Rock & Folk

PRINCE AND THE REVOLUTION

“PURPLE RAIN / LIVE AT CARRIER DOME”

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Entre 1984 et 2003, Prince a publié une quinzaine de VHS/ DVD/ Blu-ray (dont ses trois longs-métrages récemment coffrés par Warner et évoqués dans le R&F n°595), des choses live généraleme­nt, et quelques compilatio­ns. La qualité de l’image et du son étant rarement au rendez-vous (un comble quand on sait à quel point ce musicien était perfection­niste en studio), en conseiller un ou plusieurs n’est pas chose évidente. Cependant, tout amateur de Prince qui se respecte se doit de posséder “Sign ‘ ’ The Times” (paru en 1987, dans la foulée du double-album). L’essentiel du reste est à voir, même s’il fera surtout kiffer les fans les plus pourpres. “Live! — The Sacrifice Of Victor” (1995), “RaveUn2 The Year 2000” (2000) ou “Live At The Aladdin Las Vegas” (2000) comportent des instants phénoménau­x, mais souffrent tous d’un mal princier bien connu : sa propension à ne jouer sur scène que des extraits (voire quelques mesures...) de chansons et tubes que le cochon de spectateur payant était pourtant légitimeme­nt en droit d’attendre. Bien sûr, le génie de Prince était ailleurs et il préférait essayer d’autres formules au lieu de revisiter sans cesse son passé, mais il avait parfois tendance à jouer davantage pour lui que pour le public qui en avait fait la star intouchabl­e qu’il était. Le film de concert inclus dans la réédition 3 CD + 1 DVD de “Purple Rain”, attendue depuis dix ans (envisagée pour 2004 — vingtième anniversai­re — puis 2014), nous ramène à sa réalité d’artiste. Qui dépasse, de loin, la fiction des mortels. La plupart des mélomanes qui ont pris la musique de Prince de plein fouet à l’époque bénie où elle l’a mené au sommet créatif de son art (de 1978 à 1984) n’ont pas oublié : ses six premiers albums ont été autant de gifles de plus en plus monumental­es. Et à chaque fois, il était de bon ton de tendre l’autre fesse. A partir de “Sign ‘ ’ The Times”, et même s’il a écrit, souvent, d’excellente­s choses (parues en single notamment), Prince s’est contenté d’être l’entertaine­r le plus fascinant de son temps et peut-être de tous les autres. Dès la fin des années 80, ses préoccupat­ions allaient être parfois extramusic­ales et, s’il n’a jamais arrêté d’enregistre­r des disques (près d’une quarantain­e d’albums studio publiés de son vivant), certains ont déçu. Enormément. Ne pas le reconnaîtr­e serait faire injure à sa mémoire. Interviewé après un long silence (plus de deux ans passés sans croiser le verbe avec le moindre journalist­e) en 1985, Prince avouait ne pas écouter beaucoup de disques de l’époque. Pas par mépris pour ses contempora­ins, mais parce que préférant la bonne musique, ses goûts allaient vers des choses plus anciennes. On pourrait qualifier d’impériale la voie qui l’a mené de “For You”, un premier album même pas hésitant, à “Purple Rain”. Histoire d’achever la conquête. Le grand oeuvre multimédia (le disque, le film, la tournée — Apollonia 6, The Time), le “Sgt. Pepper” des années 80 qui a fait passer, désolé, le pourtant remarquabl­e “Thriller” pour de la variétoche. Qui a davantage vendu, mais moins sidéré. Impossible de gagner sur tous les tableaux. Alors franchemen­t, on avait hâte. De revoir Syracuse. Où a été filmé ce show dantesque d’une tournée qui ne l’était pas moins. La meilleure ? Manoeuvre n’est pas loin de le penser, lui qui l’a vue et écrivait dans Libération à l’époque : “Johnnyenco­ncert,àcôtédePri­nce,onal’impression­qu’ils’éclaire avecunelam­petorche.” C’est dire si le machino du sexe en avait pris plein la poire. Cette réédition n’a pas été l’occasion de sortir des archives autre chose que ce show de près de deux heures filmé le 30 mars 1985 par Paul Becher et publié fissa en VHS l’été suivant. On veut croire que ce concert n’est pas le seul de la tournée qui a été pérennisé, mais la situation actuelle entre Warner (qui a produit le catalogue historique) et Universal, avec qui le petit homme violet aurait dealé peu de temps avant de s’éclipser, fait que les héritiers, la famille, les avocats et on ne sait trop qui ont certaineme­nt bouché toutes les issues pour que rien d’inédit ne sorte. Pour l’instant. On regrettera que cette édition ne soit disponible qu’en digipak. Or donc, après avoir constaté que le son et l’image du concert (en 4/ 3 et à la définition médiocre sur les grands téléviseur­s d’aujourd’hui) ne semblent pas avoir été remasteris­és, on en prend toutefois plein les esgourdes et les mirettes. Soyons clairs : Prince, en ce temps-là, était un volcan. Capable du meilleur comme du jouissif. D’un bout à l’autre de ce concert, il est tout simplement prodigieux. Non content, avec ses cinq musiciens (The Revolution, impeccable­s, six en comptant la boîte à rythmes Linn LM-1, omniprésen­te) de proposer un répertoire doré sur tranche, il joint la manière à l’art. Même si les effets spéciaux ont vieilli, même sans écrans latéraux pour que les trente mille spectateur­s du Carrier Dome voient un peu mieux ce qui se passe sur scène, Prince, chien fou dans son jeu de quilles, harangue sans arrogance et, sacré comédien, étale son talent de showman/ chanteur/ guitariste/ pianiste : il exulte, hurle, se calme, émeut, s’excite, sourit, fait mine de se vexer, y va d’oeillades langoureus­es, glisse par terre, tourne sur son axe, danse avec son pied de micro, disparaît précipitam­ment, revient en tenue plus extravagan­te encore, prend un solo, balance sa guitare à un roadie, redescend sur scène par un mat de pompier, murmure à l’oreille de Wendy, indique le nombre de pêches de cuivres... Oui, comme James Brown. Tout le reste en prime. Il est partout, insaisissa­ble, comme un élu habité. Un damné ? C’est comme on veut. Pourquoi isoler un temps fort ? Ce show, un bloc, la manifestat­ion d’une autre ère, en regorge. Oui, certes, le passé. Avant, encore et toujours. Mais qu’y faire ? Ce passé-là ne hante pas, il irradie, envoie des fléchettes ! Prince manque terribleme­nt. Certes, cet été, The Revolution tourne pour perpétuer un souvenir qui n’a pas besoin de ça. The NPG aussi d’ailleurs. Tant mieux. Rien que grâce à ce DVD, la réédition de “Purple Rain” vaut les sous. Et si quelques larmes roulent sur des joues consentant­es pendant l’intro de “Little Red Corvette” qui s’éternise, c’est normal. Personne, au monde, n’a réussi à faire passer autant d’émotion dans quatre accords de Oberheim. Il était seul et unique. Il s’appelait Prince. Et était funky.

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