Good Time
DE BENNY ET JOSHUA SAFDIE
Et si les frères Safdie prenaient un jour la relève des frères Coen ?
Ces deux frangins réalisateurs, figures de proue du (bon) cinéma indépendant new-yorkais, s’exercent à la mise en scène depuis leur plus jeune âge puisqu’à huit ans déjà ils tournaient des courts métrages (probablement foutraques) avec la caméra de leur père. A l’image de beaucoup de réalisateurs américains de leur génération, les Safdie se sont forgés une culture cinématographique XXL. Du genre à aimer aussi bien les docus ethnologiques de Jean Rouch que les introspections éthyliques des films de potes de John Cassavetes et même les grimaces les plus tordues du regretté Jerry Lewis. Un éclectisme plus cinéphile que cinéphage (contrairement à Tarantino qui, lui, gobe absolument tout) que les frangins digèrent et régurgitent en rendant leur hommage personnel au pan le plus adulte du cinéma des années 60/ 70. Voir “The Pleasure Of Being Robbed” sur le parcours sensitif d’une jeune kleptomane new-yorkaise filmé à l’arrache façon Nouvelle Vague française. Ou “Mad Love In New York” sur le quotidien d’un couple de vagabonds toxicos qui rappelle les déambulations zombiesques d’Al Pacino camé errant dans les rues de Big Apple dans “Panique A Needle Park” de Jerry Schatzberg. Malgré leur jeune âge (un peu plus de trente ans), les frangins rejettent donc la culture Marvel/ Star Wars ambiante. Les explosions numériques : niet ! Les décortications de l’âme : yep ! Pour autant, les Safdie brothers ne tombent pas dans les travers caricaturaux d’un certain cinéma indé nombriliste dont deux tiers des films, sans distributeur officiel pour les diffuser en salles, finissent par atterrir sur Sundance TV, chaîne spécialisée (à quelques exceptions près) dans des homemovies à deux balles qui tentent de cloner maladroitement l’esprit de Woody Allen ou de John Cassavetes sans jamais chercher à innover. Et ce contrairement aux Safdie qui, eux, ont nettement plus d’ambition créative. Comme celle de mixer les genres avec une certaine classe comme le prouve “Good Time”, où drame existentialiste et streetpolar se complètent sans jamais s’entrechoquer. Comme si flingues et états d’âme n’étaient, au fond, qu’une seule et même entité. Si le pitch de base ressemble à n’importe quel thriller abscons destiné au marché du DVD (deux frangins à la ramasse font un braquage. L’un est arrêté, l’autre l’aide à s’évader), le traitement, lui, est nettement plus psychédélique et rêveur. Que ce soit dans le rendu des couleurs, presque irréelles, donnant l’impression que les frérots évoluent dans leur propre monde urbain intérieur. Mais aussi, et surtout, grâce à un travail sonore remarquable aux nappes d’une musique puissamment atmosphérique composée par Daniel Lopatin, musicien expérimental américain (il avait signé la BO de “The Bling” de Sofia Coppola) aidé, le temps d’une chanson ultra mélancolique, par la voix rocailleuse d’Iggy Pop. Une BO synthétique totalement immersive collant à la peau grêlée et aux déambulations tragiques des deux héros. Rôles interprétés, pour le premier, par un des frères Safdie en personne (Benny), étonnant de crudité en déficient mental qui réagit toujours en biais aux aléas de la vie et l’excellent Robert Pattinson dans la peau du frangin (soi-disant) plus mature et au regard perpétuellement halluciné. Le même Pattinson, qui après avoir fait trembloter les bas ventres des midinettes en chaleur pour son rôle de vampire niaiseux dans les “Twilight”, aura fini par trouver sa rédemption d’acteur en tournant pour David Cronenberg et James Gray. Et désormais les frères Safdie, nouveaux parangons d’un cinéma d’auteur ambitieux et passionnant qui n’oublie jamais — ce qui est important pour survivre — d’être également populaire ( Actuellementensalles).