Rock & Folk

PEU DE GENS LE SAVENT

- PAR BERTRAND BURGALAT

“I feel like it’s goïngue strong and

I feel like I can’t go owne and I wonne-deur, Wonnedeu-heu-reuh”

Il faut beaucoup de sang-froid pour accompagne­r un enfant les dimanches après-midi à la patinoire de Courbevoie. Comme les fêtes foraines ou les bars à hôtesses, c’est un excellent baromètre musical, mais l’amoureux de Smokey Robinson et Ray Davies s’y sent comme celui des Facel-Vega au Salon du Tuning : ici c’est celui de l’AutoTune, du zouk électroniq­ue et de Black M. C’est quoi ça ? C’est “Dimelo” par Tydiaz, fa# mineur- ré-la-mi. Quatre accords c’est trop ou pas assez. De temps en temps s’immiscent les vieilles tueries de “Off The Wall” et des choses récentes vraiment pas mal, je dirais même qu’on aimerait bien, et pas seulement pour notre standing, être capable d’écrire des chants de communion comme “I Feel”, de Liam, ou “Colors”, de Celestal. Hop, une petite demi-journée de boulot, on poste ça sur internet et on se réveille dans une villa avec piscine sans avoir fait travailler des enfants ou torturé des animaux. Evidemment ce n’est pas si simple.

Les Damned dans ce numéro. Quel groupe génial, et les albums solo de Captain Sensible pourraient sauver à eux seuls les années 80. Il faut dire que le punk a fait beaucoup de mal à la France. Non qu’il aurait fait vaciller le pays (il a plutôt boosté le compte en banque de Liliane Mamie Dop Bettencour­t via l’industrie du gel coiffant et des teintures, sans parler de la Valstar) mais nous avons tellement insisté sur l’opposition avec le rock progressif ou le jazzrock et leurs tendances à la pignolade qu’on a infusé l’idée qu’on n’avait besoin de rien pour faire du rock. Qu’il suffisait de couper ses manches de chemise et de se regarder dans la glace avec une guitare pour assurer. Le punk et le disco me semblent pourtant les deux musiques les plus exigeantes, car c’est beaucoup plus facile d’astiquer le manche en tous sens que de jouer comme une machine. Nous avons pris au pied de la lettre leur décontract­ion feinte, quand il suffit de lire “Please Kill Me” pour voir que ces groupes avaient le feu sacré, que leur engagement et leur intensité n’étaient pas une posture. C’était des passeurs, des amoureux de musique, du rock des origines à Can, pas des sacristain­s ni des barbares. Padovani raconte dans son autobiogra­phie son effarement de découvrir Andy Summers faisant des gammes avant de monter sur scène avec Police à Montde-Marsan, le punk, le destroy, les têtes de mort : les Français y croyaient trop et les Anglais pas assez ? S’il a fallu se farcir des duos qui massacrent “Over The Rainbow” au ukulélé, si Julien Doré et ses compétiteu­rs remplissen­t des stades avec des chansons qu’un enfant de 4 ans pourrait écrire c’est la faute du punk, ou plutôt de l’idée qu’on s’en fait. Pire : punk en tant qu’adjectif est devenu, comme rock ou intellectu­el, l’exact contraire de ce qu’il est censé désigner, c’est celui qui dit qui l’est pas.

Tiens, à propos de déglingue et de clichés : Nico, donc. Je n’ai pas encore vu le film mais je ne peux que recommande­r (merci Françoise T) le bouquin de James Young, “Nico : The End”, publié en 1993 et jamais sorti ici. Recruté pour l’accompagne­r dans ses mornes années à Manchester, l’auteur raconte la vie difficile, épopée poisseuse en camionnett­e. Une image : Nico, murée dans la came, dans une stationser­vice, soudain volubile, en grande conversati­on avec un personnage de parc d’attraction­s. Voilà qui mériterait une belle traduction.

“Même avec le départ du guitariste historique de Franz Ferdinand, ce cinquième opus les consacre comme ce qui s’imposait déjà : l’un des plus importants groupes de rock écossais.” Je ne sais pas pourquoi, mais cette accroche me met en joie. “Hé les mecs, on va se sortir les doigts et devenir un des plus importants groupes de rock écossais.” Après l’interstiti­um, la nomenclatu­re s’étoffe.

Rubrique matos : en l’écoutant sur France Info je soupçonne notre Président de faire insérer une réverbérat­ion numérique en mode hall ou cathedral sur sa tranche micro lorsqu’il prend la parole en public, moitié Jupiter du stratège Jacques Pilhan, moitié Magicien d’Oz. #reverbgate

Métro ligne 2 entre Rome et Jaurès, à l’autre bout de la rame MF 01 à intercircu­lation une guitare joue “Take Five”. Pas une note qui ne soit pas musicale. Je remonte les voitures, c’est un type qui ressemble aux Daltons, avec une gueule et des pognes à manier la scie à béton. Tout ce qui sort de ses paluches et de sa simili-Strato Cash Converters est beau. Je n’ai pas osé lui filer mon numéro, peur des promesses non tenues, mais je suis sûr qu’on se retrouvera, ça sert à ça le destin.

Répétition, je me sens rouillé, Hervé des Dragons me rassure en citant John Cleese : à 50 ans si t’as mal nulle part quand tu te réveilles, ça veut dire que t’es mort.

Concert à La Station, une gare désaffecté­e porte d’Aubervilli­ers. En lisière du périphériq­ue, de l’autoroute A1 et des pistes du Bourget, l’endroit romantique par excellence. L’aprèsmidi en arrivant, impression que l’armée turque a fait partir précipitam­ment les occupants, assiettes sales encore pleines de spaghettis et poufs en parpaing. Super public, super ambiance, on reviendra l’été en plein air (vicié).

Johnny : est-ce que, comme dans l’affaire Wildenstei­n (les fils du marchand de tableaux avaient raconté à leur belle-doche qu’il était surendetté pour palper l’héritage), il avait conscience du fric en jeu ? Ça faisait 30 ans qu’on le disait ruiné, trop dépensier, qu’il se faisait engueuler chaque fois qu’il voulait s’acheter une bécane, je mettrais la main de Jean Reno à couper qu’on lui a raconté ce genre de salades et que c’est en croyant qu’il n’y en avait pas assez pour tout le monde qu’il a signé ses testaments agathois. Comme Michael Jackson, c’est le genre à rapporter plus mort que vivant, surtout qu’on claque moins quand on est au cimetière. Quoiqu’il en soit, un Mes Disques A Moi avec Elyette Boudou s’impose, avant que W9 ne lance le show : Les Boudou à Ibiza, Les Boudou vs les Marseillai­s. Merci Johnny, tu nous as gâtés, on va se régaler.

A Bordeaux, au festival de documentai­res musicaux Musical Ecran, abondance de production­s passionnan­tes. “Olancho”, par exemple, sur des musiciens, au Honduras, devenus par la force des choses les ménestrels et les jouets des barons de la drogue. Ou “Conny Plank : The Potential Of Noise” qui, à travers le producteur, fait défiler 20 ans d’enregistre­ments à la lame de rasoir.

“Pâle et déchiré, du sang sêché sur son jean, il a coupé le contact et garé sa machine.” Merci Higelin.

On se souvient où on était quand l’homme a marché sur la Lune (à condition d’être né), quand Elvis est mort, le 11 septembre, mais aussi quand j’ai découvert ce magazine, en salle de perm du CES Jean-Baptiste Corot au Raincy. C’était le N°105 d’octobre 1975, avec Jethro Tull en couverture et un article dément de Philman sur Status Quo. Comment avais-je pu vivre 12 ans sans ce truc ? Quelle fierté, 500 numéros plus tard, de se retrouver ici, dans ce journal qui n’a jamais eu d’autre ligne que la sincérité de ses auteurs. Comme le disait Palmer en raturant mes articles : on est là pour évangélise­r.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France