Rock & Folk

LIAM GALLAGHER

Le chanteur d’Oasis tournait quelque peu en rond depuis le split de Beady Eye. Trois ans de réflexion, quelques insultes à son frère et le Mancunien revient en artiste solo. Il s’en explique, non sans une certaine drôlerie.

- RECUEILLI PAR JEROME REIJASSE

Rencontrer Liam Gallagher. En 2017, pour qu’il parle de son premier album solo, “As You Were”. Évidemment. Il y a des rendez-vous qui ne se refusent pas. Le disque sera disponible en octobre. Le 6. En attendant, on a le droit d’écouter cinq chansons : “For What It’s Worth”, “Wall Of Glass”, “Bold”, “All I Need And More” et “Paper Crown”. Du rock’n’roll mélancoliq­ue, des ballades fédératric­es, plutôt dépouillée­s, avec cette voix qui fait toute la différence. Peut-être aussi un côté plus brut, presque punk, quand les guitares rongent plus qu’elles ne caressent. Liam fait du Liam, sans Oasis mais avec toujours la même arrogance salutaire, la même foi inébranlab­le. Pas loin de la gare de l’Est, il attend dans un bar d’hôtel, alors que la canicule dévore le bitume parisien. Liam a chaud mais garde sa parka. “Je préfère transpirer et rester beau gosse” précise-t-il. Bien sûr.

“CE N’EST PAS UN DISQUE QUI PREND LA POSE, C’EST UN DISQUE DIRECT, VISCERAL, COMME LES PUTAINS DE SEX PISTOLS”

“SI KIM JONG-UN DECLARAIT AIMER OASIS, JE SERAIS BIEN EMBETE”`

ROCK&FOLK : Bonjour Liam. J’ai quelque chose à vous donner... ? Liam Gallagher : C’est quoi ? Un cocard (rires) ?

R&F : Non, non, c’est un cadeau. Je vous le donnerai peut-être à la fin de cet entretien...

Liam Gallagher : Je vais tout faire pour le mériter alors ! Putain, ce qu’il fait chaud ! Putain de canicule mec ! On se connaît, non ? On ne s’est pas déjà parlé? R&F : Il y a bien longtemps. Nous étions jeunes et vous dominiez alors le monde... Liam Gallagher : Je suis de retour. Liam est de retour !

R&F : Que pouvez-vous nous dire sur ce disque solo, on a reçu très peu d’informatio­ns ?

Liam Gallagher : Moi non plus, je n’ai reçu aucune informatio­n (rires). Le titre de l’album, déjà, c’est “As You Were”. J’en avais la traduction en français mais je l’ai oubliée. Je pense qu’on pourrait le traduire par quelque chose comme de retour aux affaires ou on remet ça ou la vie

continue... C’est une phrase pas mal utilisée en Angleterre. Enfin, peu de monde s’en sert mais moi, je l’utilise tout le temps. C’est un bon titre.

R&F : Combien de chansons sur cet album ?

Liam Gallagher : Douze. Et j’en suis vraiment ravi, ça sonne vraiment bien. Je voulais juste que les chansons ne perdent pas leur intensité, leur côté à vif, en étant trop mixées. Si ça ne tenait qu’à moi, je ne ferais même pas de mix. Je les balancerai­s comme elles sont, comme elles sonnent quand elles sortent de la console. Les mixages d’envergure, ce n’est pas pour moi, ça étouffe tout. Laisse ces putains de chansons comme elles sont ! Va falloir que je sois très attentif... J’ai écrit et enregistré quelques chansons avec Greg Kurstin, un mec de Los Angeles, qui joue dans un groupe avec Beck et qui a travaillé avec Paul McCartney. J’ai aussi beaucoup bossé avec Dan Grech, le cousin de Nigel Godrich. On a écrit et enregistré les trois premières chansons en trois jours en Californie. Je suis ensuite rentré en Angleterre et j’ai écrit d’autres chansons. Cette première session à Los Angeles m’avait complèteme­nt boosté !

R&F : Il y a quelques temps, vous aviez eu cette phrase formidable à propos d’un éventuel album solo : “Un disque solo ? Tu tripes ou quoi, tête de bite? Je ne suis pas une salope...” ?

Liam Gallagher : Je dois être une salope, alors (rires) ! Non mais à l’époque, je ne voulais vraiment pas faire de disque solo. Pour moi, il y a trop d’artistes solo dans le monde, qui feraient mieux de jouer dans des groupes. Il y a trop de grands groupes qui ont disparu parce qu’une tête de bite voulait absolument tenter sa chance en solo, voulait honorer son ego et rien d’autre ! Ce genre d’attitude fait souffrir à chaque fois tous les autres membres. Aujourd’hui, honnêtemen­t, je préfèrerai­s être dans Oasis, être là pour te parler d’Oasis. Beady Eye, j’ai adoré, c’était super, vraiment. Mais ce n’était pas Oasis non plus, hein, faut s’avouer les choses. Même si j’en étais très fier. Et donc, ce disque solo, pour moi, c’est un peu comme le dernier lancer de dé, je...

R&F : Le dernier lancer de dé ? Pourquoi ? Vous allez mourir ou arrêter la musique si jamais ça ne prend pas ?

Liam Gallagher : Non, je ne vais pas mourir. Je vais même peut-être vivre éternellem­ent... La musique est une partie de ma vie. Je ne me réveille pas le matin en hurlant : “Musique, musique, musique !”. J’aime la musique mais elle n’est pas non plus une obsession. J’aime plein d’autres choses dans la vie. Si les gens n’achètent pas mon disque, je ne vais pas me faire sauter le caisson. Je ferai juste quelque chose d’autre, loin de la musique... Je croise les doigts pour que ça fonctionne mais sinon...

R&F : Sinon, vous arrêtez ? C’est plutôt définitif, non ?

Liam Gallagher : Je pense que je devrais arrêter, mec. Ce disque, c’est le meilleur que je puisse faire. Je n’écrirai jamais un disque de reggae ou de dance, ce disque, c’est ce que je sais faire. Je ne vais pas forcer le monde à m’aimer s’il n’en a pas envie, je ne suis pas stupide, même si, parfois, on pourrait le penser (sourire malicieux). En toute franchise, s’il ne se passe rien avec ce disque, ça va quand même me faire du mal. J’aurais alors besoin de prendre un peu de recul, loin, très loin, pour panser mes blessures. Et on verra bien ce qu’il se passera ensuite... Les vingt dernières années, je me demandais sans cesse : “C’est quoi

la suite ? C’est quoi la suite ?”. Je ne parvenais pas à apprécier à sa juste valeur l’instant présent, je devais toujours aller de l’avant. J’ai changé. Je vais voir ce qu’il va se passer avec ce disque et j’en tirerai certaines conclusion­s...

R&F : Sur ce disque, on retrouve des musiciens passés par BabyShambl­es, Kasabian, Beady Eye. Travailler avec Liam Gallagher ne fait donc pas peur finalement ?

Liam Gallagher : Bien sûr que non ! Je suis super cool ! Je ne sais pas pourquoi les gens me voient comme ce mec invivable. Je suis cool à vivre, mec ! Travailler avec moi, c’est vraiment tranquille, aucun problème ! Je suis bien moins casse-couilles que plein d’artistes. Je ne suis pas un dictateur, je n’ordonne pas aux musiciens de faire tel ou tel truc. Et puis, je suis vraiment trop beau pour être un dictateur. Regarde, Trump, Hitler, Staline, que des petites salopes toutes moches (rires).

R&F : Et alors, ce disque, vous le décririez comment ?

Liam Gallagher : C’est un vrai album déjà, pas juste des chansons compilées. Et c’est ce que j’ai fait de plus honnête jusqu’ici ! Je me suis bien cassé la tête sur les paroles et les mélodies, c’est le disque le plus personnel que j’aie enregistré. Sans le moindre putain de doute ! C’est un disque avec un vrai esprit, un disque sensible, avec des vraies guitares, du putain de rock’n’roll si tu as envie de l’appeler comme ça... Ce n’est pas un disque qui prend la pose, c’est un disque direct, viscéral, comme les putains de Sex Pistols. C’est vraiment bon d’être de retour. Je n’en pouvais plus de glander à la maison. L’ennui peut tuer un homme. Et depuis le split de Beady Eye, je m’ennuyais comme un rat mort ! Quatre ans à la maison à ne rien foutre, à trop boire, à trop parler dans le vide. Ouais, c’est toujours mieux que de creuser des trous toute la journée pour payer ton loyer mais moi, j’ai besoin de chanter du rock’n’roll, je suis venu sur cette planète pour ça, j’étais fait pour ça. Je dois être sur scène, je dois être dans la rue. Je ne suis pas fait pour rester sur un canapé.

R&F : Les chansons ressemblen­t parfois à des ballades...

Liam Gallagher : Elles ont toutes été écrites avec une guitare acoustique. L’acoustique et ma voix, ça a toujours bien fonctionné. Si j’avais fait un truc de rock pour les stades, j’étais foutu mec. Moi, j’aime la guitare acoustique, elle est comme une percussion qui sert ma voix. Et puis, évidemment, je suis un vrai taré de John Lennon. Je ne peux pas m’en empêcher. Mais je ne voulais surtout pas ressembler aux vieux Guns N’ Roses.

R&F : Quand vous parlez de ce disque, on a l’impression que vous aviez besoin aussi de retrouver un certain état d’esprit, quelque chose de peut-être plus DIY, plus punk...

Liam Gallagher : Ouais, mec ! Avec Oasis, on avait 25 amplis, 400 guitares, 500 claviers, c’était la démesure. Là, on a trois guitares, deux amplis, une batterie, on aurait pu voir bien plus grand mais ce n’était pas la question. Il fallait revenir aux racines du truc, être plus instinctif­s...

R&F: De quoi parlent ces nouvelles chansons ?

Liam Gallagher : De paix, d’amour, de colère, de haine, de jalousie, d’admiration, de toutes les émotions humaines en fait. Mais moi, j’aime tout le monde. Je suis un homme de paix. Bien sûr, ici et là, je pointe certaines errances, y compris les miennes mais personne n’est parfait et je l’accepte. Je ne suis pas un flic, un juge ou un dieu. C’est un disque d’amour mais pas seulement. Amour, haine et espoir, mec.

Je ne suis pas Bono

R&F: En avez-vous écrit une sur votre frère?

Liam Gallagher : Pas vraiment mais si vous tendez bien l’oreille, il se peut que Noel apparaisse ici ou là... C’est mon frangin. C’est comme ça. Au moins, quand on a quelque chose à se dire, on ne prend pas de pincettes, on y va, frontal. Aujourd’hui, on ne peut plus rien dire. Il faut faire gaffe au moindre mot prononcé, c’est épuisant. Avec Noel, on a toujours préféré la franchise, que ce soit dans l’intimité ou devant les micros, on s’en branle.

R&F : Parlons d’autre chose : avez-vous pu voir la Garde républicai­ne interpréte­r “Dont Look Back In Anger” avant le match amical France-Angleterre au Stade de France ?

Liam Gallagher : C’était terrible, mec, vraiment terrible... Désolé d’être sincère mais ce n’était vraiment pas bon. Ça partait d’un bon sentiment, c’était un geste vraiment adorable mais le résultat... Ce n’est pas pour moi, non... Mais je reste fier quand les chansons d’Oasis sont reprises pour ce genre de célébratio­n. Et puis, il vaut mieux, à l’heure actuelle, alors que tout part en vrille, se raccrocher à une chanson qu’à un discours politique. Je me suis senti honoré, quand même... Tu ne vas pas me parler de ce qu’a fait mon frère, hein ? Ce gros con n’a pas daigné se pointer au concert en hommage aux victimes de Manchester... Que veux-tu que je te dise ? Il n’avait qu’un avion à prendre, quel branleur... Je n’y suis pas allé pour me faire de la pub, pour me montrer avec Coldplay. Je me devais d’y être, point barre. Et j’en étais fier, c’était ma putain de ville, mes putains de gens ! Si on n’avait pas voulu de moi, j’y serais allé quand même. Moi, j’appartiens à cette catégorie qui pense que la musique peut vraiment changer le monde. Si une chanson peut changer la vie des gens, elle peut donc influencer le monde. C’est prouvé ! Les hommes politiques n’écoutent pas de musique, ou alors de la techno merdique ou du heavy metal. Aucun d’eux ne semble être sensible à la mélodie. Si Kim Jong-un déclarait aimer Oasis, je serais bien embêté...

“LES HOMMES POLITIQUES N’ECOUTENT PAS DE MUSIQUE, OU ALORS DE LA TECHNO MERDIQUE OU DU HEAVY METAL”

R&F: Ces attentats, cette crise totale que traverse le monde, cela affecte-t-il votre façon de composer?

Liam Gallagher : Ecoute, ces enculés ne parviendro­nt jamais à me soumettre. Ils peuvent multiplier les saloperies, je me lèverai toujours le matin pour faire mon truc. Peut-être même pour en faire encore plus. Je crois que je reviens au bon moment. Je ne reviens pas pour sauver les gens mais pour jeter un pavé dans la mare. Quand c’est la merde dehors, tu n’as pas envie que Liam Gallagher reste chez lui à glander. Tu veux qu’il monte au front ! Bataclan, Manchester, c’est la même ! On vit tous sous le même ciel, mec ! Quand c’est arrivé, j’étais dévasté et très en colère ! Enculés de merde ! Ils ont flingué des gamins, ces salopes ! Que tu sois de Daech ou de n’importe quel groupe terroriste, tu es juste une salope frustrée. Il n’y a pas de mot pour décrire cette horreur. Et je n’oublie pas que toute cette merde vient aussi de nos politicien­s. Sans leur avidité, leur cynisme, on ne crèverait pas dans nos rues. Mais pour répondre à votre question, je ne suis pas Bono. Je ne guette pas la moindre crise pour me jeter sur ma guitare et écrire une chanson universell­e, non... R&F: Histoire de revenir à quelque chose de moins atroce, vous avez failli mourir à cause d’un M&M’s bleu, est-ce vrai ? Liam Gallagher : C’est vrai, oui. Imagine la scène : J’étais dans une chambre d’hôtel, je mange ce bonbon à la con et je fais une allergie qui manque de me tuer (rires). A la Elvis ! Pathétique. Ça aurait fait une belle épitaphe putain : Ci-gît Liam Gallagher, étouffé par un M&M’s bleu. La honte.

Echarpe collector

R&F : Avant votre disque solo, on a pu voir “Supersonic”, ce documentai­re sur Oasis. Extraordin­aire.

Liam Gallagher : Merci mais moi, ce documentai­re, je ne l’aurais pas arrêté là. J’aurais tout raconté, absolument tout. Même les choses les plus sombres, les moins avouables. Il fallait raconter toute l’histoire, en profiter pour boucler la boucle. Mais c’est un bon documentai­re. Ma mère y est juste fantastiqu­e. Elle est même meilleure que moi (rires). Je l’aime. R&F : Quand on regarde “Supersonic”, on ne peut s’empêcher de vous voir, vous et Noel, comme des connards cool. Liam Gallagher : Je prends ! J’aime ça ! Je suis un connard cool. C’est exactement ça ! R&F : Ce disque solo, est-ce aussi pour vous une façon de prouver aux mecs d’Oasis que vous êtes capable de le faire encore ?

Liam Gallagher : Non, je n’ai pas besoin d’écrire des chansons pour prouver que je peux encore le faire. Je peux le faire, putain, quand je veux, où je veux. Avec qui je veux. Mais je ne me considère pas comme l’un des plus grands songwriter­s sur terre. Je me vois plus comme le chanteur rock’n’roll. Ça ne m’a jamais dérangé de chanter les chansons des autres. En tant que songwriter, je suis plutôt limité. Même si, quand j’écris, je trouve ça cool. Mais Elvis n’a pas eu besoin d’écrire des tonnes de chansons pour être adulé. Et ce qui convient à Elvis me convient tout à fait (rires). Non, je suis juste ravi d’être de retour. D’être là, à Paris, à parler avec toi de ma musique. Oasis ? On verra bien. Qui peut savoir ? Je respire encore, Noel respire encore. On ne sait jamais... L’entretien est terminé. “Tu n’avais pas un cadeau pour moi ?” demande Liam, impatient. On lui tend une vieille écharpe collector du PSG, une écharpe d’avant le Qatar. Il semble touché, lui, le supporter de Man City. “Oh mec, c’est vraiment pour moi, tu me la donnes ? Je te promets

une chose : Si je joue à Marseille, je me pointe sur scène avec...”. Liam Gallagher n’a vraiment peur de rien. Et c’est probableme­nt aussi pour ça qu’on ne peut s’empêcher de l’aimer depuis tant d’années.

“MON FRERE ? CE GROS CON N’A PAS DAIGNE` SE POINTER AU CONCERT EN HOMMAGE AUX VICTIMES DE MANCHESTER”

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