Target
Dans la plus pure lignée de Bad Company
Si Target n’est pas passé à la postérité, il n’en est pas de même pour son frontman Jimi Jamison, dont on retrouvera plus tard la voix chez Survivor ou même au générique de “Alerte A Malibu”. Ses débuts, ici, sont nettement plus recommandables, avec un hard rock dans la plus pure lignée de Bad Company.
Rejoignons la mythique cité de Memphis où, à la fin des sixties, Tommy Cathey gratouille ses quatre cordes pour Alamo, un combo texan confidentiel mais renommé localement. En 1972, il postule pour Omaha, spécialisé dans les reprises country et sudistes. Il y croise Jimi Jamison, talentueux chanteur au grain râpeux. Les deux hommes fomentent Target dès 1973, en compagnie du guitariste Buddy Davis. Pour former une dual guitar
attack, ils rameutent un vieil ami, Paul Cannon, repéré et chaperonné par rien moins que le légendaire Steve Cropper, qui l’a embauché comme musicien de séance. David Spain, aux fûts, complète la prometteuse affaire. Les influences revendiquées sont Bad Company et Trapeze. Quelques maquettes sont gravées pour démarcher les labels, mais la roue tourne vraiment quand Jim Dandy, l’illustre chanteur des Black Oak Arkansas, ainsi que son manager Butch Stone assistent à l’une de leurs performances. Excités, conquis, ces derniers leur tendent la main, et le roublard Butch ne tarde pas à sécuriser un contrat avec A&M. John Ryan, qui a déjà collaboré avec Styx, est désigné pour prendre place derrière la console du prestigieux studio Ardent de Memphis. Sa relation avec le groupe n’est pas très fluide, mais Target tient bon. Le mixage est finalisé aux studios Record Plant de Los Angeles, au moment même où les Eagles peaufinaient “Hotel California”. Target en profite pour investir quelques salles de renom comme le Roxy. Le très bon premier disque, sans fioritures, est publié en 1976. On est frappé d’emblée par l’organe rocailleux de Jamison, proche de Paul Rodgers. Il est secondé par deux bretteurs complices, jouant tantôt à l’unisson, alternant les soli vifs, percutants, mélodieux. Avec en prime une rythmique solide, il en découle un hard rock bien caréné, inspiré, avec des riffs chaloupés (“Love Just Won’t Quit”, “You Need A Woman”) et d’amples ballades (“Let Me Down Easy”, “Let Me Live”). Parfois, le ton se fait presque soul comme avec “Workin’ Song”, ou boogie avec “Just A Little Too Much”. Les meilleurs titres sont sans doute la saignante “Can’t Fake It” et la débonnaire “99 1/2”, ponctuée de pimpants cuivres. Cet opus peine à séduire un large public. Pourtant, une fois n’est pas coutume, A&M n’a pas fait les choses à moitié puisque l’auguste maison a accolé Target à Black Sabbath pour une tournée américaine, puis à d’autres énormes vendeurs tels Peter Frampton ou Bob Seger. Un second effort est planifié dans la foulée mais, coup de théâtre, Buddy Davis prend la tangente, lassé par le cirque ambulant des tournées. Cet évènement ne ralentit pas Target, qui maintient sa trajectoire. Un producteur plus conciliant est engagé : Paul Hornsby, lequel a su gérer les Allman Brothers, Black Oak Arkansas ou encore Marshall Tucker Band. Cet affable barbu officie aux studios Capricorn à Macon, dans l’Etat de Géorgie. Paul Cannon se charge de toutes les parties de guitare pour pallier le forfait de son acolyte, parvenant donc à ferrailler de manière convaincante avec
lui-même. “Captured” paraît en 1977, sous une pochette ratée s’inspirant vaguement de celles de Roxy Music, version camionneur. Il s’inscrit dans la droite lignée de son prédécesseur, avec une écriture plus laborieuse (“Maybe In Time”, “Make Your Dreams Come True”), un son un peu plus lisse, une basse caoutchouteuse. L’enjouée et accrocheuse “Shine The Light” vise sans doute les radios mais “Runaway” porte toujours aussi haut le flambeau du heavy rock, avec une slide bien affûtée, tout comme la fringante “Rock And Roll Laureate”. Accaparé par Supertramp, A&M manque de temps pour s’occuper de ses poulains. Le soutien reste pourtant palpable car Target ouvre à présent pour Rick Derringer et Boston. Deux nouveaux musiciens rejoignent brièvement la bande, mais déjà de sombres nuages s’accumulent. Une violente querelle contractuelle éclate entre le groupe et son manager, qui avait pris soin de les faire signer chez A&M via sa société d’édition. Target se retrouve bloqué, mais récupère Buddy Davis pour s’offrir une dernière chance, de retour aux studios Ardent. La matière d’un troisième album est couchée, mais sera refusée partout, les imbroglios judiciaires prenant le pas sur le reste. Target n’a d’autre choix que de se disloquer. Cet ultime témoignage ne paraîtra qu’en 2017 et montre qu’une direction encore plus domestiquée et commerciale était envisagée, préfigurant le son de la décennie à venir. Tous les membres de Target poursuivront leur chemin dans le milieu musical, Jimi Jamison ayant de loin la plus fructueuse carrière puisqu’il rejoindra Survivor en 1984.