A. SAVAGE
L’une des têtes pensantes de Parquet Courts s’est offert un peu de vacances. Le temps de peindre quelques toiles et d’enregistrer un splendide album.
Après une année de pause avec Parquet Courts, Andrew Savage vient défendre à Paris son premier album solo. C’est à l’étage du Pop-Up du Label, enfoncé dans de cossus fauteuils en cuir, que l’on rencontre le productif songwriter qui, sous des abords austères — rondes bésicles et fringues normcore — se montre disert et évidemment fort érudit.
Réserve indienne
ROCK&FOLK : Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse de ce disque ?
Andrew Savage : J’ai commencé à y réfléchir il y a deux ans. Je savais que j’avais sous la main quelques vieilles compositions, certaines datant de plus de dix ans et qui ne correspondaient pas aux groupes dans lesquels j’étais à l’époque. J’ai écouté tout ce que j’avais en stock et ai essayé de trouver un dénominateur commun, une thématique. En l’espace de six mois, entre décembre 2016 et juin 2017, j’ai tout enregistré avec Jarvis Taveniere et Aaron Neveu de Woods ainsi que Jack Cooper d’Ultimate Painting — ces troislà m’accompagnent d’ailleurs ce soir — et bien d’autres encore. Cette expérience différente a aussi nourri mon écriture pour le prochain album de Parquet Courts. R&F : On y trouve quelques morceaux assez country. D’où vient cette influence ? Andrew Savage : J’aime bien la country, ayant grandi avec un certain nombre d’artistes comme David Allan Coe, George Jones, Merle Haggard, Waylon Jennings, Willie Nelson, Gram Parsons... Mais mes chansons ne sont pas vraiment country au sens strict, je dirais plus qu’elles se rattachent à cet univers. Si tu les passais dans un bar au Texas, il y aurait des chances pour que certaines personnes dansent, mais aussi que d’autres se regardent en disant : “Qu’est-ce que c’est que ce truc ?”
R&F : “Eyeballs” est assez poignante. Elle parle d’une rupture ? Andrew Savage : Pas vraiment une rupture, plutôt une dispute. R&F : C’est un thème qui parcourt tout l’album. Andrew Savage : Cela parle d’une relation, oui... R&F : “Buffalo Calf Road” a-t-elle une résonance politique ?
Andrew Savage : Oui. Je fais le lien entre la bataille de Little Bighorn et la mobilisation de Standing Rock. Il y a eu une vive protestation à cause d’un pipeline qui a été construit à travers une réserve indienne, et qui pollue l’eau. Cela casse une promesse du gouvernement qui était de ne plus empiéter sur leurs terres. C’est un triste événement qui s’ajoute à la tragique histoire entre les Américains et les Amérindiens. Il y a un rapport avec la colonisation, l’impérialisme et la volonté d’expansion. Des crimes sont commis au nom du capitalisme et il faut y mettre un terme. R&F : Sur l’album, on note aussi une certaine ironie récurrente à propos de la religion. Qu’en est-il ? Andrew Savage : Je n’ai pas de religion mais, gamin, j’étais catholique et même enfant de choeur.
L’identité chrétienne était importante pour mes parents. A treize ans, je leur ai annoncé que je n’étais pas croyant, mais j’ai continué le catéchisme pour qu’ils soient heureux. Ils voulaient que nous ayons l’air d’une famille respectable. R&F : Les textes de “Phantom Limbo” ou “Thawing Dawn” sont assez cryptiques.
Andrew Savage : Mes chansons évoquent souvent des fragments de souvenirs qui reviennent, et dont on ne peut s’échapper. L’enfance, le Texas font partie de ce que je suis, et il serait malhonnête de vouloir l’ignorer. L’auditeur ne peut donc pas savoir ce qu’il y avait dans ma tête au moment de l’écriture, mais ces visions peuvent faire écho à un moment de sa vie. C’est cette forme d’interaction qui m’importe.
Mes peintres favoris
R&F : Vous êtes aussi peintre. Pouvez-vous nous parler de votre vision et de vos influences ?
Andrew Savage : Il y a un parallèle entre mon travail en tant que peintre et celui de parolier. Mes toiles se rapportent à des choses qui restent en mémoire et à la façon dont notre esprit comble les manques par la création, car il essaie de corriger ce que l’on a oublié. C’est un concept qui m’intéresse beaucoup. Je dessine donc toujours de tête, sans modèle. Mes peintres favoris sont Picasso, Matisse, Jacob Lawrence, John Wesley, Stuart Davis ou encore Kerry James Marshall pour citer un artiste contemporain. J’aime la manière dont Kandinsky nous parle de la couleur, de son aspect émotionnel. J’ai eu droit à trois expositions et des commandes de tableaux pour décorer les chambres d’un hôtel à Los Angeles. 2017 a été consacrée à la peinture et à mon album solo, mais 2018 le sera davantage pour Parquet Courts. RECUEILLI PAR JONATHAN WITT Album “Thawing Dawn” (Dull Tolls)