Rock & Folk

Personne Ne Gagne

JACK BLACK

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Monsieur Toussaint L’Ouverture

Bien avant que les beatniks n’empruntent la célèbre route de Kerouac, des pèlerins d’un autre genre avaient opté eux aussi pour une vie sans attaches et sillonnaie­nt les Etats-Unis en train en se cachant dans les wagons de marchandis­e et en survivant de petits boulots et de menus larcins. Les hobos entrèrent ainsi dans la mythologie américaine et sans même parler du cinéma, nombre d’écrivains, de Jack London à Nelson Algren ont fait d’eux des héros libres et débrouilla­rds dont le folklore libertaire inspire encore nos petits coeurs rebelles. Jack pasl’acteur Black fut l’un des premiers à raconter ses périples et son “Personne Ne Gagne” publié en 1926 lui permit, l’âge venu, un changement de vie radical, sinon durable, car devenu dès lors journalist­e, il disparut mystérieus­ement quelques années plus tard sans que jamais son sort, ni même son vrai nom, ne soit connu. Vagabond, malfaiteur, fugitif et fumeur d’opium, la vie de Jack Black paraît sortir tout droit d’une vieille chanson country de Jimmie Rodgers et la simplicité de son écriture comme sa candide franchise appuient cette comparaiso­n. Orphelin de mère livré à lui-même par son père, la jeunesse du petit Jack est un vrai plaidoyer contre l’oisiveté, les mauvaises lectures et les mauvaises fréquentat­ions qui tous, romans de gare, barmans bavards ou vétérans ensorcelan­ts, le persuadère­nt facilement de l’attrait d’une existence moins routinière et concourure­nt à faire de lui le cambrioleu­r aguerri qu’il était devenu à même pas vingt ans. Commença donc alors une existence faites de rapines, de coffres-forts dynamités et de courses effrénées pour échapper aux féroces policiers qui gardaient trains ou banques. Jack Black ne noircit ni n’enjolive le tableau, sa vie n’est faite que de hauts et de bas, de coups réussis autant que de séjours en prison, de fuites éperdues entre de brefs moments de paix et il reconnait lui-même, d’où le titre, que les années passées en prison étaient bel et bien gâchées et qu’un honnête homme aurait assurément mieux gagné sa vie. Mais de quel roman picaresque nous aurait-il privé ! Jack Black, sans aucun doute inconscien­t des règles du genre, nous en livre pourtant un parfait exemple et tous ses codes sont respectés dans ce Tom Jones — pasle chanteur — au Far West : le jeune homme sans ressources qui au cours de ses nombreuses aventures fréquente toutes les classes de la société et à chaque fois, y trouve l’hypocrisie et la malhonnête­té sans aucun respect de la moralité que les voleurs entre eux, les Johnsons comme ils s’appelaient, observaien­t paradoxale­ment bien davantage (“Butt olive out si dethelaw,y ou mustb eh on est” chantait Dylan) . Hautement pittoresqu­e, quasi documentai­re tant il est clair et précis, ce livre nous restitue un monde, ses règles, ses héros bigarrés — vous n’oublierez pas Sanctimoni­ous Kid ou Salt Chunk Mary — et nous emporte avec lui de brinquebal­ants wagons en saloons terribleme­nt réalistes. Humaniste, son analyse des errements de l’injuste système de justice est toujours d’actualité, féministe avant l’heure, son regard sur les prostituée­s dénué de tout le moralisme sexiste de son temps est étonnammen­t moderne, conteur né, il écrit comme d’autres boxent, droit au but et sans fioriture ni astragale et l’on comprend pourquoi Burroughs a adoré ce voyage dans le darknet de l’époque au point de s’en, humhum, inspirer dans ses premières oeuvres et d’en écrire plus tard la reconnaiss­ante postface. Autre gage de justesse, la préface enthousias­te de Thomas Vinau, écrivain souvent mentionné dans ces pages — qui bythe way publiait lui ce printemps deux très réussis volumes de poésies “Ça Joue” et “Il Y A Des Monstres Qui Sont Très Bons” — témoigne aussi de ce talent inné d’écrivain et de l’inégalable et délicieux parfum de liberté enfuie qui se dégage de ces pages et de cette vie à fond de train, “I’ma t hou sand miles awayfromho me, jus taw ait ingfo ra train ”...

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