Rock & Folk

The Jim Carroll Band “I WRITE YOUR NAME”

Au lieu de crever à 27ans

- R&F MAI 2018

Ce qu’on retient de Jim Carroll ? Des épisodes extramusic­aux. Le basketteur toxico incarné par Leonardo DiCaprio dans “The Basketball Diaries”. Le poète junkie lié à Andy Warhol et Allen Ginsberg, Robert Mapplethor­pe et William Burroughs, ouvreur dans un cinéma porno, sportif déchu, héroïnoman­e assidu, prosateur à cheval entre beat et punk. Carroll raconte magnifique­ment, dans ses livres “The Basketball Diaries” et surtout “The Downtown Diaries”, ses années 60 et 70 dans un New York undergroun­d où tout se réinvente. “A treize ans, Jim Carroll écrit une bien meilleure prose que 89% des romanciers en activité”, a dit Kerouac de son premier recueil de poésie, “Organic Trains”. A vingt ans, Carroll gribouille ses carnets tout en vivant de petits boulots, il réécrit des dialogues pour des films de Warhol, traîne avec les superstars de la Factory. Le 23 août 1970, c’est lui qui tient le micro du magnéto de Brigid Polk, quand cette dernière enregistre le “Live At Max’s Kansas City” du Velvet Undergroun­d — on l’entend entre les morceaux réclamer du Pernod et des substances. En 1973, à 22 ans, entre deux piquouzes et un tapin, il est nominé au prix Pulitzer pour son livre “Living At The Movies”. Sa génération a choisi un autre moyen d’expression : le rock. Carroll fait partie des piliers du CBGB. Comme spectateur. Compagnon de shoot. Le seul avenir du prodige des lettres, c’est rejoindre le club des 27 : mourir jeune d’une OD. Alors il se casse en Californie du Nord, à côté de Bolinas, et décroche de l’héro. Son ex, Patti Smith, effectue une tournée dans la région. Carroll l’accompagne. Si cette arriviste qui cite Rimbaud à tout bout de champ connaît un tel succès, pourquoi pas lui ? Il recrute des musiciens, compose. Keith Richards lui-même lui trouve un deal : le Carroll Band signe sur une filiale d’Atlantic. “Catholic Boy”, produit par Earl McGrath (président de Rolling Stones Records) sort en 1980. C’est la suite de “Blank Generation” que Richard Hell aurait rêvé de composer. Newsweek : “Depuis ‘Walk On The Wild Side’, aucun chanteur n’avait si vivement évoqué la brutalité désinvolte de New York City.” L’album contient “People Who Died”, son hommage à tous ses amis violemment disparus — un des hymnes punk rock les plus tétanisant­s. Et le morceau se retrouve sur la bande originale de “ET” ! Carroll fait une entrée fracassant­e dans le monde du rock. Et puis ? Pschitt. Il est revenu à New York pour enregistre­r son second album, “Dry Dreams” (1982, avec le sublime “Still Life”), mais il n’intéresse plus personne. Pareil

pour “I Write Your Name” en 1983. Reproche : moins de rage et de spontanéit­é que dans “Catholic Boy” — Carroll, niveau drogue, est clean, l’album aussi. Enregistré aux prestigieu­x Atlantic Studios, là où on été réalisés “Goats Head Soup”, “Marquee Moon” et “Fear Of Music”, mixé au Record Plant, bénéfician­t des coups de main de Lenny Kaye et Allen Lanier (Blue Öyster Cult), à la fois plus satiné et mélancoliq­ue tout en restant musclé, cet album atteint pourtant le niveau de “Catholic Boy” — la preuve, le seul morceau faible est la reprise de “Sweet Jane”. Pour situer le son du moment, à cette époque sortent “Learning To Crawl” des Pretenders, “Cover” de Tom Verlaine, “Everywhere At Once” des Plimsouls, “Beatitude” de Ric Ocasek, “Long After Dark” de Tom Petty, “Punch The Clock” d’Elvis Costello : “I Write Your Name” se situe dans l’esprit de ces disques — du rock tendance new wave, carré, nerveux. Ce qui hisse ce disque au dessus du lot ? Il y a la voix de Carroll, ses intonation­s à la Bob Dylan, Randy Newman, Tom Verlaine, mais pourtant complèteme­nt personnell­es. Il y a bien sûr les textes, et puis le sens de l’accroche instrument­ale, des mélodies ravageuses. “Voices”, “Hold Back The Dream”, “Love Crimes”, “Dance The Night Away”, l’ex-basketteur score à trois points plus souvent qu’à son tour. Tout ça pour, à l’arrivée, dribbler dans le vide. Carroll retourne aux livres, apparaissa­nt aux côtés de James Spader et Robert Downey Jr dans le film “Tuff Turf” — où, looké façon Bowie berlinois, il joue trois morceaux. Il écrit désormais des chansons pour les autres (comme Boz Scaggs), passe chantonner sur le “Video Violence” de Lou Reed, compile ses spoken words... Suite au succès du film “The Basketball Diaries” (1995), une flopée d’artistes reprend “People Who Died” (Pearl Jam, John Cale, Marilyn Manson, Gwar, Kevin Morby, l’hymne se retrouvant plus tard également utilisé dans “Dawn Of The Dead” et “Mr Robot”), Lee Ranaldo et Rancid lui proposent des collaborat­ions, et lui-même enregistre une reprise de “Runaway” sur le label Kill Rock Stars, ainsi qu’un dernier album, le ténébreux “Pools Of Mercury” (1998), où il met en musique son poème “8 Fragments For Kurt Cobain”. Cobain est mort à 27 ans.

Le coeur de Carroll lâche à 60, en 2009.

Ignorés ou injuriés à leur sortie, certains albums méritent une bonne réhabilita­tion. Méconnus au bataillon ? Place à la défense.

Première parution 1983

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