Rock & Folk

Fan Zone Tom Waits

Chaque mois, un collection­neur ouvre les portes de son cerveau. Place à Gilles, Breton et amateur de l’homme au chapeau qui ne tourne pas rond.

- PAR ISABELLE CHELLEY

C’est par le biais d’un long mail à la rédaction qu’on a rencontré Gilles, 54 ans, brestois, marié, deux enfants, “un job sérieux”, passionné, comme Jean-Jacques Burnel, de motos anglaises et d’aïkido. Mais aussi et surtout du plus fameux des clochards célestes.

Bien mal acquis profite parfois, Gilles en est la preuve. “En 1985, j’ai organisé une soirée chez moi et mon meilleur pote a oublié ‘Rain Dogs’ qu’il venait d’acheter. Le lendemain, en nettoyant, j’ai mis le disque et l’ambiance m’a tout de suite plu. Le côté bastringue, la tristesse infinie, la mélancolie m’ont touché.” Au point de garder “Rain Dogs”. Le fan des Stranglers se convertit à Tom Waits. Il n’y a alors qu’un bon disquaire à Brest. “Mais j’ai eu la chance d’habiter un an à Londres. J’achetais souvent mes disques là-bas, ce n’était pas cher à l’époque.” Son trésor est un exemplaire de la compilatio­n “Red Hot + Blue”, où des artistes reprenaien­t l’oeuvre de Cole Porter au profit de la lutte contre le sida. “Tom Waits avait signé le livret. J’étais d’autant plus heureux de l’acheter que c’était une bonne action.” En clin d’oeil au film “Coffee And Cigarettes” où Waits et Iggy Pop jouent une scène mémorable, Gilles le fait signer après un concert des Stooges à Quimper. “Je ne pense pas qu’Iggy ait compris. Dans une interview, ensuite, il a raconté qu’après les concerts, des mecs lui faisaient signer des trucs étranges... J’ai la chance d’avoir des copains qui me ramènent de voyages des bouquins, des disques, j’ai des choses improbable­s, comme un livre en japonais sur Tom Waits. En termes de merchandis­ing j’ai à peu près tout, y compris une médaille de Saint-Christophe pour ‘Hang On St Christophe­r’. J’ai acheté des négatifs de photos de Tom Waits à Londres. En Allemagne, j’ai trouvé une bobine du film ‘Big Time’. Il faudra un jour que je me la fasse projeter, mais où ? J’ai une PLV chez les parents d’un pote à Paris. Elle doit faire deux mètres, je n’ai pas trouvé le moyen de la ramener à Brest. Mais ce qui me plaît aussi, c’est qu’il a toujours refusé qu’on utilise son image. Levi’s s’est servi de ‘Heartattac­k And Vine’ repris par Screamin’ Jay Hawkins pour vendre des jeans. Il leur a fait un procès et la marque a publié ses excuses dans des journaux américains — j’ai acheté les journaux.” Inutile de demander à Gilles ses astuces pour organiser sa collection. “C’est un joyeux bordel, le bastringue à l’image de Tom Waits. Ma femme n’entre plus dans mon bureau, il y a des piles de livres et de disques partout, des posters que je n’ai pas la place d’accrocher, des T-shirts que je ne porte pas de peur de les abimer.”

Et comme il n’est pas maniaque, Gilles partage ses trésors. “La culture est faite pour circuler, je prête mes disques. Le principal, c’est la musique. J’aime la quête aussi, ça doit se rapprocher de la pêche, il faut être patient, attendre que le disque soit à un prix raisonnabl­e. Avec internet, je peux m’y consacrer le soir ou la nuit. Et quand je reçois mon colis, c’est l’émotion du premier Noël à chaque fois.” Un jour, sa collection reviendra à son fils, qui, ce n’est pas un hasard, s’appelle Tom. Et s’il évite les forums de fans, Gilles fait parfois des émules. “Gordon Russell, l’ex-guitariste de Dr Feelgood, a vécu un moment chez moi et y a découvert Tom Waits. Il dit toujours : ‘ce gars-là sait exactement où il va.’ Je ne sais pas si c’est vrai, sa quête a parfois l’air erratique, mais il est intègre. Il ne m’a jamais déçu. Mais si j’apprenais qu’il était raciste ou un truc du genre, je vendrais tout. J’ai besoin de respecter l’homme.”

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