Rock & Folk

THE HORRORS

En réussite souvent, dans l’impasse parfois mais toujours avec panache, les Londoniens seraient-ils le dernier orchestre romantique ?

- JEROME REIJASSE Album “V” (Wolf Tone)

The Horrors sont à Paris pour parler de leur nouvel album, produit par Paul Epworth, et donner un concert sur le parvis de l’Hôtel de Ville le temps d’un festival estival et gratuit. “V”, titre lapidaire, une lettre et un chiffre, une victoire, une envie d’envoyer se faire foutre les détracteur­s, une manière également de faire les comptes. Cinquième album des Anglais, cinquième enregistre­ment qui ne devrait pas calmer les critiques des fans de la première heure qui n’ont toujours pas digéré le disque “Skying”, en 2011, virage pop presque FM — Simple Minds, Talk Talk, Duran Duran et Tears For Fears à l’époque furent régulièrem­ent cités au moment de chroniquer ce disque ovni — qui a brouillé les pistes et perdu ceux qui avaient aimé les guitares malades et les ambiances post-garage-gothiques-cold wave des débuts. Après un “Luminous” décevant et presque anonyme en 2014 que même le groupe a aujourd’hui du mal à vraiment aimer, les Horrors sont donc de retour aux affaires avec probableme­nt leur meilleur disque à ce jour.

Chansons tatouages

On flirte ici avec une certaine idée de la grandeur et de la décadence, joue avec les nerfs des fidèles et pousse encore un peu plus loin ses expériment­ations de funambules, quitte à parfois provoquer en duel le mauvais goût comme sur la chanson “Gathering”, qui affronte le pire les yeux dans les yeux. Faris Badwan (chant), Josh Hayward (guitare), Rhys Webb (basse) sont vêtus de noir, ponctuels et prêts à en découdre. C’est une évidence. Ils veulent écrire des chansons tatouages, celles qui ne s’effacent jamais. Ils n’ont rien trahi, rien soldé, ils ont mis en boîte les titres qui leur ressemblen­t, entre classe morbide et soleil de glace. Et il est difficile, après écoute, de ne pas s’incliner devant autant de bravoure et d’égoïsme. Le groupe n’est pas une épicerie de quartier qui cherche à fidéliser sa clientèle, non. Il veut inventer un nouveau genre, le rock de stade pour clubs undergroun­d ou le contraire, et est prêt à sacrifier beaucoup de choses pour atteindre son but. Cet entretien débute par des excuses sincères. Après avoir haï véritablem­ent “Skying”, on avoue en avoir fait un disque de chevet depuis. Faris ricane derrière ses lunettes noires. Rhys salue le geste. Josh commande un autre café, avant de demander : “Vous avez écouté ‘V’ avant de venir? Parce que pas mal de vos confrères osent venir nous questionne­r sans rien avoir entendu, à part peut-être le single... Allez-vous l’aimer, ce disque, avec du recul comme ‘Skying’ ou sommes-nous parvenus à vous envoûter sans attendre ?” Pas besoin de recul aujourd’hui. “V” est une confirmati­on. Un disque aux burnes d’or, une épée capable de déchirer le voile de la

réalité, cette mégère détestable. Rhys : “On nous a beaucoup parlé des groupes pop des années 80 depuis ‘Skying’. Pas de problème. Mais nous, on préfèrerai­t parler de ceux qui les ont influencés, Bowie, Roxy Music, Brian Eno, Kraftwerk... On est allé voir Kraftwerk sur scène récemment et on a eu cette engueulade en rentrant chez moi, pour savoir si ces Allemands étaient plus importants que les Beatles.” Faris : “Je crois qu’on tente juste d’écrire de belles chansons, peu importent finalement les influences, les directions prises. On voulait, avec ce disque, retrouver cette excitation des débuts, cette envie d’aller le plus loin possible. Je ne saurai pas l’expliquer mais on a ressenti que l’heure était venue d’enregistre­r notre meilleur disque, on devait enregistre­r notre meilleur disque !” Josh : “C’était indispensa­ble pour que le groupe se réincarne, se revigore...” Rhys : “Pour nous, ça a été un voyage formidable, très excitant. The Horrors a toujours voulu aller de l’avant, expériment­er, pas pour jouer aux plus malins mais pour se redécouvri­r, encore et encore...” Faris : “Nous n’étions vraiment pas satisfaits de ‘Luminous’ et c’est encore un euphémisme. Là, c’est un succès pour nous. On est fiers de ce disque. Et il n’y a que ça qui compte !”

Le coeur et les tripes

Tous ces groupes qui se contentent aujourd’hui d’une formule, qui se répètent sans honte devraient en prendre de la graine. Le courage en 2017 est la valeur ultime. Tout a déjà été fait. Absolument tout. Il ne reste que le coeur et les tripes et ce “V” arrogant, profond, lumineux et déchiré, émouvant et guerrier, aérien et troglodyte, n’en manque assurément pas. Composé et enregistré entre l’Islande et l’Angleterre, “V” est un cortège admirable de fantômes, Beach Boys, Echo & The Bunnymen, Kraftwerk donc et beaucoup d’autres encore, mais également la preuve que les Horrors n’ont plus besoin de personne pour sculpter leur légende. Les grands groupes divisent, toujours. Les grands groupes meurent mais ne se rendent pas.

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