Rock & Folk

UNKNOWN MORTAL ORCHESTRA

Ruban Nielson, le savant fou de Portland, sort un quatrième album funky comme du Prince mais saturé comme du punk.

- Basile Farkas

Néo-Zélandais établi dans l’Oregon, Ruban Nielson est assurément l’élément le plus insaisissa­ble d’une pop hybride moderne elle-même assez dure à cerner. Peut-être aussi celui qui, dans cette bande qui n’en est pas vraiment une (MGMT, Mac DeMarco, Tame Impala, etc.) est le plus sousestimé. Depuis 2011, Unknown Mortal Orchestra affine une oeuvre lo-fi en diable, qui a pris son envol en 2015 avec “Multi-Love” album aux influences plus funky, porté par le fantastiqu­e single du même nom. Après avoir exposé à son auditoire les souffrance­s et les joies du polyamour, Nielson se contente de jouer au polyinstru­mentiste sur un quatrième album, tout aussi dansant mais surtout éminemment varié. Qui se cache derrière tout ça ? Un trentenair­e qui porte une casquette

Hawaii sans ironie (il vient de l’océan Pacifique lui aussi) et s’exprime avec la voix la plus douce qui soit.

Quatre pédales fuzz

ROCK&FOLK : Parlez-nous un peu de votre laboratoir­e...

Ruban Nielson : J’ai une pièce remplie de magnétopho­nes à bandes, et de pédales. Chez moi, j’ai construit une sorte d’endroit dédié à la distorsion. Quand j’enregistre, la question n’est pas de savoir si mon travail sera saturé, mais

comment il sera saturé. Je ne suis pas capable d’enregistre­r un son propre. J’ai essayé, mais j’ai depuis décidé d’accepter le fait que j’aime les sons sales. Parfois, il faut que je branche quatre pédales Fuzz Face en série pour obtenir le son que je désire... Les deux premiers albums ont été enregistré­s au sous-sol chez moi, la nuit. J’ai décidé de déplacer mon matériel dans une pièce avec la lumière du jour pour le troisième album et, pour celui-ci, j’ai encore essayé de faire quelque chose de nouveau. J’ai toujours été fasciné par la mythologie autour du mur de Berlin, où David Bowie et Iggy Pop ont enregistré. Je me suis demandé quel pourrait être l’équivalent aujourd’hui. Ma première idée a été d’enregistre­r le plus près possible de la zone démilitari­sée à la frontière des deux Corées. J’ai trouvé un studio, au Sud bien sûr, mais qui était dédié à la K- Pop, cette pop numérique très propre. Ça n’a pas collé, mais j’ai essayé... J’ai aussi enregistré à Reykjavik ou à Hanoï. C’est là que mon père a enregistré un solo de saxophone, en pleine mousson...

R&F : Vous faites partie du club des gens qui font leurs disques seuls, en jouant tout euxmêmes. Ceux qui l’ont fait, Paul McCartney, Stevie Wonder, Tame Impala, obtiennent toujours un résultat très particulie­r...

Ruban Nielson : “Multi-Love” a été fait avec mon frère, mais c’est vrai que je travaille seul la plupart du temps. Le but, quand je m’enferme, est d’atteindre un état de surexcitat­ion. J’aime faire les choses sans aucune méthode. Que le morceau soit psychédéli­que, disco, lo-fi, ou tout à la fois, j’aime les accidents, les erreurs.

R&F : Le fait que “Multi-Love” décrive votre vie sentimenta­le en détails s’est-il avéré problémati­que ?

Ruban Nielson : Souvent, les romanciers ont de gros problèmes avec leurs proches parce qu’ils racontent leurs histoires intimes. Des familles ont été brisées. C’est pour ça que je ne lis plus les interviews des écrivains que j’aime bien, je ne veux pas connaître les coulisses. J’ai un peu connu la même chose avec le disque. L’erreur que j’ai faite, c’est de tout raconter dans une interview à Pitchfork. Le journalist­e est venu passer quelque jours chez nous et j’ai fini par lui expliquer toute l’histoire, au milieu de tas d’autres choses. Et l’article n’a parlé que de ça... Je persiste cependant à croire qu’il faut mettre des éléments personnels dans l’art, c’est indispensa­ble.

R&F : Vous sentez-vous partie prenante de cette scène pop à la fois psychédéli­que et électroniq­ue, qui est partout depuis MGMT ?

Ruban Nielson : Pas vraiment. Mais “MultiLove” est sorti au moment où Tame Impala partait dans la dance et où Kendrick Lamar s’est mis à devenir funky, alors je me suis senti moins incompris. Du reste, je constate qu’il n’y a pas eu grand-chose de purement rock qui m’ait vraiment excité ces dernières années. J’adore les textures de guitares, mais je suis en revanche plutôt content que les groupes à murs d’amplis, ce truc très masculin, aient un peu disparu du paysage. J’ai lu récemment que les filles achetaient plus de guitares que les garçons. Tant mieux.

Délimitati­ons esthétique­s

R&F : D’où vient cette versatilit­é totale, cette absence de barrière ?

Ruban Nielson : Quand j’étais dans des groupes punk en Nouvelle-Zélande, il y avait d’un côté les groupes cool, de l’autre ceux qui ne l’étaient pas. Moi, j’étais pourtant ému par d’autres choses, mais je n’avais pas le droit de le dire : Steely Dan, le disco ou Frank Zappa — les punks n’ont pas vraiment adoubé Zappa, ce qui est une erreur. En grandissan­t, j’ai compris que ces délimitati­ons esthétique­s étaient grotesques. Pour les musiciens, tout a toujours été beaucoup plus chaotique. Le jour où j’ai lu que Rick Wakeman avait joué sur le premier album de Lou Reed, je me suis senti libéré. C’est drôle, maintenant j’ai le problème inverse. Quand le nouveau single, “American Guilt”, est sorti, tout le monde s’est plaint de l’absence des synthétise­urs et de l’omniprésen­ce des guitares... ★

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