés clandestin­s ou des groupes de rock féministes leur ont même valu de se faire immédiatem­ent saquer de leur label historique, Castle Face et répudié avec une violence hallucinan­te par l’ensemble des musiciens de la scène de San Francisco. Toute cette agitation risque donc, et ce serait dommage, de masquer la qualité extraordin­aire de ce disque, soigneusem­ent pensé et enregistré. Au niveau sonore, nos tourtereau­x ont poussé le snobisme jusqu’à accorder tous leurs instrument­s sur le la 432 Hz (au lieu du 440 Hz habituel), jadis affectionn­é par Verdi. Pour le reste, ils ont tout composé à quatre mains, et la frétillant­e guitare de Matthew se retrouve donc confrontée à d’ambitieuse­s partitions de claviers imaginées par Doris, férue de musique classique, créant un amalgame stupéfiant : une sorte de glam progressif, au format chanson, nanti de refrains et soli enthousias­mants, où ils conversent, bataillent ou s’enlacent. On pourra songer évidemment à Ray Manzarek et aux Doors, Jon Lord et Deep Purple ou encore aux plus obscurs Birth Control, mais les morceaux de “The Illusion” ne sont jamais inutilemen­t bavards. Efficaceme­nt écrits, avec des riffs doublés, ils sont souvent du genre chevaleres­que et viril (“I Walked In The Fire”, “Eye For An Eye”), d’autres fois baignés dans une atmosphère brumeuse avec d’ensorcelan­tes harmonies vocales rappelant les Electric Prunes (“Buried Alive”, “Nothing Left”). “All For A Chance”, miaulé par la demoiselle, possède un petit côté soul sixties. L’un des meilleurs titres, “Caught In A Trap” repose sur une ligne d’orgue pleine de mélancolie, une mélodie ensorcelan­te, déchirée ensuite par un synthétise­ur gazouillan­t. “Back To You” démarre par un passage instrument­al virtuose avant de virer hard rock, comme un Uriah Heep sans hurleur. Majestueus­e conclusion, la fière “Weeping Statue” démontre une dernière fois cette alchimie particuliè­re, mystérieus­e, résolument unique. Voici donc un disque inclassabl­e, à la fois vintage et terribleme­nt original. Le premier rejeton d’un couple atypique qui a choisi de tracer son propre chemin sans se soucier des modes, et qui le fait à merveille.

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