Three Songs, Three Singers, Three Nations
GREIL MARCUS Allia
“Une chanson folk a un millier de visages, et il est nécessaire de tous les voir pour bien la jouer” a écrit Bob Dylan. Pour le grand Greil Marcus, génial critique rock aux mythiques ouvrages, il est également nécessaire de voir ces visages d’une chanson pour bien l’écouter et c’est ce qu’il s’applique à démontrer dans ce “Three Songs, Three Singers, Three Nations”, mince ouvrage selon les critères habituels du loquace Greil Marcus, mais en revanche bourré à craquer d’enseignements et de digressions enchantées, quoique parfois un poil ardues à suivre. Enseignement est ici à prendre au sens strict puisque ce sont trois conférences données par Marcus à Harvard qui sont réunies dans cette plongée dans les tréfonds de la culture américaine. Marcus nous entraîne, là encore, c’est son modus operandi, dans une balade intellectuelle parmi les filiations complexes, les cheminements insoupçonnés, les racines et les sous-textes de ces trois chansons donc, non seulement emblématiques d’une musique folk alors souvent aussi noire que bluesy, mais surtout des chansons très atypiques devenues des classiques, quoique aux auteurs restés anonymes. Et c’est pour son caractère intemporel et si parfaitement en accord avec son essence folk qu’on la croit généralement, elle aussi, anonyme, que “Ballad Of Hollis Brown” de Bob Dylan rejoint là les deux autres chansons, peu connues en France — sauf certainement de Georges Collange, fin connaisseur du genre et vieux lecteur qui a attiré notre attention sur l’ouvrage, qu’il en soit remercié — un titre de Bascom Lamar Lunsford de 1928, “I Wish I Was A Mole In The Ground”, (“J’Aurais Voulu Etre Une Taupe Sous-Terre” (sic) et de la fantômatique Geeshie Wiley, enregistrée en 1930, “Last Kind Words Blues”. Archéologue aussi fantasque qu’inventif, Marcus poursuit ici, au feeling, la même quête du Graal que dans ses livres précédents et tel un saumon déterminé, remonte le cours du temps à la recherche des sources les plus profondes, des liens, des points de convergence, les plus ténus comme les plus flagrants. Dans une enquête parfois presque policière, l’imaginatif Marcus fouille toute l’americana, sur la piste de ce tronc commun folk, ces“bribes et morceaux de chansons plus anciennes, d’ expressions argotiques, de sortilèges” qui ont donné à ces chansons-là“la morphologie qui permet ... demain tenir le tout ensemble et de faire en sorte que son titre perdure plus longtemps que sa mélodie” et ce faisant, nous raconte finalement, par le biais de l’histoire de la musique, une autre histoire, cachée, de l’Amérique et de ses peuples.