Rock & Folk

Altamont 69

JOEL SELVIN

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Rivages Rouge

Dans la grande chanson de geste qu’est l’histoire du rock, le concert d’Altamont est sans conteste son redwedding, le pire jour de la saga, le drame qui a notoiremen­t marqué la fin d’un prétendu âge d’innocence de cette génération de braves hippies plein de love. On connait sûrement tous le documentai­re “Gimme Shelter” qui raconte, semble-t-il fidèlement, le drame noué ce jour-là dans ces étendues désertique­s à l’est de San Francisco et la recherche des responsabl­es du naufrage, commencée dès le lendemain du concert des Stones, donna alors lieu, ô ironie, au premier article d’importance nationale du magazine naissant “Rolling Stone”. De nombreux témoins et participan­ts ont raconté leur version, plus ou moins choquée, de l’immense et effrayant bazar dans lequel ils se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, dans un coin désolé, sans infrastruc­tures minimales, au milieu d’une foule totalement défoncée et pour beaucoup en bad trip, le tout gardé par une horde de Hells Angels dans le même état. Pas besoin d’être surdoué pour deviner donc que l’embrouille guettait mais comme dans toute tragédie classique, personne n’écoute jamais Cassandre et tous les participan­ts se trouvèrent embarqués dans, au mieux pour certains, une immense galère mais au pire, au milieu d’un déchaineme­nt de violence aveugle qui fût fatal au jeune Meredith Hunter, poignardé par un Hells An gels, autrement dit :“Un jeune homme noir assassiné au milieu d’ une foule blanche par des voyous blancs pendant qu’ un groupe blanc jouait sa version d’ une musique noire” comme l’a résumé Greil Marcus pour qui ce fut “lepire jourdesavi­e”, quand même. Journée dramatique donc que le journalist­e de San Francisco, Joel Selvin, auteur de nombreuses biographie­s de musiciens, a choisi de raconter avec une minutie digne d’une enquête policière et qui se révèle aussi passionnan­te à lire qu’un thriller. Car des suspects, il y en a plein. De l’entourage passoire des Stones où n’importe qui s’immisçait à celui du Grateful Dead à l’origine du projet mais bien trop largués/ pétés/ hippies pour assurer une pareille entreprise, aucune organisati­on formelle n’a jamais été mise en place et personne n’a pu ou voulu contrôler les chapelets de décisions stupides qui furent prises, autant par les responsabl­es intermédia­ires que par les Stones eux-mêmes. Selvin construit son livre en trois évidentes parties, avant, pendant et après, avec un luxe de précisions et de détails exceptionn­els qui expliquent enfin précisémen­t ce qui s’est passé et qui en furent chaque protagonis­te, public, Hells Angels, musiciens ou caméramans témoins du meurtre sous leurs objectifs — pas comme George Lucas venu tester un nouvel objectif qu’il mit tant de temps à régler qu’il ne filma qu’un seul plan lointain du public quittant les lieux qui apparait dans le film — comment ce festival a atterri dans ce coin impossible, pourquoi des Hells Angels furent choisi pour assurer le service d’ordre — de l’intérêt de faire du latin et de comprendre que le bon vieux“Quiscustod­ietips os custodes ?” soit en français“qui gardera les gardiens ?” est toujours pas con — qui était le Hells Angels assassin — finalement acquitté malgré les images du film — pourquoi personne n’a annulé le concert et surtout, pourquoi les Stones, ou plus précisémen­t Mick Jagger, littéralem­ent frappé quelques instants après son arrivée sur le site, se sont entêtés dans ce projet malgré tous les signes annonciate­urs des énormes problèmes à venir et ne se sont jamais, ni pendant, ni après, inquiétés du sort du public et des victimes, finalement plus nombreuses que ce que l’on croyait avant cette captivante et indispensa­ble enquête. Sans déflorer davantage le méchant de cette véritable chronique d’une mort annoncée, ni dévoiler le point de vue étayé de l’auteur, disons que Joel Selvin ne va pas recevoir de carte de voeux de Mick cette année, ni la prochaine.

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