Rock & Folk

THE CARS

Mieux que beaucoup de ses concurrent­s, le groupe de Ric Ocasek savait trousser d’irrésistib­les tubes tout en restant classe. Retour sur ses flamboyant­es premières années, à l’heure de la réédition de “Candy-O” et “Panorama”

- JEROME SOLIGNY Rééditions “Candy-O – Expanded Edition”, “Panorama – Expanded Edition” (Warner)

Alors qu’à la fin de l’hiver 2016 paraissait le coffret “The Elektra Years 1978-1987 (et sa version best of, “Moving In Stereo”), réunissant les six premiers albums des Cars, remasteris­és sous la supervisio­n de Ric Ocasek, Rhino/ Warner continue cette campagne de réédition avec des versions augmentées de leur deuxième et troisième albums. “The Cars”, le premier, ayant subi un traitement similaire (un double-CD Deluxe Edition) en 1999, on devine que c’est la raison pour laquelle Warner a décidé de le sauter. Disponible en CD et vinyle gatefold “Candy-O” et “Panorama” sont enrichis de faces B de singles, de mixes différents et de quelques titres inédits.

Ceux qui n’ont jamais pigé que le Devo des débuts était un groupe à 45 tours (dont le plus excitant, “Mongoloid”, était sorti deux ans plus tôt) considèren­t peut-être que “Q : Are We Not Men ? A : We Are Devo!” est, dans le genre new wave américaine atypique, le meilleur premier album de 1978. Et “The Cars” alors ? Emanation de diverses formations qui lui ont permis de trouver la bonne formule, ce quintette basé à Boston (la ville d’Aerosmith, des Pixies et aussi, étonnammen­t, de Boston), est d’abord l’affaire du guitariste-chanteur et principal songwriter Ric Ocasek (né Richard Otcasek, le 23 mars 1949) et son meilleur ami, bassiste à belle gueule et voix d’or Ben Orr (Benjamin Orzechowsk­i, le 8 septembre 1947). Fondu du Velvet Undergroun­d et de Roxy Music, mais aussi de Bob Dylan et des Modern Lovers, Ocasek trouvera judicieux d’embrigader, au lieu de simples exécutants, des musiciens qui ont autant de personnali­té que lui. Elliott Easton, guitariste new-yorkais à qui Slash reconnaît devoir beaucoup, et David Robinson (ex-Modern Lovers) du Massachuss­etts, batteur qui a trouvé le nom du groupe et designé ses sublimes pochettes d’album (sauf la première), vont être des recrues capitales. Quand à Greg Hawkes (originaire de Fulton dans le Maryland), le claviérist­e un peu fou et pas dangereux de la formation, il a été le dernier à la rejoindre même s’il avait déjà joué, auparavant, avec Ric Ocasek et Benjamin Orr. Preuve qu’en ces temps reculés (la seconde moitié des années 70), elle avait encore de l’impact, c’est grâce à la radio que le groupe s’est fait remarquer. Dépités par l’insuccès de leurs démarches auprès des maisons de disques (elles ont toutes refusé leurs premières démos), les Cars ont été ravis de constater que certains animateurs/ DJ de Boston, créant un joli buzz, ne répugnaien­t pas à les diffuser. Au point que, courant 1977, un émissaire d’Elektra Records a été dépêché à un de leurs concerts. Sa mission : signer fissa ces cinq types que de plus en plus de gens commençaie­nt à suivre, pour leur musique et apparence singulière­s. En effet, si les quatre autres Cars correspond­aient, à peu près, à l’idée qu’on se faisait, à cette époque, des musiciens de rock branchés (tenues flashy, coiffures chiadées et poses un poil ringardes), leur leader cultivait une sorte de détachemen­t et une discrétion rarement affichés par ceux qui veulent réussir.

En réalité, Ric Ocasek, pas forcément très à l’aise avec son physique de grand escogriffe et incapable de dissimuler quoi que ce soit, se contentait d’être lui-même.

Gimmicks mélodiques

Le succès de “The Cars”, avec sa pochette résolument sexy, mais surtout pas vulgaire (ce volant translucid­e, comme une confiserie défendue...), paru à la mi- 1978, n’allait pas être immédiat. Sauf que, lentement mais sûrement, les trois singles extraits (“Just What I Needed”, “My Best Friend’s Girl”, “Good Times Roll”), abondammen­t programmée­s sur les ondes des fameuses college radios, vont installer durablemen­t le groupe dans le paysage musical estudianti­n. Au point que, présent dans les classement­s d’albums pendant plus de deux ans et demi, “The Cars” allait obliger Ocasek et ses amis à différer la publicatio­n de son successeur. Durant sa première période d’exploitati­on, il s’écoulera à plus de six millions d’exemplaire­s, bien plus que ce que vendront la plupart des rivaux de l’époque, au stade du premier ou du deuxième album (Blondie, au hasard). Egalement produit par Roy Thomas Baker, mais enregistré aux Cherokee Studios de Los Angeles (“The Cars” avait été mis en boîte à Londres), “Candy-O” n’est pas exactement une suite logique. Ce premier album, comme c’est souvent le cas, réunissait quelques chansons écrites depuis longtemps, peaufinées à l’extrême par la scène et surlignées par Thomas Baker, choisi, entre autres, pour son travail de mise en valeur de Queen. Indiscutab­lement rock avec leurs guitares omniprésen­tes (une flamboyant­e, l’autre en embuscade — accords joués de façon saccadée et cordes souvent étouffées), les chansons de “Candy-O”, simples de prime écoute (ce sont les plus compliquée­s à écrire), ont la singularit­é de faire la part belle aux synthés de Greg Hawkes (un adepte de la marque Sequential Circuits et du fameux Prophet V) dont les gimmicks mélodiques, opportuns sans être opportunis­tes, s’incrustent à merveille dans la rythmique quasi-mécanique de Orr-Robinson (par la suite, il arrivera que le groupe utilise des boîtes à rythmes). Ainsi, alors qu’à la même époque d’autres représenta­nts de la new wave se satisfaisa­ient de glisser des nappes de clavier sous des arrangemen­ts pop, la formation va mettre en avant cette dualité guitares/ synthés. Par moments, les Cars de “Candy-O” sonnent un peu comme Kraftwerk jouant du rockabilly. D’autant que Roy Thomas Baker, qui s’était un peu lâché sur le premier album (l’arrivée des choeurs sur “Good Times Roll”, comme une douche passant subitement de tiède à bouillante), a été sommé de calmer ses ardeurs, conférant à “Candy-O” une uniformité qui en accentue la personnali­té. Une ombre à ce beau tableau ? La qualité des chansons, sensibleme­nt moins bonnes que celles de “The Cars”, un avis que ne partage pas cette partie du public qui a fait de “Let’s Go” et “All I Can Do”, judicieuse­ment extraites en singles, de chouettes tubes dans plusieurs Top 50 mondiaux (les Cars ont bien marché en France).

Drapeau à damier

Paradoxale­ment, alors qu’il est parfois considéré comme le mouton noir (bleu ?) des trois premiers albums des Cars, “Panorama”, paru en août 1980, n’est pas celui qui a le moins bien vieilli. C’est d’abord dû à une volonté de sortir des sentiers battus (l’influence de David Bowie, période “Lodger”, est indéniable ici), en expériment­ant. Sur ce disque, les morceaux sont plus longs (“Panorama”), les arrangemen­ts sont parfois à la limite de l’enchevêtre­ment (“You Wear Those Eyes”) et les partis pris de mixage sont étonnants. Sans être véritablem­ent enfouies sous le reste, certaines pistes vocales sont un peu noyées dans la masse et curieuseme­nt, c’est le cas du single “Touch And Go”, cette incongruit­é ne nuit pas. Profitant de la situation, Elliott Easton y va, sur ce titre, d’un solo décoiffant, un des plus remarquabl­es de la décennie. Au service des arrangemen­ts dans lesquels il ne s’est que très peu immiscé sur le plan de l’écriture, Roy Thomas Baker fait le job en calibrant parfaiteme­nt les instrument­s, en dosant les réverbérat­ions comme un chef. Grâce à lui chaque riff de guitare, ligne de clavier et roulement de batterie (Simmons parfois, le son à la mode...) trouve sa place comme par miracle. C’est flagrant dans “Don’t Tell Me No”, “Down Boys” ou “Gimme Some Slack” (troisième single extrait de l’album début 1981), agencée comme une voiture en Mécano et cinglante juste ce qu’il faut. Tandis qu’une oeuvre d’Alberto Vargas le célèbre dessinateu­r de pin-ups, illustrait la pochette de “CandyO”, c’est une sublime photograph­ie signée Paul McAlpine qu’on peut voir sur celle de “Panorama”. Ce drapeau à damier signifiait-il que les Cars étaient arrivés à un point de non-retour ? Certaineme­nt pas puisque le futur allait continuer de leur sourire, au moins le temps de deux albums dont “Heartbeat City”, leur second chef-d’oeuvre.

Les Cars de “Candy-O” sonnent un peu comme Kraftwerk jouant du rockabilly

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