Rock & Folk

Kelley Stolz

“QUE AURA”

-

Icône de l’undergroun­d américain depuis près de deux décennies, Stoltz s’est souvent trouvé au bon endroit durant sa longue carrière — entamée dans son Michigan natal au moment où la scène garage de Detroit explosait, poursuivie à San Francisco où il a participé au bouillonne­ment artistique qui a réveillé la ville — mais n’avait jamais rencontré son public alors qu’il publiait avec une régularité métronomiq­ue des albums pop d’une beauté confondant­e (on citera “Circular Dreams” en 2008, ou “Double Exposure” en 2013). Question de timing sans doute, comme l’illustre son court passage dans le backing-band de Sixto Rodriguez (en compagnie des Fresh & Onlys) juste avant que ce dernier ne soit redécouver­t. Malgré cette lose collée aux semelles et des concerts effectués dans des salles vides (on se souvient de son passage confidenti­el à l’Espace B à Paris en 2014), Stoltz n’a jamais perdu la foi et les étoiles semblent enfin s’aligner pour l’affable quadragéna­ire qui a enfin rencontré le succès depuis que Dwyer lui a renvoyé l’ascenseur en le publiant sur Castle Face (Stoltz l’avait grandement aidé à se lancer en produisant “Sucks Blood” en 2007, le premier enregistre­ment marquant des Oh Sees). Il a vu ensuite son rêve de toujours s’accomplir quand Echo & The Bunnymen — un groupe dont il est fan au point d’avoir repris un album entier en 2006 (“Crockodial­s”, réinterpré­tation de “Crocodiles”, premier album des Liverpuldi­ens sorti en 1980) — l’a enrôlé comme guitariste. Manifestat­ion de cette dynamique positive, Stoltz publie ce qui est peut-être son meilleur album à ce jour avec “Que Aura”, disque bluffant de maîtrise et gorgé de mélodies immédiates (la power-pop de “I’m Here For Now”, l’envolée à la Gary Numan de “Feather Falling”, le post-punk de “No Pepper For The Dustman”, l’assurance feutrée de “Tranquilo”, la ritournell­e plaintive de “Looking For A Spark”). Certains ont reproché par le passé à Stoltz de trop porter ses influences en étendard. Beatles, Kinks, Beach Boys et autres groupes des années soixante nourrissen­t depuis toujours les albums de cet autodidact­e éclairé qui joue de tous les instrument­s, au point qu’on pouvait parfois déceler (trop ?) facilement clins d’oeil et références dans ses chansons. Or, depuis 2015 et “In Triangle Time”, cet esthète de la pop sixties s’est doucement mis à tenter des bizarrerie­s synthétiqu­es dans son home studio qu’il surnomme Electric Duck. Il a même sorti un album sous le pseudonyme Willie Weird (l’excellent “The Scuzzy Inputs Of Willie Weird”) pour expériment­er, de façon décomplexé­e, des sons déviants et enrichir son vocabulair­e instrument­al. “Que Aura” bénéficie de cette nouvelle palette et montre un Stoltz complèteme­nt libéré, qui, stimulé par les possibilit­és de cette formidable boîte à outils, produit un nombre de mélodies inspirées proprement surnaturel. Il se dégage ainsi de “Que Aura” une beauté lumineuse, une force tranquille. Chaque prise de risque paie, à l’image de la pop électroniq­ue de “Same Pattern” (le morceau mis en avant par son label pour promouvoir l’album) ou de l’étonnante escapade disco-funky de “Empty Kicks”, qui mériterait de tourner en boucle sur les radios généralist­es. En se réinventan­t ainsi, Kelley Stoltz se place parmi les artistes les plus passionnan­ts du moment. On le savait depuis toujours capable de grandes choses. Qu’il est bon de le voir les accomplir.

✪✪✪✪

ERIC DELSART

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France