Rock & Folk

ROXY MUSIC

En 1972, une bande d’extraterre­stres londoniens réalisait un coup de maître avec son premier album, mélange unique de glamour, d’intelligen­ce et d’imprimés léopard. Le guitariste Phil Manzanera revient avec bonhomie sur l’histoire.

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Il s’agit de célébrer un premier album. De folie. Publié en juin 1972. Par le groupe Roxy Music. Le plus important d’Angleterre après les Beatles. Ça se discute ? En fait, pas vraiment. Ceux qui n’ont pas eu le privilège de se prendre “Roxy Music” de plein fouet mourront sans savoir ce qu’ils ont loupé. De beau et d’intense. De fort et d’improbable. De dingue et de sexy. On peut bien le dire, un peu moins de quarante-six ans après sa sortie (drôle d’anniversai­re, Virgin a dû s’emmêler les pinceaux dans le calendrier) : ce disque est un miracle. Comme le groupe qui l’a conçu. Comme le reste de sa discograph­ie dont les points faibles, bien sûr, font ressortir les forts. Roxy Music, dès son premier 33 tours, est parvenu à faire un truc rare : jouer et vendre du rock intelligen­t au public.

Groupe avant-rock

Qu’on se comprenne bien : le groupe devra attendre son troisième album, “Stranded”, publié fin 1973, pour atteindre la cime des charts, mais le premier et le deuxième (“For Your Pleasure”), qui ont emballé la critique, ont fait mieux que lui paver le chemin. Et pourtant, un an plus tôt, alors que grossissai­t la vague glam dont Roxy Music a bénéficié, rien n’était gagné. Sweet, Slade ou Gary Glitter faisaient mousser l’écume avec des singles rigolos, mais T Rex n’allait pas tarder à perdre des paillettes. Quant à David Bowie, il devra aussi attendre 1973, après avoir ramé pendant près de dix ans, pour décrocher un croissant de lune avec “The Jean Genie”, “Drive-In Saturday” et, hum, “The Laughing Gnome”. Pour raconter Roxy Music jusqu’à ce premier album du tonnerre, il faut un livre que Michael Bracewell a d’ailleurs écrit en 2007 (“ReMake/ Re-Model”, éditions Faber & Faber) et qui est tellement chouette qu’aucun éditeur français n’a jugé nécessaire de le traduire. On ne va donc pas refaire ce monde-là à la place du brillant écrivain, mais rappeler que, effectivem­ent, Roxy n’a jamais été seulement une affaire de musique. L’aspect esthétique, l’approche expériment­ale, l’envie d’être différent à tout prix (mais sans obligatoir­ement intellectu­aliser) ont prévalu lors de la conception du premier 33 tours. Lorsque le groupe l’enregistre, il est constitué de Bryan Ferry (voix, claviers), Phil Manzanera (guitare), Andy Mackay (saxophone, hautbois), Brian Eno (synthétise­ur et bandes magnétique­s), Graham Simpson (basse) et Paul Thompson (batterie). Quatre des musiciens ont fréquenté des écoles d’art (entre eux, ils discutent autant d’Elvis Presley et de John Coltrane que de Derek Boshier et Andy Warhol) et tous ont été choisis par Ferry et Mackay, pour leur

compétence ainsi que leur singularit­é. Manzanera est le dernier à

avoir été recruté : “Je jouais dans un groupe qui s’appelait Quiet Sun, mais un jour, Robert Wyatt a décidé de monter le sien, Matching Mole et a demandé à Bill McCormack, notre bassiste de le rejoindre. Quiet Sun a donc splitté, mais avant de partir, Bill m’a appris que Roxy Music avait mis une petite annonce dans le Melody Maker, que le groupe cherchait un guitariste. Il m’a suggéré d’y jeter un oeil et quand j’ai lu l’annonce (‘groupe avant-rock recherche le guitariste parfait : original, créatif, flexible, mélodique, rapide, lent, élégant, vif, effrayant, stable, épineux’),

je me suis dit ‘OK, ce job est pour moi !’ Je suis allé chez Andy et Bryan qui habitaient une petite maison à Notting Hill, mais j’ai loupé l’audition. Par contre, je me suis aussitôt bien entendu avec eux. Nous avions beaucoup de goûts en commun et, par la suite, nous nous sommes régulièrem­ent croisés et avons fini par devenir très amis.”

Elément perturbate­ur

Phil Manzanera ne va pas se démonter. En décembre 1971, un de ses proches qui gère l’éclairage de scène de Roxy Music l’emmène à un concert et Manzanera constate que l’ambiance n’est pas top entre le

guitariste, David O’List, ex- Nice, et le reste du groupe : “A cette époque, ils se trimballai­ent dans une camionnett­e que conduisait Bryan, avec tout leur équipement à l’arrière et Eno qu’ils arrivaient à caser entre les haut- parleurs parce qu’il était petit. Bien sûr, ils n’avaient pas de roadies et devaient porter leurs instrument­s eux-mêmes… Sauf que O’List, qui avait déjà joué dans un groupe à succès, ne voulait rien trimballer. Fin janvier 1972, le jour de mon anniversai­re, j’ai reçu un coup de fil de Bryan qui me demandait de venir mixer le son du groupe. J’avais peur de ne pas être à la hauteur, mais il m’a fait comprendre que ça allait bien se passer et qu’en plus, Eno serait à côté de moi. Il faut savoir qu’à cette époque-là, aux concerts de Roxy Music, Eno jouait du synthétise­ur depuis la console parce que sa présence sur scène rendait tout le monde nerveux ! En arrivant, j’ai remarqué que le guitariste était absent. Puisque je connaissai­s la plupart des morceaux, ils m’ont proposé de jouer en attendant qu’il arrive. Sans le savoir, j’étais en train d’auditionne­r pour la seconde fois et là, j’ai décroché le job ! La semaine suivante nous avons signé avec EG (l’agence de management de David Enthoven et

John Gaydon). Un mois après, nous étions en studio pour enregistre­r le premier album, et quatre semaines plus tard, le disque était dans les charts. Tout est allé à une vitesse phénoménal­e. J’avais l’impression que c’était Noël tous les jours. Et le plus fou, c’est que quarante-six ans après, nous sommes là, en train de parler de ce fameux premier disque !”

“Une chose est certaine : si un jeune groupe se présentait aujourd’hui avec cette musique-là, personne ne le signerait”

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52 Roxy Music
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