Rock & Folk

GASTRONOMI­E DOMINE ,

Pas question de nourriture spirituell­e ici, mais de vraie pitance. Que mangent les punks, les mods et les autres ? Mangent-ils ? La réponse dans cet article culinaire, agrémenté de fiches cuisine.

- Patrick Eudeline

Nous étions en 1977, et j’étais interviewé pour Paris Match par Philippe Labro.

Qui me sortit cette question définitive et pour le moins existentie­lle : “Mais ça mange quoi un punk ?” Ça m’avait marqué, faut dire qu’on ne me l’avait jamais faite, celle-là. Oui, qu’est ce que ça mange un punk ? Et un rocker en général ? C’est vrai cela ! On connaît tout des fringues, des drogues et des pratiques sexuelles, même, appliquées au rock’n’roll. Mais la nourriture, on n’en parle jamais. Sauf pour évoquer le célèbre sandwich banane/ beurre de cacahuète/ bacon d’Elvis — dont je vais d’ailleurs donner ici la recette exacte comme transmise par sa cuisinière. Rien de moins.

Soul food (écouter le divin “Memphis Soul Stew” deKing Curtis !) avec ses travers de porc,

écrevisses et haricots rouges. Ital food pour les rastas (salé/ sucré et épicé, coeurs de palmier et fruits nains, chayote, poivrons et patates douces. Végétarien­ne pour Bob Marley et ses amis). Nourriture anglaise de pub avec ses fish and chips et son Daltrey noyé dans les haricots Heinz. Goat’s head soup... Keith Richards a jadis été photograph­ié en train de cuisiner torse nu dans la cuisine d’Andy Warhol. Et l’homme a livré, dans son “Life”, quelques recettes... Le rock, à part ces quelques rares références qui viennent immédiatem­ent à l’esprit, semblait avoir quasiment oublié de manger. Il est vrai que rock’n’roll is tight et pour entrer dans un costard Granny — ou même Renoma — mieux vaut éviter les viandes en sauce. Qui peut imaginer un Ziggy Stardust bedonnant ? Rockys et mods avec leurs amphétamin­es coupe-faim... Longtemps, le credo a été fort simple : c’était s’éclater ou manger.

En France, la mode était à la nourriture américaine.

Rare et fantasmée. Le Haynes à Pigalle, rue Clauzel, roi du chili con carne, hanté par les fantômes de Miles et de Kenny (ce restaurant historique, le premier ricain de Paname est menacé... Allez-y. Sauvez le !), le Joe Allen aux Halles, quelques Wimpys, les drugstores... En ce début des années 70, c’étaient les seuls endroits où l’on pouvait commander un hamburger, un milk-shake ou un banana split. Et trouver du ketchup. Et les deux drugstores Publicis avaient l’exclusivit­é du légendaire croque hawaiien cher à mon coeur, dont je livre plus bas la recette... Dutronc, Ronnie Bird et autres drugstorie­ns blanchis sous le harnais... Ils ont tous le même souvenir : le hamburger était chic et américain. Chic puisqu’ américain. Comme les milk-shakes... Un fantasme pour les twisters.

Avant que n’ouvrent les fast foods.

Chrissie Hynde ou Strummer, végétarien­s depuis leurs années hippies

Sinon, comme le recommanda­it Mick Jagger sur la pochette française du EP “If You Need Me”, il y avait toujours les chinois. Alors cheap et excellents (qu’est devenue l’omelette foo yung ?). Avec un unique indien rue Gérando... Le choix était maigre. Consommer une enchilada comme dans un film de Leone restait un fantasme. Comme trouver en épicerie du piment digne de ce nom. Et même du ketchup ou de la moutarde French’s, avec ou sans miel. Donc, à de rares exceptions, on mangeait peu. Et puis les hippies flirtèrent avec la nourriture macrobioti­que, avec le véganisme, vantaient les mérites du granola (le muesli ! pas le gâteau industriel...). Rien de bien convivial.

Tout cela dura jusqu’aux punks. Qui virent McDonald’s ouvrir et les Wimpys fermer. Ces Wimpys, à Saint-Michel et en face du Golf Drouot, étaient nos cantines. Dans la société, il fallut attendre la nouvelle cuisine et la création du guide Gault et Millau à la fin des seventies pour qu’on sorte de l’ineffable Raymond Oliver, pour qu’on parle de cuisine, que cela devienne même un sujet. Il y avait tellement de choses plus intéressan­tes à faire, d’occasions de dépenser son argent... Une société obsédée par sa nourriture est une société qui ne va pas bien. J’en suis persuadé. Ce n’est pas en restant cloîtré à la maison en essayant de recréer les plats de Top Chef qu’on risque de lancer un mouvement artistique ou politique.

Les gros mangeurs, comme dans le film de Marco Ferreri, comme Demis Roussos, ou cet Elvis devenu impuissant et voyeur étaient des dépressifs.

Les punks, aujourd’hui, ont souvent tourné vegan.

Ou bio. A l’époque, ils étaient rares, pourtant, ceux qui échappaien­t à la restaurati­on rapide. Je me souviens de Vincent Palmer me parlant de la Vie Claire, de Chrissie Hynde ou de Strummer, végétarien­s depuis leurs années hippies. Mais ils faisaient figure d’exceptions. Aujourd’hui, l’attitude vegan est devenue fort présente. Et radicale. Le végétarism­e courant depuis les années hippies s’est durci. Quant à ceux comme Jamie Oliver qui se targuent de présenter une cuisine rock’n’roll ? On se perd en conjecture­s. Peut-être est-ce ce que mon père appelait, dédaigneux, “de la nourriture pop” (en gros, tout ce que j’aimais bien et qu’il jugeait bizarre. Du popcorn au salé-sucré). Et le hamburger en devenant le plat préféré des Français (plus consommé que le jambon-beurre ou le couscous) a perdu fun et prestige. Il s’est banalisé. Comme bientôt les tacos et autres spécialité­s tex mex. Il n’est pas un centre commercial sans son diner désormais.

Un souvenir ? 1972. L’année de Bowie, Iggy, Roxy.

Les paillettes et l’outrage. Le rock en ce qu’il a de plus décadent.

Et à Londres.... Biba ! Un grand magasin, généralist­e, de la taille des Galeries Lafayette, ouvert depuis 1968, et qui devait fermer en 1975. Une légende. Un endroit Art nouveau, entièremen­t consacré aux styles rock, au glitter, au noir et aux paillettes. En plein Kensington. Là-bas, la moindre serviette de salle de bain était une oeuvre d’art gothique. Et nulle part ailleurs on ne trouvait alors de rouge à lèvre noir ou de vernis à ongles à paillettes. C’était Biba. Au dernier étage, un restaurant/ salle de concert. Avec toit ouvrant... Tout en pâte de verre multicolor­e — façon Gallé ou Lalique. Et en forme d’arc en ciel. C’est là qu’un soir de septembre, j’ai vu les cultissime­s New York Dolls. Outrancier­s et punk comme on ne le disait pas encore. Un rêve de rock. Et j’ai commandé... un Hawaiian croque-monsieur. Avec mon Bloody Mary. C’était avant que Gainsbourg ne m’en livre la recette idéale. Un croque Biba ! La variante anglaise de ce plat plébiscité jadis par les minets du Drugstore (le seul endroit où on pouvait le commander, donc). De ce met rock par excellence. Bien autre chose qu’un simple croque monsieur avec une tranche d’ananas...

Bien autre chose...

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