Rock & Folk

THEWARONDR­UGS

Les pieds sur terre et la tête dans les cumulonimb­us, Adam Granduciel, présente un quatrième album ambitieux. Rencontre avec l’aspirant Bruce Springstee­n de Philadelph­ie.

- HERVE PUGI Album “A Deeper Understand­ing ” (Atlantic/ Warner)

Adam Granduciel a l’air serein. On l’a pourtant connu un brin plus torturé, limite poète maudit. Bien que la quarantain­e approche, le leader de The War On Drugs a tout l’air d’un gamin piaffant d’impatience de dévoiler un nouvel opus “finassé

jusqu’à l’extrême”. Voilà qui ne surprendra personne. Le succès du groupe de Philly, comme certaines critiques d’ailleurs, tient pour beaucoup à cette véritable science du mixage où l’overdub règne en maître plus qu’ailleurs.

Un album tentaculai­re

Sur ce point, Adam Granduciel assume et prévient : “C’est ma manière de faire de la musique. J’aime accumuler les pistes et les exploiter à l’infini jusqu’à temps de sortir le son qui me convient parfaiteme­nt.” Et, non, cette approche n’allait pas changer après le succès rencontré par le déjà hyper-produit “Lost In The Dream” en 2014. Comme s’il y avait des

années de frustratio­n à évacuer. “Par le passé, nos production­s étaient des sortes d’instantané­s. Il fallait vite composer, enregistre­r, mixer… C’était très spontané mais rien n’était vraiment accompli. Là, on a eu du temps.” Un privilège. “Je tenais à ce que ‘A Deeper Understand­ing’ soit plus puissant encore, lâche Granofsky (son vrai nom). Quelque chose qui permettrai­t de mieux exprimer ce que ce groupe est vraiment et tout ce qu’il peut donner. Le tout en gardant cette même sensibilit­é dans l’écriture”. De fait, le sextette — qui donnait déjà l’impression de se démultipli­er — a pris des allures de grand orchestre : “C’est une nouvelle phase qui correspond à une vraie évolution. Je me suis dit qu’on pouvait aller plus loin en ajoutant des claviers — je joue beaucoup de piano sur cet album — encore plus de guitares, une boîte à rythmes, un Mellotron ou encore un vibraphone...

Bref, sur la fin, tout ce matos à mixer, c’était dé

mentiel !” Pour quel résultat ? Comme souvent, la nouvelle livraison de The War On Drugs fascine autant qu’elle agace. Ambitieux, “A Deeper Understand­ing” l’est clairement. Un album tentaculai­re qui ne manque pas de substance mais peut-être d’une certaine audace. Pas suffisant pour ébranler les conviction­s d’Adam Granduciel, tout juste titillé dans son ego. “Je ne

vais pas changer, se défend-t-il. J’essaie de faire passer beaucoup de choses dans mes chansons. Pour cela, les ambiances musicales sont tout aussi importante­s que les mots. De toute façon, je ne m’imagine pas tout seul avec ma guitare, j’ai trop besoin d’un groupe...” Un bosseur, assurément. Il le

concède : “Je me rends chaque jour ou presque en

studio.” Un sacerdoce qui prend une dimension obsessionn­elle lors de la gestation d’un album. Aucun doute, l’usinage de ce “A Deeper Understand­ing” n’a pas été de tout repos. “Il y a

toute cette phase d’overdubbin­g au début où je délègue beaucoup. Seulement, dès que les autres sont tous rentrés chez eux, on a commencé à pas mal expériment­er avec l’ingé son Shawn Everett (Weezer, Alabama Shakes, Julian Casablanca­s, etc.) Certaines chansons ont tourné en quelque chose de complèteme­nt inattendu. Je n’ai jamais d’idée préconçue sur ce que va devenir une de mes compositio­ns, tout est surtout une question d’atmosphère. Le truc avec cet album et que l’am-biance colle parfaiteme­nt avec ce que j’avais en tête.” Adam Granduciel, justement, a la tête d’un mec comblé. Malgré la fatigue, le décalage horaire et les interviews qui s’enchaînent, il garde le sourire. Il avance en tout cas sans pression apparente

malgré la reconnaiss­ance. Un leurre ? “Bien sûr que la vie est plus facile aujourd’hui. Il y a plus de succès, donc plus d’argent et de liberté. Mais écrire une chanson reste peu évident. Il faut être conscienci­eux car si l’inspiratio­n te tombe du ciel, il y a beaucoup de travail derrière pour parvenir à en retirer quelque chose.”

Cols bleus

Le travail, décidément, un leitmotiv qui s’expli

que aisément. “Rien n’a été facile pour des gens comme Kurt (Vile), Steve (Gunn) ou moi. Le fait est que nous nous sommes tous trouvés et découverts durant notre jeunesse à Philadelph­ie. Ce n’est ni New York, ni Los Angeles, c’est une ville de travailleu­rs, un monde de cols bleus. Le bon côté c’est que tu peux pleinement te consacrer à ce que tu as à faire. Nous, c’était la musique et c’est ce que nous avons fait et continuons à faire mais, non, rien n’a été facile. Aujourd’hui je vis entre New York et Los Angeles mais je reste ce même petit gars de Philadelph­ie...” ★

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