TYSEGALL
Fraîchement trentenaire, le Californien sort un EP, “Fried Shallots” et évoque les nombreux projets qu’il a sur le feu.
C’est au lendemain de sa participation à la Route du Rock que l’on rencontre Ty Segall dans un hôtel plutôt cossu du onzième arrondissement de Paris. Détendu et affable, notre génial blondinet avale son sixième café de la journée sur la terrasse, et se montre tel qu’il est : sans chichi ni prétention, à la fois jovial et sensible, incroyablement cultivé et fondamentalement épris de liberté.
Téléphone mural et agenda papier
Ty Segall, donc, est en train de sillonner la France avec un nouveau groupe, baptisé The Freedom Band, composé cependant de ses collaborateurs habituels : Mikal Cronin à la basse, Charlie Moothart aux fûts, Emmett Kelly à la guitare et Ben Boye aux claviers. Avec une philosophie différente : “L’idée est de ne pas avoir de limite. Sur scène, on improvise plus, c’est un état d’esprit particulier. On fait la promotion
de la liberté d’opinion, d’esprit, et de la positivité.” Des mots qui résonnent, tant on sait que Ty Segall fut choqué par l’accession au pouvoir de Donald Trump. En guise de riposte, il a décidé de reverser une partie des recettes de son nouvel EP, “Fried Shallots”, à une association nommée American Civil Liberties Union. Dès que l’on évoque le sujet, sa mine se fait plus grave, et l’on sent même l’émotion poindre : “C’est vraiment une association géniale, qui aide à défendre les libertés civiles de chaque Américain. Des gens qui prennent en charge absolument tous les cas et aident à trouver des fonds pour engager les avocats dont on peut avoir besoin pour une affaire. Ils essaient d’aider tout le monde. Je trouvais ça mieux de m’impliquer avec une association qui possède un large spectre d’activités, plutôt qu’une autre plus spécifique. L’état de l’Amérique est vraiment étrange et, on peut le dire, merdique. Je fais ce que je peux, à mon échelle, mais je ferai certainement encore davantage à l’avenir.” Partant de là, il était évident que Ty Segall possèderait un avis bien tranché sur la récente polémique qui a secoué le petit monde du garage californien,
qui a vu Matthew Melton, leader de Dream Machine, signé chez Castle Face, et sa mie Doris tenir des propos très conservateurs sur les migrants, féministes et autres travailleurs illégaux : “C’est dingue. Je ne comprends pas leur façon de penser, c’est très embarrassant. Je ne suis d’accord sur rien de ce qu’ils ont dit. Je pense même l’exact contraire. Je n’ai donc rien à faire avec eux. On ne peut haïr une certaine catégorie de personnes pour une raison qui n’a rien à voir avec son comportement. Je ne cautionne aucun message négatif. Je fais de la musique pour permettre aux gens d’être ensemble. C’est la seule raison valable de faire notre métier.” Ceci évacué, retour à la musique. “Fried Shallots” est donc
une compilation de six titres inédits, laissés de côté jusque-là : “Ce sont des chansons qui datent des trois dernières années et qui n’avaient pas trouvé leur place sur les disques, mais qui allaient bien ensemble. Pour ‘Talkin’, il s’agit par exemple de la première version que nous avions réalisée, à l’époque d’ ‘Emotional Mugger’, avant de nous rendre compte qu’elle ne s’intégrait pas très bien au reste. La première chanson est une démo qui est ensuite devenue ‘Baby Big Man’ : les paroles sont similaires, mais le riff est complètement différent. Les autres ont été enregistrées ensuite, chez moi. Enfin, je les ai toutes associées avec une grande louche d’échalotes !” Un EP très réussi, qui comporte même une surprise avec “When The Gulls Turn To Ravens”, rare tentative country : “Je voyage avec quelques cassettes country et folk, avec du banjo. Ce qui m’excite, c’est d’essayer tout le temps des choses différentes en termes d’écriture. J’ai un paquet de chansons avec des idées bizarres qui n’ont jamais vu le jour parce que ça ne fonctionnait pas.” En tout cas, il ne sera pas le prélude d’un futur album. La suite, il n’y a que Ty Segall qui la connaît et il a comme à son habitude plusieurs projets sur le feu : “Je n’ai rien de spécial à annoncer, mais pas de nouvelle, bonne nouvelle, n’est-ce pas ? En fait, je suis sur plusieurs fronts. Je travaille avec Gøggs sur un deuxième album et, bien sûr, sur ma propre musique. J’ai produit un disque pour Lars Finberg de The Intelligence qui est prévu pour l’automne. On va aussi se retrouver avec Tim Presley de White Fence. Cette fois, on a convenu que nous n’allions pas écrire de musique avant de se rencontrer. Pour ‘Hair’, chacun avait écrit quelques chansons de son côté, mais cette fois on aimerait tout composer à quatre mains, dans mon studio. Cela fait beaucoup de choses en même temps, mais j’ai besoin d’être actif pour être heureux.” Ce qui est certain, c’est que les idées ne manquent pas chez lui. Sa récente et désormais étroite amitié avec King Tuff pourrait bien mener à une future collaboration. Il évoque aussi un concept-album constitué uniquement de ballades au piano, un opéra-rock sur “les
différentes façons d’échouer dans la vie”, ou bien encore l’exploration des styles no-wave ou noise. D’autres pistes sont encore plus surprenantes : “J’aimerais bien également travailler avec des producteurs de rap, comme Madlib, dont je suis un énorme fan. C’est quelque chose que je n’ai jamais fait et qui me paraît tentant. Je lance un appel, si quelqu’un a son numéro (rires). Il y a pas mal de musiciens à LA avec qui j’aimerais collaborer. Je voudrais faire quelque-chose avec Henry Rollins ou Keith Morris de Black Flag. Toutes mes idoles punk sont là-bas, mais ce n’est pas évident de les approcher. Peut-être qu’un jour, j’aurais les couilles de demander...” En attendant que ces prometteuses perspectives voient le jour, la popularité de Ty Segall ne cesse de grimper, comme on a pu s’en apercevoir à Rock En Seine. Etre une star, on le sait, n’est pas trop de son goût : “La célébrité, c’est bizarre en effet. Je n’en suis pas une à mon sens. J’aime le mystère. Une certaine forme d’anonymat m’excite en tant que fan de musique, surtout dans ce monde moderne où tout est offert sur un plateau. J’apprécie quand tu as besoin de réfléchir pour décoder ce que quelqu’un pense ou propose. Les réseaux sociaux sont comme une drogue, celle du monde où tu es la star. Si tu en es conscient, c’est bien, comme boire ou fumer de l’herbe. Je n’ai pas besoin de Facebook ou Twitter dans ma vie. J’essaie d’être présent ici et maintenant. Je préférerais même avoir un téléphone mural à l’ancienne et un agenda papier. C’était le bon vieux temps.”
Lourds tourments
En réalité, sous une façade solaire et enjouée, Ty semble cacher quelques lourds tourments à propos desquels il s’épanche de manière cryptique
dans ses textes : “Je n’ai pas peur de vieillir, mais plutôt de me maltraiter. Je viens d’avoir trente ans et je suis très heureux de laisser la vingtaine derrière moi. C’est comme un nouveau continent à explorer. Je crois que j’ai une certaine dose de paranoïa en moi, et d’autres problèmes psychologiques avec lesquels j’ai bataillé ces dernières années. C’est une forme de thérapie que d’écrire des chansons dessus... ‘Emotional Mugger’ est un disque très paranoïaque et c’est mon préféré, justement parce qu’il est difficile d’accès.” L’avenir, en tout cas, ne lui fait pas peur. La liberté quoiqu’il advienne, véritable mantra, revient une nouvelle fois en guise de conclusion : “Je pense toujours à la manière qu’à Neil Young de ne pas trop se formaliser lorsqu’il réalise ses albums. C’est une grande influence pour moi. Ne jamais enregistrer un disque pour avoir une bonne critique ou du succès, mais plutôt fabriquer celui qui te fera penser que tu as réussi ce que tu voulais entreprendre. Etre libre, voilà mon credo.” ★