Rock & Folk

“C’était un objet précieux, un vinyle”

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retenue, c’est trop beau ! Il y avait le premier album, “Suicide”, mais aussi tout ce qu’il a fait ensuite, seul. J’ai vu plein de concerts de lui, je l’ai filmé, jusque la dernière fois où il est venu à Paris, avec sa femme et son fils. Je l’aimais beaucoup. J’ai acheté des oeuvres de lui, des sculptures, des crucifix avec des ampoules, qui font maintenant partie du fonds Agnès B. On a exposé une pièce l’année dernière au musée de l’Immigratio­n.

R&F : Vous avez aussi habillé David Bowie !

Agnès B : Ah, Bowie ! J’ai adoré “Aladdin Sane” et “Ziggy Stardust”. Je l’avais vu en concert à Paris, à l’époque de sa fameuse période allemande ; il avait ces cheveux plaqués en arrière et un horrible costume sombre avec des plis aux manches et des plis au pantalon. J’étais allé le voir en coulisses, et lui avais fait envoyer un jean en cuir noir où j’avais glissé dans l’une des poches arrières ce petit mot : “Vous devriez en rester au style rock’n’roll !” Après ça, il est allé s’acheter quatre jeans cuir noir à la boutique Agnès B de Londres, et ensuite, quelques années plus tard, il m’a demandé de l’habiller, d’abord pour ses cinquante ans qu’il fêtait au Madison Square Garden ( en 1997), puis pour ses soixante ans. Je l’ai habillé pendant vingt ans, jusqu’à sa mort.

R&F : C’est donc vous, ce magnifique costume pirate du concert des 50 ans ?

Agnès B : Oui, c’est lui qui voulait un costume pirate, ce beau costume avec manchettes et jabot. J’adore les coupes 18ème siècle, je les connais par coeur, l’emplacemen­t de la couture sur l’épaule, les boutons, la manche très coudée. C’est trop joli. Et pour ses soixante ans, je lui avais fait un costume trois-pièces en tweed beige, très fin, avec une chemise noire, et sur le gilet il y avait une peinture d’un ami grapheur américain... Moi, ce qui m’a rendue triste, c’est quand il s’est changé les dents ! J’adorais ses dents, en tant que fan ! Vous savez, “Blackstar”, son dernier album qui est absolument bouleversa­nt, et bien la black star, l’étoile noire, c’est en rapport avec ce T-shirt kaki avec une étoile noire que je lui avais fait et qu’il portait beaucoup. Jimmy King, son assistant, m’a dit : “Blackstar, c’est peut-être une référence à ton étoile noire !” C’est très émouvant, hein ? Bowie nous a bouleversé­s... C’était un esthète, d’une incroyable discrétion. On correspond­ait beaucoup, j’avais toutes ses mesures. Et pour la dernière tournée, je lui avais fait des costumes de couleurs, roses, jaunes, verts, que je lui envoyais. Il y en a un autre comme Bowie, avec qui la relation a été très forte, c’est Bashung. Il venait, à l’époque de son album “Bleu Pétrole”. Il me bouleversa­it. Un jour, il était venu ici, et il y avait mon petitfils, Hannibal, qui était là, et qui se mit à chanter “Je Tuerai La Pianiste”. Bashung était là, silencieux, il était trop beau, tout en noir, à côté de mon petit-fils... Ce moment était d’une incroyable intensité. Il était déjà très malade, j’étais très émue. Bashung aussi était un grand esthète, qui savait toujours très bien ce qu’il faisait et ce qu’il voulait. On parlait d’Elvis tout à l’heure, et je me souviens de ce blouson d’Elvis zippé que j’avais offert à Chet Baker, un autre grand esthète que j’aimais énormément. Je l’avais revu une dernière fois lors d’un concert, à Paris, huit jours avant sa mort. Il était au bar, seul, dans une quasi-obscurité, il me regardait fixement. J’adorais “Let’s Get Lost”. On était partis ensemble à Cannes, puis à Venise. Je l’ai connu de près, même si, finalement, Chet était toujours lointain.

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