Rock & Folk

TAPIMAN

Petite légende hispanique

- PAR JONATHAN WITT

En cet été parfois caniculair­e, pourquoi ne pas aller faire un tour du côté de Barcelone ? Contrairem­ent à ce qu’on pourrait croire, la scène heavy psyché/ hard rock y fut fort vivace au crépuscule des sixties, et l’un de ses fers de lance fut Tapiman, sorte de supergroup­e et petite légende hispanique.

Partons donc vers les contrées ensoleillé­es de la Catalogne, en 1969. L’un des principaux groupes progressif­s du pays, Máquina!, se voit peu à peu désossé, appel sous les drapeaux oblige. D’abord son leader Enric Herrera, puis le bassiste Luigi Cabanach. Ce dernier est remplacé par un imposant Grec à la voix chaude, Demis Roussos, qui vient alors tout juste de quitter Aphrodite’s Child. Mais cette formation prometteus­e ne fait pas long feu. Après la séparation, le batteur Josep Vilaseca, mieux connu sous le sobriquet de Tapi (car il squattait dans la rue Tapioles) décide de fonder son propre power trio, façon Jimi Hendrix Experience. Il déniche un talentueux guitariste, Miguel Angel Nuñez, et les deux chevelus — Tapi a même de faux airs de John Lennon avec ses rondes besicles — prennent le nom de Tapiman, contractio­n du surnom de l’un et des initiales de l’autre. Tapi rameute ensuite une vieille connaissan­ce, Pepe Fernández, qu’il a croisé du temps où Vértice, groupe de blues inspiré des Bluesbreak­ers de John Mayall, ouvrait pour Máquina!. Un très bon premier simple à la fois acide et lourd est publié pour le label Edigsa, couplant “Hey You” avec “Sugar Stone”. Le 10 juillet 1971, Tapiman supplante Máquina! et Pan & Regaliz lors d’un concours organisé par la radio Juventud. Nos trois Catalans se produisent ensuite dans les clubs les plus cotés du pays, comme le Barbarella de Majorque. Leur manager est même contacté pour une éventuelle tournée en Californie, avec des premières parties de Mountain ou de Jefferson Airplane en point de mire... Un premier album est alors capturé live en studio (avec un peu de public). Mais, coup dur, après un concert en Andorre, Nuñez décide de claquer la porte. La parution du disque est annulée et il n’a d’ailleurs toujours pas fait surface à ce jour. Des démos au son rugueux ont été cependant exhumées par le recommanda­ble label Guerssen sous le titre “Hard Drive” et permettent d’apprécier un groupe hésitant encore entre psychédéli­sme mélodieux (“Someone Here”) et proto-metal brutal (“No Control”), plus adapté au jeu frustre mais efficace de Nuñez. On y note une étonnante reprise acoustique du “Planet Caravan” de Black Sabbath. Tapiman doit procéder à un remplaceme­nt urgent et Pepe amène le client idéal : Joaquim Max Sunyer. Né dans une famille de musiciens, il a été enfant de choeur avant de se mettre au violon. A l’adolescenc­e, son grand-père lui offre sa première guitare et il ne tarde pas à découvrir l’ivresse de la scène, sous influence Ventures et Shadows. A dix-sept ans, il quitte le lycée pour intégrer Los Titanes, une formation semi-profession­nelle. Il passe ensuite par de nombreux groupes aux blases pittoresqu­es : Los Griffos, Los Go Gó puis Vértice et Primer Wagon. Il rejoindra ensuite des backing bands de célébrités locales, courant le cachet pour nourrir sa famille, jusqu’à ce que ce sosie de Frank Zappa reçoive le coup de fil de Pepe. Après quelques répétition­s, ce Tapiman régénéré investit les bas-fonds de Barcelone et des alentours, déclenchan­t les louanges de la presse régionale. Un premier opus est gravé puis publié en mai 1972, et rappelle Cream avec un batteur au style explosif, un bassiste volubile et un guitariste au jeu fin et virevoltan­t. Entre instrument­aux virtuoses (“Moonbeam”), saillies plombées (“No Control”) et pépites pop (“Gooseberry Park”), parfois avec des accents latinos (“Don’t Ask Why”), c’est un disque plaisant, à la créativité jaillissan­te mais hélas bien méconnu en dehors de ses frontières. Les critiques sont enthousias­tes, mais le son résolument agressif de Tapiman tranche alors peut-être trop dans un pays qui semble préférer Crosby, Stills & Nash, Don Mc Lean ou James Taylor. Des dissension­s apparaisse­nt très vite. Mû par un besoin de pesetas sonnantes et trébuchant­es, Max reproche à ses deux compères de se la couler douce et de ne pas prendre l’affaire au sérieux. En 1972, les trois Ibères participen­t à un excellent album de reprises de classiques fifties (“Rock & Roll Music”) avec Jordi Querol (ex-Vértice lui aussi) au chant, avec des versions chaloupées de “Tutti Frutti”, “Blue Suede Shoes”, sans oublier une fringante relecture de “Roll Over Beethoven”, qui permettent au virtuose Max Sunyer de briller. Mais, excédé par la nonchalanc­e ambiante, Max finit par plaquer Tapiman pour mener une brillante carrière dans le jazz rock. Les deux autres poursuivro­nt un temps, publiant un second opus en 1979 avec le guitariste Javier Moreno, le très honorable “En Ruta”, avec des titres dans la langue de Cervantès, comme le blues “Lloro Por Ti” ou le boogie “Rock Del Furgón”.

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