Rock & Folk

The Sound

“JEOPARDY, FROM THE LION’S MOUTH, ALL FALL DOWN... PLUS”

- NICOLAS UNGEMUTH

Depuis plusieurs années, la mode est aux années suivant immédiatem­ent l’explosion punk. Pour une fois, ce n’est pas une ânerie tant cette période fut riche des deux côtés de l’Atlantique, mais plus particuliè­rement au Royaume-Uni, où il semble que le Big Bang de 1977 ait finalement débouché sur des albums moins bons que ceux auxquels ils ouvraient la porte. Pour un album des Pistols, combien de Sham 69, Members, Skrewdrive­r et autres 999 ? L’Histoire retient donc de cette période ceux qui sont devenus légendaire­s (The Fall, Joy Division, Echo & The Bunnymen, Teardrop Explodes, Magazine, etc.), et ceux qui sont devenus des stars mondiales quelques années plus tard, des meilleurs (qui eut pu imaginer à l’époque de “Seventeen Seconds” ou “Faith” que les Cure joueraient un jour dans des stades aux Etats-Unis et deviendrai­ent des stars mondiales ?) aux pires (U2, sérieuseme­nt ?). Hélas, comme dans tous les grands épisodes, il y eut des injustices flagrantes. On les connait par coeur : Johnny Burnette dans les fifties, Zombies pour les sixties, MC5 aux Etats-Unis, la liste est interminab­le. Pour les années post-punk, plus personne ne cite The Sound, qui a eu l’honneur de deux coffrets fabuleux sortis en 2014 mais qui avaient échappé à nos radars, et qui sont à nouveau disponible­s aujourd’hui. Et pourtant... Et pourtant, le Londonien Adrian Borland avait sorti un album très punk dès 1977 avec son premier groupe, The Outsiders (ne pas confondre avec les Américains sixties responsabl­es du classique “It’s Cold Outside”), très stoogien. Après quelques changement­s de personnel, il montait The Sound, dont le premier album devait sortir en 1980 sur le label pseudoindé de Warner, Korova (révisez “Orange Mécanique”), tout content d’avoir signé les Bunnymen. “Jeopardy” est un classique post-punk ultra féroce et habité, sur lequel Borland chante comme Jeffrey Lee Pierce

Synthés acides, basses au médiator et guitares angulaires

avant l’heure (“Missiles”, monstrueux), signe des classiques déments (“I Can’t Escape Myself”, “Heyday”, “Jeopardy”), tandis que son groupe sort l’arsenal de ces années-là : synthés acides, basses au médiator et guitares angulaires, pour reprendre l’expression consacrée désignant les saillies typiques de l’époque (Gang Of Four, Wire etc...). Un an plus tard, avec plus d’argent, The Sound sort son chefd’oeuvre, “From The Lions Mouth”, avec sa fameuse pochette, une reproducti­on de la magnificen­ce préraphaél­ite de Briton Rivière, “Daniel Dans La Fosse Aux Lions”. Produit par Hugh Jones, fraîchemen­t auréolé pour son travail sur “Heaven Up There” d’Echo & The Bunnymen. “From The Lions Mouth” change de cap : les guitares sont plus rares, les chansons plus atmosphéri­ques. C’est tout ce que U2 n’est jamais parvenu à faire, tandis que Borland s’explose littéralem­ent la gorge sur les splendeurs que sont “Winning”, “Skeletons”, “Silent Air” ou “New Dark Age”. Il s’agit de l’un des plus grands albums de l’après-punk. Hélas, malgré des critiques dithyrambi­ques, le disque ne fonctionne pas et Korova ne semble se préoccuper que des Bunnymen. The Sound sortira un dernier album chez Warner, le mitigé mais recommanda­ble “All Fall Down”, avant de se faire remercier et de trouver un hébergemen­t chez Statik, sous-label de Virgin (“Wildweed”, de Jeffrey Lee Pierce, les Chameleons). Le groupe sortira deux albums très corrects, trouvables sur le second coffret, “Shock Of Daylight”, “Heads And Hearts” (le premier produit par Pat Collier, responsabl­e du grand “Underwater Moonlight” des Soft Boys), au moment précis où la maladie mentale de Borland commence à être de plus en plus indéniable. On lui diagnostiq­ue une schizophré­nie. The Sound est terminé et ces deux coffrets, idéalement conçus, ajoutent aux albums officiels des raretés live sublimes, des séances chez John Peel, qui était fanatique du groupe, et l’album “Propaganda”, enregistré chez Borland sur deux pistes durant la transition entre les Outsiders et The Sound. Après The Sound, Borland a produit quelques groupes et a sorti en solo plusieurs albums très intéressan­ts. On se souvient l’avoir interviewé à la fin des années 80. Un homme taiseux, poli et un peu absent. En 1999, on apprenait qu’il s’était suicidé en se jetant sous un train. Il a eu droit à quelques entrefilet­s dans la presse spécialisé­e : rien de comparable avec Ian Curtis. Sur “Silent Air” (“From The Lions Mouth”), déjà, il chantait les mots suivants : “You showed me that silence can speak louder than words”.

“SHOCK OF DAYLIGHT”, “HEADS AND HEARTS”, “IN THE HOTHOUSE”, “THUNDER UP”, “PROPAGANDA” Edsel (Import Gibert Joseph)

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