Le summum du mec cool
En plein débat sur le harcèlement et la violence faite aux femmes, la dessinatrice anglaise Una signe avec “L’Une D’Elles” (Çà Et Là) un ouvrage graphique mémoriel aussi important que didactique sur la dangerosité d’être une fille dans le monde moderne. L’histoire d’Una commence en 1977 dans le Yorkshire. Elle a douze ans et un tueur sévit dans la région. C’est également le début de toute une série de mauvaises rencontres pour la fillette, sans que personne dans son entourage ne s’en rende vraiment compte. Il aura fallu quelque quarante années à Una pour réussir à raconter son histoire personnelle en la mettant en parallèle avec celle de Peter Sutcliffe, l’éventreur du Yorkshire. Ce qui est essentiel dans cette lecture, c’est la manière dont l’auteure explique posément le parcours des femmes violées et ce que l’on attend d’elles : l’oubli. Bien sûr, et comme le confirme le livre, le passage du temps n’effacera jamais ce qui a été subi.
Très prolifique en ce moment, Zerocalcare cède à l’air du temps avec “12 Heures Plus Tard — Le Matin Des Morts-Vivants” (Cambourakis), dans lequel il entraîne tous ses personnages habituels dans une histoire de morts-vivants qui viennent semer la panique à Rebbibia, le quartier populaire de Rome où vit l’auteur. Dans un squat plein de punks, Zerocalcare joue à Streetfighter 2, un jeu qui représente à ses yeux la seule chose positive que l’on puisse retenir d’une société qu’il rejette. Pendant qu’il s’amuse, des zombies envahissent les rues de Rome et dévorent tous les gens qui oublient de courir se mettre à l’abri. Pour s’en sortir, le punk et ses amis devront faire preuve de solidarité (thème cher au dessinateur) et, surtout, arriver à l’heure à un rendezvous avec le chef du quartier qui pense pouvoir sauver son monde grâce à un autobus. Comme il est de mise chez Zerocalcare, le scénario part dans tous les sens avec une fin soigneusement expédiée, rappelant “Démons” de Lamberto Bava, grand classique du cinéma d’horreur transalpin.
Avec “L’Exécuteur — Les Proies” (Delirium), troisième et dernier tome de la série, le scénariste
John Wagner et le dessinateur Arthur Ranson concluent brillamment les tribulations d’Harry Exton, un tueur professionnel qui se retrouve pourchassé à son tour par les protagonistes d’un très macabre jeu. Parue à l’origine chez 2000AD, cette BD fut un choc dès sa sortie au Royaume-Uni, grâce à son univers au réalisme froid et implacable. A travers cette fiction découpée à la manière d’un film noir américain, le lecteur découvre un scénario bien ficelé. L’histoire, donc, d’un héros taciturne seul contre le monde entier. Parallèlement à cette intrigue qui peut se résumer par tuerouêtretué, il n’est pas non plus tiré par les cheveux de voir dans “L’Exécuteur” un très bon résumé de l’état d’esprit des Britanniques à la fin des années Thatcher, une époque où il n’était pas conseillé de faire partie de la classe ouvrière.
Ceux qui imaginent que tous les mangas se ressemblent doivent lire “Saltiness” (Akata) de la star montante Minoru Furuya. Avec ce premier volume d’une série de quatre, le lecteur qui pense que “The Big Lebowski” était le summum du mec cool risque d’avoir un choc en découvrant le personnage de Takehiko. Ce dernier est un trentenaire qui passe ses journées à éviter toute forme de travail, tant il est persuadé que son statut autoproclamé de mec génial le place au-dessus de tout et tous. En clair, Takehiko est un immense branleur qui profite bien de la vie sur le dos de son entourage. Un jour, il décide d’aller à Tokyo pour tenter de trouver sa place dans la société. Autant dire tout de suite, et sans rien divulguer, que l’entreprise ne s’annonce pas simple. Entre critique sociale et voyage dans le cerveau d’un adolescent attardé, ce manga au style réaliste est une franche réussite.