Rock & Folk

GRETSCHORA­NGE, MAGRITTE, MINI COOPER VIOLETTE & PORSCHE 550 SPYDER

L’évocation de la mort du chanteur de T Rex dans un accident automobile le 16 septembre 1977 a été prétexte pour notre conteur punk à une plongée dans les mythologie­s du rock, remontant jusqu’au fameux crash de Buddy Holly...

- PAR PATRICK EUDELINE

L’oeuvre “16 Septembre” de Magritte est l’une des plus célèbres du peintre surréalist­e belge. Les fans de Bolan les plus dévoués sont régulièrem­ent allés la voir en pèlerinage. Ce tableau d’un sycomore, qu’adolescent, le jeune Mark Feld gardait dans son portefeuil­le (une carte postale achetée au Louvre), fut peint entre 1954 et 1956. On y voit une lune montante traversant sans rime ni raison l’épaisseur du feuillage. Le 16 septembre 1977, Marc Bolan, comme on le sait s’est crashé contre un sycomore... La lune était en phase semblable. Depuis toujours, Bolan était persuadé de mourir avant ses trente ans, façon James Dean. Son dernier single “Celebrate Summer” comprenait la phrase suivante :

“Summer is heaven in 1977.” Certes. Et son hit “Solid Gold Easy Action” ? “Easy as picking foxes from a tree.” Le numéro d’immatricul­ation de la Mini violette de Gloria Jones qui empala le légendaire sycomore, était FOX 661 L. Une très ancienne malédictio­n pesait sur Marc Bolan. Un signe. Il avait porté la guitare de Eddie Cochran, quand celui-ci était venu jouer dans sa ville en 1960. La Grestch Chet Atkins orange au micro changé pour un P-90... Celle-là même que le sergent Dave Harman reconnut de suite, alors qu’il était appelé pour se rendre sur les lieux d’un accident, sans plus de précisions... La caisse de guitare éventrée gisait. Au milieu, la guitare, éjectée de la voiture. Il reconnut tout de suite — au micro changé bien sûr — l’unique Grestch d’Eddie. Et il hurla à ses collègues : “Cochran est mort. C’est Eddie !” Rentré au poste de police avec la guitare légendaire, il s’isola avec l’objet. Le signe était une évidence, un message des dieux. Il ne pouvait plus hésiter. Il se devait de faire “Just Like Eddie”... Il devint Dave Dee, le chanteur de Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick And Tich. Dave Dee arrêta sa carrière en 1969, alors que son groupe connaissai­t une suite de tubes ininterrom­pue, et avait survécu aux hippies, au british blues, au prog rock. Persuadé que, s’il continuait, il mourrait sur scène ou en se rendant à un concert, dans un accident de voiture. Comme Eddie et les autres. Il y avait un pacte. Le succès, mais pour un temps. Comme Bolan plus tard et tel Cochran. Aujourd’hui, la guitare mythique repose au Rock And Roll Hall Of Fame de Cleveland. Mais ceux qui savent hésitent à aller se recueillir devant elle.

Cochran, dont l’avant-dernier single,

inutile de le rappeler, se dénommait bien sûr “Three Steps To Heaven”. Comme Buddy Holly et son “That’ll be the day when I die” ? Buddy Holly qui voulait absolument que son ami Dion prenne avec lui l’avion qu’il avait loué, plutôt que de se fader le glacial voyage dans un car brinquebal­ant et sans chauffage jusqu’au prochain gig. Le voyage en avion revenait à 36 dollars par personne. Mais Dion avait refusé. Enfant, il avait entendu sa mère se plaindre chaque mois du loyer exorbitant. De 36 dollars, précisémen­t.

Il ne pouvait, en honneur à sa mémoire, gaspiller une telle somme en un unique voyage. Lui, le wanderer. Waylon Jennings, éphémère musicien de Buddy Holly, quant à lui, avait laissé sa place à Ritchie Valens. Holly lui avait fait remarquer : “Tu vas attraper la crève dans ce bus sans chauffage. Pire, tu vas avoir un accident !” Jennings lui avait répondu : “Et toi, tu vas te crasher avec cet avion !” Ce sont les derniers mots qu’il devait échanger avec le chanteur. Des mots qu’il devait porter, bien sûr, en lui à jamais.

Mais toutes les malédictio­ns du rock, tous ses présages,

sont fils du mythe premier : comment James Dean a froissé les puissances tutélaires. Les films d’horreur, en ces fifties, étaient à la mode. Ils étaient avec le rock, qui n’était encore alors que jump, blues ou boogie, ou les beatniks, le seul moyen d’éclater l’étroitesse du rêve américain, ses limites convenues. Et d’y introduire un peu de démesure, un ailleurs. “The Vampira Show” débarqua à la télévision en 1954, sur KABC, pour un programme nocturne. Une nuit de films de série B. Merveilleu­sement nuls pour la plupart, bien évidemment, et comme il se doit. Science-fiction, horreur, fantastiqu­e... Le personnage de Vampira, une Morticia Addams mâtinée de Garbo était tenu par Maila Nurmi. Une émigrée finnoise qui préparait son coup depuis longtemps. En fait, Maila appartenai­t à une église sataniste, ancêtre de celle d’Anton LaVey. Les choses sont tellement plus convaincan­tes quand on y croit vraiment. James Dean, bisexuel guère convaincu, obsédé par le sado-masochisme et toutes les transgress­ions, fut immédiatem­ent attiré. Maila allait l’initier. Ils eurent une brève aventure. Maila Nurmi devint une figure de la bande du Googie’s de Sunset Boulevard, le bar de nuit où Dean et les siens se réunissaie­nt. Une aventure que James Dean nia dans la presse quand la rumeur se mit à courir. Il s’était laissé persuader par ses agents que cette fiancée-là n’était absolument pas présentabl­e. Mais Nurmi le vécut fort mal et prépara une malédictio­n sur Dean. Pendant le tournage de “La Fureur De Vivre”, elle lança donc un sort sur la voiture que James Dean venait d’acheter, sur Dean lui-même et sur les acteurs de sa bande. Les acteurs ? A part Dean, lui-même... Sal Mineo est mort poignardé, Nick Adams fit une overdose et Natalie Wood s’est noyée. Mais la plus chargée en vibrations délétères, sans doute, était la voiture.

On le sait. James Dean acheta sa Porsche pour participer à une course.

Celle de Salinas. Celle-là même où il se rendait le jour de l’accident. Une Porsche 550 Spyder. Achetée par Dean dans une concession de Los Angeles, en compagnie de Nick Adams et Ursula Andress. Le premier essaya de le dissuader. La seconde refusa obstinémen­t de monter dedans. George Barris qui avait préparé la voiture pour Dean, alors qu’il travaillai­t au magasin, sentait lui aussi comme une aura indéfiniss­able, un malaise. Il essaya même de dissuader Jimmy Dean. Il y avait quelque chose dans cette voiture. Ils le sentaient, tous. Même Alec Guinness qui prédisait carrément à Dean : “Tu vas te tuer avec !” Mais Dean n’en eut cure et surnomma la Porsche Little Bastard. Le matin du 30 septembre, sur la route de Salinas... On connaît la suite.

La suite ? George Barris voulut racheter la voiture.

Histoire de la revendre aux fans en pièces détachées. Ce qu’il fit. Le jour même où la Porsche lui fut livrée, elle se détacha des sangles qui la retenaient et causa son second mort : le chauffeur qui la conduisait. Les premiers clients furent deux médecins, dévots de Dean et de courses de voiture. Ils achetèrent le moteur et la transmissi­on. L’installère­nt dans leurs propres bolides. A la première course, à Pomona, les deux auront un accident. Un des deux meurt sur le coup, le second reste paralysé à vie. Barris vendit les pneus... Qui explosèren­t tous en même temps à leur première sortie. George Barris renonça alors à continuer de vendre les pièces détachées. Mais accepta de prêter la voiture à la sécurité routière pour une tournée d’exhibition. Quelques semaines avant l’accident, James Dean avait accepté de tourner un message pour eux, expliquant aux jeunes les dangers de la vitesse. Exposer la Porsche pouvait sembler une bonne idée, histoire d’enfin persuader la jeunesse des dangers d’une conduite trop sportive. On entreposa la Porsche dans un garage. La nuit suivante, un incendie inexpliqué se déclara, brûlant toutes les voitures. Toutes, sauf la Porsche de James Dean évidemment. On présenta la Porsche à sa première exhibition... Le soir venu, alors qu’elle était exposée dans les airs, arrimée à des filins, le capot se détacha et tomba sur un adolescent, le tuant sur le coup. Le jour anniversai­re de l’accident. Un 30 septembre. On emmena néanmoins la Porsche pour une nouvelle exposition. A Salinas. Il y eut un accident de la route... dont le chauffeur se tira indemne en un premier temps. Hélas la remorque où était enfermée la Porsche se détacha subitement et le tua sur place. Trois autres accidents mortels eurent lieu encore. Jusqu’en 1958. Et puis la Porsche, un jour, sans raison apparente, d’une manière totalement inexpliqué­e, se désintégra en onze morceaux distincts. Barris, lassé et inquiet, renonça à tout déplacemen­t. Pire, il voulut envoyer la voiture à la casse. Qu’on n’en parle plus. Ce qui fut fait. Mais quand la remorque contenant la Porsche arriva sur place et qu’on en ouvrit la porte... Elle était vide. La Porsche avait disparu. Rien n’avait été forcé, les joints étaient intacts. Aucune trace d’effraction. Mais la Porsche n’était plus là. La voiture de James Dean ne fut jamais retrouvée depuis.

L’émission de Maila Nurmi s’arrêta vite.

La chaîne voyait d’un mauvais oeil les rumeurs qui couraient. Ce fût le choc en retour, comme en toute opération de magie. Maila retourna à l’anonymat. Posa même de la moquette dans les années soixante, avant de traîner, vers 1977 avec la scène punk locale, Misfits en tête. Pleurée par la communauté gothique et sataniste, la Mater dolorosa première, la Vampira originelle, Maila Nurmi, s’est éteinte en 2008. Bienvenue au mois de septembre 2017.

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Ceci n’est pas un portrait de Marc Bolan

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