Rock & Folk

Les pochettes de disques

CHAQUE MOIS, NOTRE SPECIALIST­E EVOQUE L’HISTOIRE D’UN APPAREIL, VETEMENT, INSTRUMENT OU BIBELOT DE LEGENDE... Que serait une collection de disques sans pochettes ? Elles sont en tout cas un des atouts majeurs du retour en grâce du vinyle face aux petits l

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Au tout début de la diffusion des enregistre­ments sonores, les emballages des cylindres de cire sont joliment décorés de gravures typiques de la fin du 19ème siècle à l’effigie des patrons des tout premiers labels : Thomas Edison, Graham Bell, etc. Imaginez aujourd’hui des pochettes de vinyles ou de CD arborant la tête du patron d’Universal ou de Sony Music... Avec le remplaceme­nt progressif des cylindres par les disques 78 tours, les pochettes vont petit à petit privilégie­r leur fonction première de protection du support et, du coup, tendre vers une sobriété graphique — quand ça n’est pas vers une absence totale de texte ou d’image — avec uniquement un cercle percé au milieu du papier laissant apparaître les logos des maisons de disques et les noms des interprète­s sur les étiquettes centrales collées sur la cire. Les premiers collection­neurs de disques n’ont d’autre choix que le classement alphabétiq­ue pour s’y retrouver lorsque leur discothèqu­e s’agrandit. Certaines compagnies ont l’idée d’éditer des classeurs — appelés aussi albums, terme qui restera pour désigner les futurs vinyles 30 cm — pourvus de pochettes reliées et dans lesquels on peut stocker une dizaine de disques au maximum, du fait du poids important des 78 tours. L’impression en quadrichro­mie coûte encore très cher, et les éditeurs ne voient pas l’intérêt d’illustrer de façon luxueuse des produits ne comportant que deux chansons (une par face) censées se démoder très vite. Il ne faut pas négliger aussi l’aspect presque éphémère du support lui-même : tout d’abord, ces disques en cire puis en gomme-laque ( shellac) cassent comme du verre ; ensuite, les appareils de reproducti­on sont en général des phonograph­es à aiguilles, que l’on est censé changer très souvent — ce que pratiqueme­nt personne ne fait — sous peine de littéralem­ent labourer les sillons, rendant les disques rapidement inécoutabl­es. Curieuseme­nt, ce rapport à la diffusion de la musique enregistré­e n’est finalement pas si éloigné de la dématérial­isation actuelle : on achète, on écoute, on jette. Il existe cependant une exception à cette torpeur graphique : c’est l’apparition des premiers picturedis­cs, qui, dès les années 1930, apportent une petite touche colorée dans cet océan de papier brun et de cire noire. Le véritable élément déclencheu­r de cette future profusion de pochettes qui vont rivaliser d’ingéniosit­é graphique et créatrice, c’est la mise au point en 1948 par la firme américaine Columbia d’une nouvelle matière pour presser les disques : le polychloru­re de vinyle. Ce nouveau support va permettre de graver non plus des sillons, mais des microsillo­ns, et de placer sur une même surface environ quatre fois plus de musique. Au début du vinyle, la majorité des albums LongPlayer­s (LP) ont le même diamètre que les anciens 78 tours (25 cm). Mais, cette fois, le support est beaucoup plus solide — ces disques sont souvent vendus avec la mention non-breakable (incassable) — l’objet se présente non plus comme une chansonnet­te qui passe, mais comme une somme de travail mûrement réfléchi, ou une compilatio­n de succès précédents. Ce sont désormais des objets destinés à être gardés et collection­nés. Si pas mal de pochettes de 25 cm commencent à utiliser la couleur, une grosse majorité est encore imprimée en bichromie (combinaiso­n d’une encre de couleur et du noir) par souci d’économie. Le phénomène prend encore plus d’importance lorsque ces LP adoptent le standard du 30 cm (12 pouces). Cette fois, les pochettes ont une taille intéressan­te, et avec la généralisa­tion de l’impression en quadrichro­mie, les maisons de disques vont commencer à travailler avec des graphistes et des artistes prestigieu­x ou de célèbres agences, comme Hipgnosis à Londres. L’usage de plus en plus courant des pochettes ouvrantes ( gatefold) vers le milieu des années 1960 puis les conceptalb­ums vont transforme­r ces emballages en véritables oeuvres d’art, parfois agrémentée­s de posters et d’inserts. Andy Warhol a ainsi conçu et réalisé une cinquantai­ne de pochettes d’album, depuis la toute première en 1949 pour un 25 cm de la Columbia jusqu’à une création pour une compilatio­n MTV, juste avant sa mort, en 1987. Tous ces travaux répartis sur près de quarante ans ont donné lieu à une exposition coproduite par le musée des BeauxArts de Montréal, le Fine Arts Museum de San Francisco et le Andy Warhol Museum de Pittsburgh, en 2008. Une collection quasi complète (il en manquait quatre !) de toutes ses pochettes a même battu un record lors de la vente It’sOnlyRock’n’Roll, chez Artcurial en novembre 2013, en s’envolant à 35 000 euros au marteau....

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Quelques artistes mis à contributi­on pour la réalisatio­n de ses pochettes : Kiki Picasso (Bazooka), Peter Saville, William Klein et Andy Warhol.

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