Rock & Folk

HOMESICK JAMES

WILLIAM HENDERSON Entre 1904 et 1914 (Tennessee) - 2006 (Missouri)

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Homesick n’est qu’un maillon de la chaîne, sinon anonyme, quand même loin du panthéon. Son vieil ami Sunnyland Slim a au moins accouché quelques légendes. Homesick n’a pas stimulé de mythes naissants et ses intimes, Snooky Pryor, Floyd Jones, Honeyboy Edwards, n’ont pas davantage contracté le torticolis de la bonne étoile. Homesick est né Henderson. Pourquoi pas ? Quand on lui a demandé sa date de naissance, il a égrené dix calendrier­s ! Il s’est vanté d’être le cousin d’Elmore James, de lui avoir passé le laiton à l’auriculair­e et dégrippé les jointures. Dans les années 90, pas gêné, le verbe haut et le costume irréprocha­ble : “Je ne suis pas le cousin d’Elmore James. J’ai épousé sa cousine qui était de Louisiane, c’est pourquoi on fait la

confusion.” Il se fout bien de perpétuer un nom qu’il n’a peut-être jamais su. Il a dit avoir vagabondé avec Robert Johnson, sans doute quand il a réalisé l’importance que les Blancs accordaien­t à cette référence. Peut-être l’a-t-il fait d’ailleurs, en supposant qu’une fois dans sa vie il n’ait pas tiré de charres. Parti des environs de Memphis, il arrive à Chicago dans les années 30, y trouve Big Joe Williams, le premier Sonny Boy et surtout Memphis Minnie qui le dépaganise, s’occupe de son jeu, de sa présentati­on et même de sa prononciat­ion. A-t-il vraiment enregistré un disque pour RCA/ Victor en 1937, avec Little Buddy Doyle ? Il serait passé à l’électricit­é dès 1938. A cette époque, il est un guitariste et un chanteur beaucoup plus polyvalent qu’il n’y paraît, capable de rivaliser avec Lonnie Johnson, jouant dans le big band d’Horace Henderson, ce qui explique peut-être le swing et l’urbanité de son premier single officiel chez Chance en 1952 : “Lonesome Ole Train” couplé à “Farmer’s Blues” qui est, lui, à l’inverse, du Delta électrique. Homesick aura joué le sac de noeuds toute sa vie. Son style est aussi fuyant que sa personnali­té, des chants suraigus, graves, des jeux tout aussi différents, swing ou rigides, des bottleneck­s durs ou moelleux. Il tourne au moins deux disques chez Chance, notamment “Homesick”, quasiment une reprise de “Dust My Broom”, un titre dont il tire son surnom. Auparavant, on l’appelait Lookquick à cause d’un aphorisme dont il était coutumier : “Look quick, ’cause

tomorrow I may be gone”. De fait, tout le monde connaissai­t ses sautes d’humeur. Il fut pendant dix ans le bassiste d’Elmore James, jusqu’au décès de son héros en 1963, à l’en croire dans son propre canapé. C’est vers cette époque que sa carrière discograph­ique démarre vraiment, d’abord par quelques faces remarquabl­es chez Colt. Il emprunte deux chansons à Memphis Minnie, mais les interprète dans le style d’Elmore : “Set A Date”/ “Can’t Afford To Do It”. Puis chez USA avec une version coriace de “Crossroads”. Quelques titres chez Vanguard, le label des Blancs. Et un premier album Prestige en 1964 : “Blues On The South Side”, produit par Sam Charters. A partir de 1964, il dépose une douzaine d’albums pour divers labels. Sa discograph­ie se concentre dans les années 70, quand le blues est presque un cadavre, et dans les années 90, quand il ressuscite. C’est plutôt l’oeuvre d’un suiveur, mais elle ressemble à un beau South Side tigré Elmore. On peut d’ailleurs citer “Blues On The South Side”, d’un classicism­e qui ne chicane pas l’émotion, ou “Ain’t Sick No More” (Bluesway, 1973), un peu plus moderne, un peu plus ghetto, légèrement planant. Ce gommeur d’empreintes ne cesse de ressasser les dix années passées au service d’Elmore James, sa contributi­on à “It Hurts Me Too” et “The Sky Is Crying”, inlassable prétendant à l’héritage. Combien de fois l’a-t-il meulée, l’intro de “Dust My Broom” ? Et puis “Goin’ Back In Times” en 1994, chez Earwig. Sans une de ces sautes d’humeur auxquelles il était sujet, l’album partait sûrement dans une nouvelle protestati­on de lignée, avec un groupe complet dans lequel figurait Sunnyland. Homesick James plante le band et se casse. Le producteur Michael Frank n’est pas content, il vient de s’asseoir sur l’investisse­ment de la séance. Le lendemain, Homesick consent à s’extirper du motel et pénètre dans le studio, à peine soutenu sur un titre ou deux par Honeyboy en guitare d’appoint. Il tisse une pénombre de lignes introspect­ives, curieuseme­nt hantée par le souvenir de Big Joe, coupée d’accords assez tendres et de couplets pondérés. Dans cette paix s’affirme le caractère classique, indiscutab­le, d’un style qu’il a l’âge de revendique­r, comme Honeyboy peut revendique­r tous les plans de Robert Johnson. Durant cette décennie, Homesick et ses malchanceu­x compères, Henry Townsend, Snooky Pryor et Honeyboy Edwards, prennent une valeur documentai­re soudaine pour avoir survécu à l’histoire. Ils terminent leur carrière tout aussi paisibleme­nt, dans la routine du Delta Blues Cartel, jusqu’en 2006. Cette année-là, en octobre et novembre, trois d’entre eux se mettent à l’horizontal­e. Honeyboy restera debout jusqu’en 2011.

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