Pas une science
Enervante en effet cette manie qui consiste à régenter ces albumsmonuments, tel le “Sgt. Pepper” des Beatles, selon les décrets sonores de l’époque. Je veux dire, cette dernière se sent-elle irréfutable, classique, à ce point ? Qui nous dit que son stylisme sonore à elle ne souffrira pas à son tour d’empêchement dans les prochaines années... à l’aune du soixantième, ou du soixante-dixième anniversaire de “Pepper” ? Que ce stylisme ne sera pas qualifié d’impur, d’inopérant ? C’est simple, à travestir de cette façon la matrice de référence, la notion même de transmission est biaisée, impossible même, et Giles Martin est le sixième Beatles, qui doit être crédité comme tel, mais en secondlieu, car globalement c’est à l’insu de ses dépositaires historiques, ceux du enpremierlieu, que son traitement esthétique s’exerce, à la barbe des veuves Harrison et Lennon notamment. Et là, ça n’est plus du tout pareil : une question éthique est posée... Dans le même ordre d’idées, qui voudrait qu’on lui rende son Zombies de “Odessey And Oracle”, qui vient d’être réédité justement, autrement que dans ses loques surannées d’origine ? Absolument personne de sensé bien sûr... La technique le permettrait évidemment, mais ce serait une grossière erreur, un de ces sacrilèges contemporains, véritable fléau de l’époque avec le fait de ne pas reconnaître la valeur de ce qui existe déjà en l’état, sacrilège irréparable, de plus, en ce qui concerne la perception que l’on a de l’oeuvre en elle-même et moralement un peu douteux. Mais malheureusement, de nos jours, l’amalgame est fréquent et l’on confond souvent fidélité vis-à-vis de l’oeuvre et hautefidélité. Dans l’absolu, personne n’a lancé à quiconque le défi d’améliorer le rendu (ou le rendement) de ces albums-monuments, car enfin, on ne peut pas demander plus à la musique que ce qu’elle peut nous donner... Mais, que voulez-vous, l’époque a les outils, alors l’époque s’obstine... persistant dans son idéal perfectionniste, hors d’atteinte. Reste qu’à la fin, on finit par réécouter “Hunky Dory”, “Pet Sounds” et, inévitablement par se dire : “commentceschansonspourraient nousbouleverserdavantagequ’ellesne lefontdéjà?” Moi par exemple, je sais juste ce que je leur dois à ces albums, qui comptent parmi les plus importants à mes yeux, en dépit de ces considérations matérialistes, implicites, d’équipement ou je ne sais quelle autre fantaisie (car qui en a quelque chose à faire de ça, franchement ?). Quand on me parle de ces canons- là, j’ai l’impression que c’est surtout le domaine de ceux qui ne savent pas quoi ressentir en écoutant un disque et qui, par conséquent, pour combler cette faille déplacent leur argumentaire sur le plan de la technique. J’ai l’impression que l’on me parle d’un monde qui consomme plus qu’il ne ressent, ou peut-être consomme à défaut de ressentir. Car ainsi, il existe, impossible de le nier. Enfin, c’est un peu triste quand même. Car à surestimer ainsi la perfection, on en a peut-être oublié que c’était précisément aussi les imperfections, le souffle, les “re-re” dont on entrevoit les coutures aposteriori, les collages artisanaux, et quelque part, par-là, la faillibilité humaine, ou celles des éléments (une partition que l’on entend tomber durant le dernier accord de “A Day In The Life”), non reproductibles, et en ce sens uniques, qui perpétuent dans notre imaginaire l’irréductible enchantement, talismanique, émanant d’un enregistrement classique des Beatles. Définitivement, ici plus qu’ailleurs, chez ces pionniers de l’âge pop, l’imperfection est une valeur positive. En ce sens qu’elle constitue le lot courant de l’expérimentateur/ défricheur et justifie, parallèlement, la fascination des dévots que nous sommes encore aujourd’hui, déterminant là pour certains les termes de la mission dont ils se sentent investis ensuite. Basiquement, cette imperfection nous dit que les choses deviennent possibles. Donc, le réétalonnage d’un son de grosse-caisse dans ce contexte-là semble aussi incongru que du photoshopping. Pour la bonne raison que la musicalité ne se décrète pas. Et surtout pas selon une ordonnance scientifique, chirurgicale de ce type, la musicalité n’étant tout bonnement pas une science exacte.