Rock & Folk

The Damned

Heureuse surprise, le plus hétéroclit­e des groupes punk historique­s sort de la cave avec un album réussi et peaufiné par Tony Visconti. Le chanteur-vampire Dave Vanian donne quelques explicatio­ns sur l’affaire.

- RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY

La dernière fois que c’est arrivé, c’était en 2011. Les Cars, de Boston, refaisaien­t surface avec un album digne de leurs meilleurs. Pas contre toute attente, mais pas loin. On continue, parfois, à aimer ce qu’on a adoré, uniquement pour cette raison-là. Mais les Cars, avec Ric Ocasek dedans, n’avaient plus fait parler d’eux depuis 1987. A la différence des Damned d’Angleterre qui eux, n’ont jamais réellement baissé la garde. Depuis leur premier single en 1976, et les deux albums qui ont suivi, pilotés par le guitariste singer-songwriter Brian James, le groupe a vécu au moins neuf existences. Et s’il lui est parfois arrivé de mettre une décennie entre deux disques, aucun creux de vague ne lui aura finalement été fatal.

Doux dingue

On parle tout de même d’un combo punk qui a joué en première partie des Sex Pistols au 100 Club et fait regretter, à lui seul, de ne pas avoir été de cette fête-là. Trois gars flanqués d’un chanteur-vampire (Dave Vanian), qui savaient vraiment jouer, se laissaient produire par Nick Lowe (une preuve de goût) et que Marc Bolan avait pris sous son aile. Ça n’est pas rien. Une bande de damnés que Luchino Visconti n’aurait pas détestée et qui a dû se réinventer au départ de celui qui écrivait les chansons (Brian James), en mettant le bassiste au poste de guitariste, un doux dingue à béret rouge : Captain Sensible. Cet élément vestimenta­ire incongru n’a pas empêché les Damned de se la jouer gothiques durant les années 80. Pour un album par-ci, une tournée par-là, James et Sensible sont revenus ou repartis, on ne sait plus. Le groupe n’en a pas (trop) souffert. Un jour de 1995, après un huitième disque (“Not Of This Earth”), Rat Scabies, le batteur s’en est allé pour de bon. Furibond qu’il était. Depuis une quinzaine d’années et l’arrivée du claviérist­e Monty Oxymoron, la formation s’est stabilisée. Le dénommé Pinch est à la batterie et son bassiste actuel est Paul Gray, auquel le pub rock doit beaucoup puisqu’il a été, entre autres, celui d’Eddie And The Hot Rods. Si on a décidé d’en faire tout un plat, c’est parce que ces types se souviennen­t d’où ils sont et savent où ils mettent les pieds. Les Damned ne sont pas dupes. Il a beau être excellent, “Evil Spirits” ne les enverra pas briller en haut des classement­s actuels. Mais, si les cheveux grisonnent (quand il y en a encore...), l’aplomb, lui, peut demeurer. Denrée rare, il est toujours d’une grande et belle modernité. “Standing On The Edge Of Tomorrow” et “Look Left”, tubesques à leur manière, “We’re So Nice” et “The Daily Liar”, à brailler d’un ponton du soir, “Shadow Evocation” et “Sonar Deceit”, plus british que l’Union Jack, et “I Don’t Care” qui résume parfaiteme­nt ce qu’il faut savoir, ne font pas mouche parce qu’elles vont bien au-delà des attentes. Elles sont juste bonnes, très bonnes même. Et, damned, si l’esprit punk rime encore à quelque chose, autant que ce soit à ce rock glorieux sous tous rapports. ROCK&FOLK : Au risque de paraître désobligea­nt, on doit commencer par une confidence : “Evil Spirits” est une excellente surprise !

Dave Vanian : Vous savez quoi ? Je ne le prends pas mal car c’est exactement ce que je rêvais d’entendre. Enregistre­r un disque de plus n’aurait eu aucun intérêt. Hors de question que nos fans soient déçus. Il y a toujours un feu qui brûle en nous et je suis ravi que ça s’entende.

R&F : Tony Visconti à la production, en voilà une surprise ! Dave Vanian : C’est à cause de “Blackstar”. J’ai notamment été frappé par la chanson-titre, la façon dont elle évolue d’un rythme à l’autre, les différente­s ambiances que David Bowie génère grâce à sa voix... Ça m’a rappelé des choses que nous faisions... Bien sûr, j’ai également été impression­né par le son de l’album, et le fait que Tony marie si bien les anciennes techniques d’enregistre­ment et les nouvelles. Il y a des producteur­s avec qui c’est difficile de travailler, notamment parce qu’ils ne sont pas sensibles à nos références. On ne risquait pas ce problèmelà avec lui... Vous savez, nos premiers disques ont marqué les esprits, mais c’était une autre époque. Brian James écrivait les chansons... En vérité, “Evil Spirits” pourrait très bien être notre dernier album, c’est la raison pour laquelle nous tenions à ce qu’il soit bon. Je n’ai absolument pas envie que les gens nous regrettent, mais ça ne me dérangerai­t pas que certains se disent que les Damned étaient un putain de bon groupe. R&F : Vous avez un nombre considérab­le d’adeptes, mais on a parfois le sentiment que vous êtes resté ce qu’on appelle un groupe de niche.

Dave Vanian : Sincèremen­t, j’aimerais qu’il en soit autrement.

R&F : Par contre, le côté do it yourself que vous incarniez reste d’actualité.

Dave Vanian : C’est un état d’esprit qui a traversé les décennies. La musique techno avait un côté punk, il suffit de voir Moby. Le mouvement punk était avant tout une attitude, c’est ce qui faisait sa force et sa singularit­é. C’est ce que nous avons représenté et représento­ns encore.

R&F : Et les Sex Pistols lorsqu’ils se reformaien­t pour l’argent ? Dave Vanian : C’était drôle ! D’autant qu’aujourd’hui, si j’ai bien compris, Johnny (Rotten) mène grand train à Los Angeles (rires). Il ne me dérange pas, il est sympa. On a croisé les Stranglers l’autre jour, c’était rigolo, ils avaient l’air tout embarrassé­s.

R&F : Visconti les a produits également...

Dave Vanian : Absolument et “La Folie” est l’autre raison pour laquelle Captain a estimé qu’il était le bon choix de producteur. Il nous fallait quelqu’un avec une histoire, qui soit lié à celle des groupes que nous aimons.

“Je n’ai absolument pas envie que les gens nous regrettent, mais ça ne me dérangerai­t pas que certains se disent que les Damned étaient un putain de bon groupe”

R&F : On imagine qu’il vous a mis dans la même pièce et que vous avez joué tous ensemble ?

Dave Vanian : Exactement, et nous avons toujours procédé ainsi en studio.

Diplomatie et modulation­s

R&F : On parle d’americana depuis des lustres. Pour qualifier “Evil Spirits”, on inventerai­t bien le terme britannica­na...

Dave Vanian : Oui, je vois ce que vous voulez dire. Avant qu’on commence à travailler sur le disque, un ami m’a demandé à quoi je souhaitais qu’il ressemble. Je lui ai répondu que j’aimerais qu’il soit une sorte de voyage à travers l’histoire du groupe. Au début de l’enregistre­ment, je n’ai pas eu le sentiment que nous prenions ce chemin-là, mais au bout du compte, je crois que c’est ce qu’il est. Il y a de nombreux fantômes dessus : Joe Meek, Scott Walker, tous ceux qui ont chanté des torch songs mélodramat­iques... Par contre, pas d’imitation ! Je préfère la sensation d’une influence... A la fois, ce disque est une drôle d’aventure, ne serait-ce que parce qu’au départ, Tony a signé sans écouter la moindre note de musique. Nous n’avions enregistré aucune démo ! Son accord a véritablem­ent été un acte de foi. On s’est donc mis au travail et retrouvés avec une vingtaine de morceaux. A partir de là, on a choisi les meilleurs, ou plus exactement, les meilleurs pour cet album-là. Il y en a que nous avons laissés de côté, mais que je trouve vraiment bons. Ça paraît dingue, mais dix jours avant d’entrer en studio à New York, Tony n’avait encore rien entendu. R&F : Cet album revêt un caractère particulie­r pour lui. C’est son premier depuis “Blackstar”...

Dave Vanian : Oui et comme il enregistre surtout des artistes solo, il voulait être sûr d’être à la hauteur sur le plan diplomatiq­ue. Ça faisait un bail qu’il n’avait pas travaillé avec un groupe...

R&F : Et en plus, on peut dire que vous êtes de sacrées personnali­tés.

Dave Vanian : Certes ! Ce qui est extraordin­aire, c’est qu’avec lui, tout ressemble à une collaborat­ion. Nous avons fait la plupart des choeurs tous les deux, notamment les parties les plus aiguës et rien qu’à ce moment-là, nous n’avons pas arrêté d’échanger des idées. Ce que Tony nous a également permis d’effectuer, c’est un mixage assez complexe. Il y a énormément de choses sur ce disque. J’aime qu’un album se révèle un peu plus à chaque écoute. Aujourd’hui, lorsqu’on allume la radio, on a l’impression que tout sonne fantastiqu­e, que tout est fort et puissant : on en prend plein les oreilles. Il y a beaucoup de gens qui se retrouvent dans ce type de son, mais ce n’est pas mon cas. Personnell­ement, je préfère quand il y a des modulation­s, quitte à revenir en arrière parce qu’il y a un truc qu’on n’a pas bien entendu.

R&F : La technologi­e triche en mettant trop d’informatio­ns à la dispositio­n de nos oreilles. Il n’est même pas évident que nous soyons en mesure de les assimiler toutes.

Dave Vanian : Je me souviens d’avoir découvert certains de mes disques préférés des années 50 et 60 grâce à des juke-boxes. Il n’y avait qu’un gros haut-parleur en bas, au milieu, et ça envoyait grave. Plus tard, lorsque j’ai récupéré les CD stéréo de ces mêmes enregistre­ments, il m’est arrivé d’être très déçu. Pendant longtemps, l’Angleterre a été attachée au son mono car pour nous, c’était ça la puissance. A ce sujet, c’est véritablem­ent une très bonne nouvelle de constater que le vinyle revient.

R&F : Oui, et pas parce que c’est quelque chose qui est censé appartenir au passé, mais parce que tout simplement, le son est meilleur. Peut-être pas sur le plan purement technique, mais au niveau des sensations qu’il procure.

Dave Vanian : Et c’est d’ailleurs valable pour le cinéma. Lorsqu’on a découvert les premiers films d’horreur noir et blanc, l’image n’était pas parfaite. Parfois, elle tremblotai­t. Quand ils ont commencé à être remasteris­és, ils ont d’abord été nettoyés, mis aux normes, et au bout du compte, ils sont devenus moins impression­nants. C’est tout de même un comble (rires) ! Bon, je vais être honnête, ce que je dis là n’est pas valable pour tout le cinéma. Il y a de très grands films qui sont superbemen­t restaurés, et c’est fantastiqu­e de pouvoir les redécouvri­r sur un écran géant, avec une image améliorée. Ce qui est déplorable aujourd’hui, et ça ne vaut pas uniquement pour la musique et le cinéma, c’est l’uniformisa­tion. Dans les années 60 et 70, les disques sonnaient différents parce que les producteur­s expériment­aient. Ils essayaient de trouver des choses nouvelles et très souvent, ils y arrivaient. La norme était de ne pas faire comme le voisin. R&F : On a cru comprendre que “Evil Spirits” avait été enregistré en neuf jours. C’est rapide, non ?

Dave Vanian : Je sais, normalemen­t, on avait du pain sur la planche pour plus d’un mois ! La raison pour laquelle c’est allé ici vite, c’est que Tony a conservé beaucoup des arrangemen­ts des démos. Mais sincèremen­t, nous avons bossé d’arrache-pied.

R&F : En plus, c’est un peu un maître zen aujourd’hui Dave Vanian : Absolument, il est très calme en studio. Et puis, nous avons appris à le connaître. On sait exactement quand quelque chose ne lui plaît pas. Il se penche légèrement vers la console, et ça signifie qu’il y a un petit souci. C’est super de se retrouver en présence de légendes comme ça. Avec The Darkness, nous allons bientôt tourner avec Alice Cooper, plus exactement les Hollywood Vampires, je suis assez impatient. On ne peut avoir que du respect pour quelqu’un comme Alice qui a rendu un si bel hommage à Glen Campbell lorsqu’il est décédé.

R&F : Vous pourriez jouer au golf avec Alice...

Dave Vanian : Ah oui, je sais, mais ça n’est pas mon truc. Enfant, j’aurais adoré pratiquer le tir à l’arc, mais ça ne s’est pas fait.

R&F : L’accueil réservé à cet album vous oblige à vous replonger dans le grand bain. Vous avez annoncé des concerts, vous allez jouer dans les festivals, il va falloir participer à des émissions, tourner des clips... Est-ce que les Damned sont prêts pour ça ? Dave Vanian : On n’a pas le choix. Nous avons été très occupés depuis deux ans et avons passé pas mal de temps sur la route.

“On a croisé les Stranglers l’autre jour, c’était rigolo, ils avaient l’air embarrassé­s”

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