Doo-wop tordu, country perverse, rockabilly mental, exotica vénérienne
Little Bob Story “HIGH TIMES 76-88” Verycords
Il ne faut pas écouter la télévision : le taulier, de l’avis de tous, de Dominique Laboubée à Frandol, c’est bien lui, et non le Belge. En un coffret de deux CD dont le fameux perfecto rouge orne la pochette, c’est une évidence. Cette déflagration ! Dès “High Time”, on se dit que les jeunesses devraient écouter cela à partir du biberon. En 1976, Roberto Piazza chantait mieux que Lemmy (qui, le temps d’un morceau en public, les annonce en beuglant de sa voix sablée “Listenupsonofbitches,LittleBob’s gonnatellyouastory!”), Lee Brilleaux et Bill Hurley réunis. Les doigts dans le nez. Et son groupe foutait le feu comme une bande de pyromanes repris de justice. Personne, absolument personne, n’avait enregistré du rock’n’roll comme cela en France à l’époque, ni les Variations, ni Martin Circus, ni les fameux trois piliers, Johnny, Eddy ou Dick, pataugeant en pleine variété depuis des siècles. La Story était une tuerie, et le génial Vic Maile savait produire le tout pour que ça ne sonne pas comme les Blousons Noirs. La légende du Havre qui était plus que respectée au Royaume-Uni se retrouve donc idéalement compilée sur ces deux CD enfilant ce qu’il a fait entre 1976 et 1988 (plus un nombre invraisemblable de raretés et de live inédits, ainsi qu’un DVD durant lequel quelques musiciens, et non des moindres puisque Eric Burdon et Glen Matlock, témoignent de leur admiration pour la petite teigne), déclenchant plus d’une vocation en France, et particulièrement entre Le Havre et Rouen. On comprend pourquoi en s’enfilant tout cela d’une traite. Il est grand temps de lui rendre les honneurs qu’il mérite. D’autant qu’il a sué plus que les autres. Et puis, qui pouvait aussi bien honorer Steve Marriott en accomplissant le rêve qu’il n’avait jamais atteint (faire sonner les Small Faces de “All Or Nothing” comme les Rolling Stones d’ “Exile On Main St” ; doux Jésus, même Rod Stewart n’y est jamais parvenu malgré son talent et ses nombreux efforts !) ?
Spirit “IT SHALL BE – THE ODE & EPIC RECORDINGS 1968-1972” Esoteric (Import Gibert Joseph)
Les albums de Spirit ont été réédités à plusieurs reprises, et on ne compte plus les compilations dédiées au groupe de Los Angeles. Mais à notre connaissance, c’est la première fois que ses albums classiques sont remasterisés et réunis dans un même coffret à vil prix. Que dire de ce groupe totalement inclassable, aux antipodes de ce qui se pratiquait en Californie à l’époque (Love, Doors, Mothers, Byrds, etc.) ? Adulé par Robert Plant et Jimmy Page (on connait l’histoire de “Taurus” et de “Stairway To Heaven”) et beaucoup d’autres, mais ignorés par le grand public, les gars de Spirit pratiquaient un rock savant et complexe, jamais ennuyeux. Randy California était un fou de ces guitares sonnant comme des orgues, ultra compressées, popularisées par son maître Hendrix (qu’il n’a pourtant jamais tenté de singer, comme tant de guitaristes à l’époque) sur “All Along The Watchtower”. Son beaupère Ed Cassidy, chauve comme un sosie précurseur de l’âne de Midnight Oil, qui avait joué avec les plus grands noms du jazz, assurait des lignes de batterie hyper fines et jamais démonstratives, ils avaient un bon bassiste et un bon chanteur, mais surtout, ils pouvaient, sur chacun de ces albums vraiment indispensables (“Spirit”, 1968, “Clear”, 1969, “The Twelve Dreams Of Dr. Sardonicus”, 1970, “The Family That Plays Together”, 1970), signer des chansons qui, sans être réellement tubesques (à l’exception du démentoïde “I Got A Line On You”), étaient toujours passionnantes, aventureuses, musicales, sans jamais tomber dans les idioties du prog rock ou du rock-à-jam de San Francisco. Ce coffret est d’autant plus méritoire qu’outre les albums classiques, il aligne des choses plus rares qui ne sont pas des fonds de tiroir, comme la BO de “Model Shop”, réalisée pour Jacques Demy, “Feedback”, moins connue et sorti en 1972, et d’autres bricoles uniquement trouvables sur la compilation moins exhaustive “Time Circle”. Bref, il y a tout... Randy California, quant à lui, après avoir effectué un virage metal grandpublic, est mort noyé en 1997, après avoir sauvé son fils au large d’Hawaï. Rock&Folk l’avait rencontré peu de temps avant, et c’était un homme bien.
John Lee Hooker “JOHN LEE HOOKER (THE GALAXY ALBUM)” Galaxy/ Pias
Ceux qui n’aiment pas le blues parce qu’ils ont été traumatisés par Albert et BB King, Stevie Ray Vaughan ou Eric Clapton brandissent généralement les mêmes arguments, et on ne peut pas vraiment les blâmer : c’est toujours le même solo et les trois mêmes accords. Eh bien, ces atrabilaires ont peut-être une chance de se mettre au genre en découvrant qu’il n’a pas toujours été aussi calibré, balisé, formaté. John Lee Hooker, lui, n’utilise qu’un accord. Pourquoi s’embêter ? Il se contente juste de changer de tonalité ici et là et déplaçant son capodastre. Et puis, mieux encore, il ne fait pas de solo :
à peine quelques petites fioritures, comme des virgules, ponctuant ses chansons modales. Et pour finir, il ne s’ennuie même pas à chanter (alors qu’il a la plus belle voix du blues avec Sam Lightnin’ Hopkins) : il parle. Autant dire que ça décrasse les préjugés. Son genre primitif a naturellement fait fantasmer les petits Blancs universitaires du blues : selon eux, en entendant cela, bon sang mais c’est bien sûr, c’est l’Afrique qu’on entend ! La source, avant l’esclavage et la traversée dans les câles au-dessus de l’océan ! Il est plus probable que Hooker, qui n’a jamais entendu parler de l’Afrique, n’ait tout simplement pas appris à jouer de la guitare autrement que dans le plus strict open tuning, et que ses qualités d’instrumentiste, limitées, l’aient empêché de se lancer dans les tricotages fascinants de Robert Johnson, Charley Patton ou Lightnin’ Hopkins. Trêve de plaisanterie : ce qui est peut-être son plus grand disque ressort en édition limitée agrémenté de huit titres, et ça sonne comme un tableau de Bosch. “John Lee Hooker (The Galaxy Album)”, était sorti en 1962 et regroupait plusieurs séances ultra rares enregistrées du tout début à la fin des années 50 par un Hooker accompagné la plupart du temps par sa guitare, son ampli et son pied droit. Ressorti en Europe sous un autre intitulé (“The King Of Folk Blues”), l’album original est l’un des plus recherchés de sa très prolixe carrière. On comprend pourquoi : il s’agit de l’art hookerien à son plus pur. Et qu’on ne nous cherche pas dans le courrier des lecteurs le mois prochain avec les solos de BB King ou de Stevie Ray Vaughan (s’adresser directement à Casoni).