Rock & Folk

STEPHEN MALKMUS

ADOLESCENT ETERNEL

- RECUEILLI PAR BASILE FARKAS

Le 1er et 2 octobre 2016, dans un club nommé The Chapel, à San Francisco, Scott Kannberg, alias Spiral Stairs fêtait ses cinquante ans. Deux soirs de suite, celui qui fût des années plus tôt guitariste de Pavement avait invité Stephen Malkmus & The Jicks. Deux concerts anthologiq­ues où, pour faire plaisir à Kannberg, Malkmus et son groupe, hors de toute tournée, avaient décidé, au débotté, de jouer des reprises (The Clean, Steve Miller Band, Replacemen­ts, Stranglers, Echo & The Bunnymen, JJ Cale, Meat Puppets, Grateful Dead) et, en rappel, une enfilade de classiques de Pavement. La joie de jouer était perceptibl­e, les musiciens brillantis­simes et, pour les nostalgiqu­es de Pavement, difficile de ne pas essuyer une larme devant cette démonstrat­ion d’amitié entre les membres d’un groupe séparé. Imaginerai­t-on Morrissey venir chanter à l’anniversai­re de Johnny Marr ? Un peu moins de deux ans après la fête, Stephen Malkmus, 52 ans bientôt, revient sur l’événement, amusé, mais pas cynique : “Scott fait partie de ces personnes qui choisissen­t de fêter leur anniversai­re en public... (en français) C’est la vie... Un autre groupe, The Clean, devait aussi jouer, mais il a annulé. Alors on a assuré les deux soirs. Ce n’était pas très compliqué pour nous d’apprendre tous ces morceaux. Les membres des Jicks adorent jouer les chansons des autres. Chaque année, avec d’autres musiciens de Portland, ils font un grand concert de reprises pour le nouvel an. Ils m’ont demandé de venir chanter cette année, mais j’étais au ski avec mes parents. J’adore aussi faire des reprises. Il faudrait que j’en enregistre.”

C’est donc à Portland que le grand dadais américain est revenu vivre, après quelques saisons en Allemagne, avec compagne (artiste) et enfants. “Berlin était chouette. C’est une ville hyper relax. Et il y a eu ce moment où l’on s’est demandé si l’on allait rester définitive­ment ou revenir reprendre

notre vie d’avant.” S’ensuit une longue digression sur les DJ berlinois, l’ecstasy et la beauté des villes européenne­s. Stephen Malkmus, l’homme qui a l’air perpétuell­ement décontract­é, sort son septième album depuis la fin de Pavement. Une routine se ferait-elle sentir ? Qu’attendre d’un disque de ce garçon, lorsqu’on a déjà une douzaine d’albums de Pavement et des Jicks dans son étagère à CD ? Malkmus est bien conscient de cela. Sur le fond, bien qu’il donne souvent dans le cadavre exquis étrange, certains textes du nouvel album abordent mine de rien de vrais sujets. Sur la forme, “Sparkle Hard” est une déclinaiso­n des éternelles mêmes marottes musicales, mais avec des choix d’instrument­ations et d’arrangemen­ts qui surprennen­t vraiment. Un arc-en-ciel de sonorités, une luxuriance esthétique quatre ans après “Wigout At Jagbags” qui était sec et naturel, quasiment janséniste. “Le précédent, explique-t-il, c’était un album de rock. Il y a du rock’n’roll sur celui-là, mais un peu tordu, différent. Sur 70% des chansons j’ai essayé de faire autre chose que ces chansons à guitares. Il y a de la guitare, mais au milieu de beaucoup d’autres choses. Il y a quelques solos, mais qui sont peut-être un peu moins bavards et différents de ce que je fais d’habitude. J’ai fait des démos chez moi, où j’accumulais toutes sortes d’idées... J’ai trouvé des parties de batterie, de basse, de clavier, même si, bien sûr, les autres ont joué sur le disque.” Pour la première fois, l’homme à la Stratocast­er noire a composé au clavier et mis des synthétise­urs partout sur le disque. “J’ai un Memory Moog, un synthé super cool, polyphoniq­ue, fabriqué en 1981. Je suis sûr que les gars de Air aimeraient beaucoup ce clavier — quoique, c’est peut- être un engin trop récent pour eux.

Je l’ai depuis 1995, mais il était en panne. Je me suis enfin décidé à le faire réparer, c’était un enfer. Et là d’ailleurs, il ne marche plus. J’ai aussi un Mellotron, le nouveau, numérique, celui que possèdent souvent les groupes qui essaient d’avoir l’air vintage. J’ai écrit quelques chansons au piano, trois ou quatre, ce que je n’avais quasiment jamais fait. C’est peut-être pour ça que ça sonne différent. Je suis un pianiste très sommaire. Je bricole. Quand je trouvais une idée qui me plaisait, je mettais des bouts de scotch sur les touches pour me souvenir, parce que je savais que dix minutes après je n’aurais pas su le rejouer. Je ne comprends pas bien le piano, quand j’essaie de faire un solo je joue toujours les mauvaises notes.” Il a également, ces temps-ci, composé la musique de “Flaked”, série Netflix signée Will Arnett. Et travaille en ce moment sur des morceaux “complèteme­nt électroniq­ues et bizarres. Ça commence à prendre forme”, avoue-t-il mystérieux. “Je ne sonne pas très bien quand je rappe par contre.” Plaît-il ? “Oui, j’essaie de rapper depuis 1990. Quelque part, ‘Stereo’ (titre grandiose de Pavement en 1997), c’est un petit peu ça, même si, à l’arrivée, ça ne sonne pas vraiment comme du rap. Je pourrais essayer de rapper comme ce mec suédois, qui marmonne une espèce de trap dépressif, Yung Lean. Le problème c’est que je n’ai pas vraiment de message fort à faire passer, je ne vais quand même pas parler de ma voiture...”

Un duo avec Kim Gordon

La vie de Stephen Malkmus ressemble à celle d’un personnage de la série “Portlandia”, avec ligue de softball amateur, bières de microbrass­erie et jam sessions dans le garage. Est- ce pour cela qu’on entend dans “Bike Lane”, un texte sur la culpabilit­é de la classe moyenne

hipstérisé­e ? Le texte voit Malkmus constater les différence­s de

“La crainte était de passer pour un quinquagén­aire qui s’achète un jeans de jeune, avec des trous”

préoccupat­ions entre, d’un côté, les hipsters de Portland qui pensent à leurs problèmes de voies cyclable, et, de l’autre, le sort de Freddie Gray, jeune Noir de Baltimore mort de violences policières. Autre moment

fort du disque, “Refute” un duo avec Kim Gordon. “C’est un duo fillegarço­n classique, sauf que le texte est un peu tordu. Je ne voulais pas faire une chanson country typique, je voulais que ce soit un peu plus sombre, alors j’ai fait venir Kim. L’homme raconte qu’il trompe sa femme avec la fille au pair et la femme livre sa version des faits, avec une certaine violence.” Un morceau presque classique qui en côtoie un autre, “Rattler”, où Malkmus passe sa voix dans un logiciel type Auto-Tune, pour une voix de robot étrange. “C’est un logiciel appelé Nectar. C’est amusant de bidouiller avec ça. Quand on choisit des réglages bizarres, cela peut donner des résultats complèteme­nt fous. On ne sonne pas comme Cher. On s’est bien marrés. J’en ai parlé au groupe et j’étais inquiet, car certains Jicks sont un peu plus conservate­urs en matière de sonorités vintage. Quelqu’un dans le groupe n’aimait pas trop au départ. Je ne dirais pas comment elle s’appelle (référence pince-sans-rire à Joanna Bolme, bassiste et seule fille du quartette). A la fin, quand elle a entendu le résultat, elle était rassurée. La crainte était de passer pour un quinquagén­aire qui se fait un lifting, ou qui s’achète un jeans de jeune, avec des trous, qu’il ne devrait pas acheter. Mais je suis très content. Ça marche avec cette chanson un peu science-fiction et metal.” On le dit trop peu, les Jicks sont un des groupes les plus plaisants à voir évoluer. Pavement jouait avec une maladresse charmante les morceaux de Malkmus. Les Jicks, eux, sont sa Formule 1, un bolide guidé par un batteur, Jake Morris, qui maintient une pulsation dynamique et vivante, en symbiose avec Joanna. Et un guitariste, Mike Clark , capable d’assurer les claviers, des rythmiques ou de croiser le fer avec le patron dans des doubles solos. Un peu comme s’il se fichait de toute gloire commercial­e, le patron des Jicks s’adonne à toutes sortes de plaisirs guitaristi­ques et absolument pas coupables : morceaux psychédéli­ques, voire cosmiques, rock acide, morceaux seventies étirés sur de longues minutes hallucinée­s. SM&TJ sont parfois un guitar band à l’ancienne, presque aussi obsessionn­el et généreux que Endless Boogie (des potes, sans le moindre hasard). Avec un boss raffiné et styliste certes, mais qui aime actionner son overdrive avec une générosité certaine. Comment se définirait-il ? “J’essaie de ne pas jouer trop souvent, pour garder de la spontanéit­é. Je dois pratiquer pour pouvoir me maintenir, avoir de la corne, bien sûr. J’aimerais que mes doigts puissent bouger plus vite, mais ça ne m’obsède pas. J’essaie souvent des accordages différents, et je joue beaucoup aux doigts. J’ai remarqué que de plus en plus de gens délaissaie­nt le médiator. Je tords aussi beaucoup les cordes. L’intérêt de la guitare, c’est de faire des bends. J’utilise beaucoup la wah-wah sur le disque. J’adore ça. Une de mes pédales a ce son aquatique que j’adore. J’en ai peut-être mis un peu trop...” Tel un adolescent, il se délecte de plaisirs simples : jouer des solos, à n’importe quel moment de la chanson, y compris pendant qu’il chante. “J’essaie de ne pas trop jouer la même mélodie à la guitare et au chant, mais ça m’arrive. Sonic Youth faisait beaucoup ça. Parfois, quand on ne chante pas vraiment juste, c’est bien d’avoir la mélodie à la guitare, ça facilite l’écoute. Mais c’est bien aussi de faire des choses inattendue­s”

Sourire en coin

L’homme, aussi, est difficile à mettre dans une case. A force d’aborder tous les genres avec un petit sourire en coin, on finit par ignorer ce qui lui plaît vraiment. Il avait dit une fois, un peu pour faire le malin :

“J’ai écouté tout le rock.” Sans qu’on sache au fond vraiment ce qui a

compté de façon viscérale pour lui. “La vérité, c’est que j’aime énormément de trucs. Les gros groupes, comme les Rolling Stones, le Velvet Undergroun­d. Les nouveaux groupes me plaisent aussi — j’aime beaucoup les Oh Sees par exemple, j’aime tout chez ces mecs. Pour quelqu’un qui veut écouter du rock’n’roll aujourd’hui, ce groupe a tout pour rendre heureux. Dans les années 90, j’adorais Stereolab. Il m’est aussi arrivé de faire une fixette simplement sur un album. ‘You’re Living All Over Me’ de Dinosaur Jr a été un disque hyper important pour moi, pendant un an. Je reste aussi fidèle à certains groupes que j’aimais dans les années 80, Devo, Kiss, Van Halen... J’adore ces groupes et j’ai l’impression que le fait que je me sois mis à les aimer avait presque un côté obligatoir­e. Si tu as un certain âge, que tu vis dans telle ville, tu es obligé d’aimer des groupes qui correspond­ent à ces critères. Les Pixies, par exemple, les gens de mon âge qui aimaient le rock indie, étaient comme obligés d’aimer leurs albums.” ★

Album “Sparkle Hard” (Domino)

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France