Rock & Folk

SNOOKS EAGLIN FIRD EAGLIN JR

1936 (Louisiane) - 2009 (Louisiane)

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Snooks est un musicien extraordin­aire. Question style, il est assez difficile à suivre, comme tous ceux qui ont vécu dans le grand bazar néo-orléanais, transgress­eur des orthodoxie­s musicales. Snooks a chanté du folk, du blues campagnard, urbain, du rhythm’n’blues, rock’n’roll, soul, funk, élégances latines, il a saupoudré tout ça d’un petit sucre créole qui signe sa géographie, avec cette patte vraiment singulière exercée à l’aveuglette (car Snooks perdait la vue à un an et demi). Rien n’est standard chez lui, et surtout pas son jeu. Longs doigts noueux, poignet sec, main frôlante, Wilko Johnson à la sauce espagnole. L’index en ergot, il file des lignes de solo vives et fluides entre des uppercuts d’accords. Cette assise curieuse le met à l’aise dans tous les styles, jazz, surf, zydeco... Snooks a le chant galbé d’un Ray Charles, souple, dense et luisant, qui rend du corps aux classiques les plus rebattus, “Trouble In Mind” ou “St James Infirmary”. Guitare sèche, électrique, six, douze cordes, ses enregistre­ments sont, la plupart du temps, formidable­s, dès sa période folk à la fin des années 50 (“A Thousand Miles Away”, “Locomotive Train”, “High Society”), période Imperial au début des années 60 (“Don’t Slam That Door”, “Truly Yours”, “Guess Who”), période Black Top à partir de 1987 (“Drop The Bomb”, “Kiss Of Fire”, “Josephine”)... A quinze ans, Snooks est déjà connu pour la richesse de son jeu étrange. Il roule pour les Flamingos, un orchestre de R&B à sept têtes dont l’une appartient à Allen Toussaint, encore plus jeune que Snooks. En 1952, les Flamingos disputent les clubs de la Nouvelle-Orléans à la bande rivale des Hawketts, le groupe d’Art Neville, un jeune homme de leur âge. Les Flamingos se séparent, et Snooks se retrouve parmi les Cane Cutters sur un single de Sugar Ray Crawford, le fameux “Jock-A-Mo”. Il enregistre un single de gospel chez Wonder sous le nom de Blind Guitar Ferd. Jusqu’en 1987, Snooks s’évertue à creuser une ornière dans laquelle il se débat plutôt mollement. Avant de démarrer comme chanteur folk, son principal exploit fut d’avoir ramené les Flamingos, trop cuits pour conduire, de Donaldsonv­ille à la Nouvelle-Orléans (66 miles), se guidant au bruit des roues sur le bas côté pour remettre la Studebaker sur la chaussée ! 1958. Harry Oster, revivalist­e et universita­ire de Baton Rouge, entend Snooks dans une rue du quartier français et l’enregistre à sept reprises (1958-1960). L’homme prend une voix de vieux et incarne un épouvantai­l de plantation plus vrai que nature. Il ne peut pas deviner à ce moment-là que cet emploi le grillera sur le front du R&B où il aimerait voir briller sa vocation... Cette somme de titres circule hélas trop bien dans le village du folk, et d’innombrabl­es rééditions lui colleront au train pendant de très longues années. Le clou en 1997, quand la télé anglaise prend sa version de

“St James Infirmary” pour faire le tapis d’une pub Budweiser... Croyant tenir le Ray Charles du Croissant, Dave Bartholome­w le consigne chez Imperial avec la fleur du R&B local : Earl King, Roy Brown et Fats Domino, pour 26 faces un peu funky par moments, irisées de doo-wop et de variété pop. Snooks est porté par des pianistes comme James Booker, et des groupes qu’on a présentés comme des all-star bands. Quand Liberty mange Imperial, il ne se passe presque plus rien pour Snooks du côté des studios, jusqu’à Black Top en 1987, sinon une participat­ion au premier microsillo­n des Wild Magnolias (1973) et un album Sonet : “Down Yonder” (1978) avec Ellis Marsalis au piano. Des jazzmen de la trempe d’Archie Shepp, d’Horace Parlan ou des frères Marsalis, commencent à réhabilite­r le blues comme une racine à sauver et cultiver d’urgence. “Interrogez-vous sur l’amnésie qui frappe les musiciens afro-américains vis-à-vis de leur propre tradition musicale”, déclare le musicologu­e Félix Sportis, évoquant cette “civilisati­on qui entretient l’amnésie par la volonté d’être différent de ses prédécesse­urs, le mythe du génie qui invente de façon permanente. No past, no future.” Snooks, il ne faut pas le lui dire deux fois pour qu’il se mette en retraite. Il n’a jamais semé les kilomètres pour aller bosser. D’abord, il n’y voit goutte. Ensuite, c’est un adventiste du Septième Jour, il n’a pas le droit de travailler dans le créneau stratégiqu­e du vendredi au samedi soir. Il se réserve pour le New Orleans Jazz & Heritage Festival. Dès la première édition (1970), les programmat­eurs les remettent en selle, Snooks et son copain le Professor Longhair. L’un et l’autre sont vraiment devenus les deux divinités poliades de la métropole, les deux arcs de triomphe du Croissant. En 1987, Black Top casse enfin le carcan néo-orléanais, et lâche l’aveugle à la Studebaker sur le monde. Cinq albums sont gravés par ce guitariste à nul autre pareil, dont un live à Tokyo, tous percutants, surtout le premier : “Baby You Can Get Your Gun”, avec “Drop The Bomb” pour ouvrir les hostilités.

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