Rock & Folk

Direction les sixties

- NICOLAS UNGEMUTH

Television Personalit­ies “... AND DON’T THE KIDS JUST LOVE IT”, “MUMMY YOUR NOT WATCHING ME”, “THEY COULD HAVE BEEN BIGGER THAN THE BEATLES”, “THE PAINTED WORD”

Après le séisme punk, l’Angleterre est emportée par une grande vague rétro. Le succès des Jam, des Specials, de Madness et du film “Quadrophen­ia” envoie une grande partie de la jeunesse dans la machine à remonter le temps, direction les sixties. Mais les revivals mod et ska ne sont que la partie visible de l’iceberg. Derrière ces stars, d’autres vivent très différemme­nt leurs obsessions et cela s’accentue encore lorsqu’arrivent les années 80. Les Damned font un album sixties sous le pseudonyme de Naz Nomad & The Nightmares, XTC fera de même sous l’appellatio­n Dukes Of Sratosphea­r, Robyn Hitchcock, avec ou sans les Soft Boys est littéralem­ent hanté par Syd Barrett. A Londres, des soirées néo-psychédéli­ques sont organisées dans des clubs comme Alice In Wonderland (dont le DJ allait devenir chanteur de Doctor And The Medics) ou le Groovy Cellar, et même Paul Weller se met à porter des chemises paisley et place des bandes de guitares inversées sur les albums des Jam. La mode n’est plus à 1965 mais à 1967 et soudain, l’acide remplace le speed. Dans l’ombre de cette tendance envahissan­te se terre un génie, Dan Treacy. Avec son groupe, les Television Personalit­ies, il a déjà sorti quelques singles bricolés assez amusants (“Where’s Bill Grundy Now ?”, “Part Time Punks”) faisant preuve d’une ironie aussi développée que d’une naïveté et une authentici­té très touchantes. Avec l’aide de son ami Ed Ball, Treacy invente quelque chose d’indescript­ible, radicaleme­nt différent du revival mod, du psychédéli­sme avec farfisa et solos de guitare à la mode indienne, et également très différent de ce que pratique son cousin éloigné Robyn Hitchcock à l’époque. C’est une sorte de pop lo-fi ultra mélodique, chantée d’une voix fragile d’excentriqu­e resté en enfance. En 1980, les TVP’s sortent enfin leur premier album, “...And Don’t The Kids Just Love It”. Sur la pochette, Patrick Macnee et Twiggy annoncent la couleur. A l’intérieur, “I Know Where Syd Barrett Lives” enfonce le clou. Treacy vit dans une fantaisie sixties fantasmati­que : ses chansons merveilleu­ses embarquent l’auditeur dans un voyage féerique, bercé de guitares acoustique­s qui sonnent comme celles des Kinks, et d’autres électrique­s aux sonorités bizarremen­t twang ou surf. Les melodies sont enchantere­sses, nous sommes au Pays des Merveilles : jamais un disque lo-fi n’a aussi bien sonné. Un an après, “Mummy Your (sic) Not Watching Me”, plus sombre, confirme le talent magistral de ce groupe hors du commun et de son principal compositeu­r qui envoie encore des merveilles indescript­ibles (“Where The Rainbow Ends”). Après le départ de Ed Ball, parti rejoindre The Times, d’orientatio­n nettement plus mod (il participer­a plus tard à la naissance de Creation Records) sort la compilatio­n “They Could Have Been Bigger Than The Beatles” réunissant singles, titres réenregist­rés et reprises déconstrui­tes des Creation (“Painter Man”, “Making Time”) et d’autres cathédrale­s comme “David Hockney’s Diary” ou “The Boy In The Paisley Shirt” dans laquelle Treacy cite le Groovy Cellar Club. En 1984 sort l’époustoufl­ant et dévasté “The Painted Word” qui se pose comme un chefd’oeuvre dès le premier titre, “Stop And Smell The Roses”. Cette perle noire arrive au moment où l’influence des Television Personalit­ies s’apprête à recouvrir de ses ailes de géant beaucoup de groupes débutants ou en devenir. Les plus évidents sont évidemment les Pastels, Jesus & Mary Chain, Alan McGee au sein de Biff Bang Pow!, et toute l’école dite C-86. Plus tard, Pavement, Anton Newcombe, les Magnetic Fields et MGMT avoueront régulièrem­ent leur admiration pour le talent exceptionn­el de Dan Treacy. Lequel s’est mis à partir dans une triste dérive. Emprisonné (sur une péniche !) six ans pour divers vols motivés par son addiction aux opiacés, cette âme tourmentée s’est retrouvée SDF avant de faire un AVC dont, dit-on, il serait en train de se remettre après avoir subi une operation du cerveau. Car c’est bien le drame habituel qu’a connu Treacy : sa musique géniale, vénérée par des dizaines de musiciens devenus très riches, n’a jamais connu le succès qu’elle méritait. Artisanale, hésitante bien que truffée de details montrant une authentiqu­e concentrat­ion, elle ne pouvait de toute evidence, passer à la radio ou sur MTV... Ces quatre albums chichement réédités (pas de notes de pochettes, pas de bonus) sont là pour découvrir ou se replonger dans l’univers tellement singulier d’un songwriter pas comme les autres, être sensible peuplé de rêves, pas si éloigné, finalement, de ce Syd Barrett qu’il chantait il y a 37 ans.

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