PEU DE GENS LE SAVENT
MON MOIS A MOI
“J’ai 19 ans et je viens de briser le coeur de mes parents : leur fils prodigue vient de leur annoncer qu’il abandonnait ses études pour ‘ vivre dans une grande maison avec ses copains pour faire de la musique’ (sic). Le projet de vie n’est pas facile à défendre. Après quelques pleurs, quelques empoignades et une fugue, il a été convenu que je rempilerais pour une seconde année de fac, de sorte que la maisonnée continue de percevoir les allocations familiales. Quand il n’y a qu’un seul salaire pour quatre bouches à nourrir, il n’y a pas de petites économies.” Sur Facebook, c’est la mode des 10 albums préférés et Sébastien Gimenez, après ce récit d’adolescence, raconte sa découverte d’un disque de Jo Privat. Par son ardeur il donne envie d’échanger l’intégrale d’Archie Shepp avec celle des Nonnes Troppo.
“Pour moi, le jazz [à l’époque de son récit] c’est soit des Noirs sapés comme des croque-morts avec l’air triste (le jazz d’hier) ou des vieux blancs friqués sapés comme des sacs (le jazz d’aujourd’hui qu’on voit dans l’émission Jazz 6, sur la 6).” Ecrire ou parler de musique ce n’est pas avoir bon goût ou s’y connaître, ce n’est même pas toujours être de bonne foi ou honnête mais c’est être viscéral. Cette manie des listes et des notations donne souvent des résultats navrants, car prévisibles jusque dans leur imprévisibilité. Mais tant que des textes comme ceux de Sébastien Gimenez se faufileront dans les réseaux sociaux il reste de l’espoir. D’ailleurs ce sont souvent les mêmes qui couinaient contre la vidéosurveillance ou maintenant le flicage de Facebook qui postent des photos de leur plateau-repas sur Instagram. “Cette affaire, même si ça n’a pas de rapport avec les principes, me rappelle l’affaire Dreyfus.” Maître Amir-Aslani, conseil de Læticia H., chez Ruth Elkrief. Elle évoque plutôt le feuilleton OJ Simpson ou les tribulations de DSK, avec Anne Hommel aux commandes du Canadair. Les avocats sont comme les requins de studio : élégance des meilleurs (Temime), grossièreté et empathie zéro des nervis du barreau. Il s’en est fallu de peu, cet automne, pour que Jojo, subclaquant, revienne dans son ancienne maison de disques et signe pour une flopée de nouveaux albums. La méfiance du père Bolloré, face à la patate prétendument retrouvée de l’animal, aurait fait capoter l’opération à la veille de la convention Universal (et de celle de Norwich Union sur les obsèques). Dommage pour les juristes et le procès en tromperie sur les qualités substantielles du produit.
Débat àMarseille, Télévision, radio, culture : quels modèles pour demain ?, ce genre. Les deux députées payent leur part au restau et ne semblent pas affolées à l’idée de ne pas être réélues (il faut dire qu’elles sont en début de mandat) : il n’y a pas que des mauvais changements. Et c’est plutôt sympathique de voir Childéric Muller, animateur djeun’s un brin échauffant de nos vingt ans, en responsable politique local.
Derniers jours de l’exposition “Daho L’Aime Pop” à la Philharmonie de Paris. Je me suis longtemps demandé si Etienne Daho n’était pas gentil pour qu’on dise de lui qu’il est gentil, si son désir d’être aimé n’était pas la source de son amabilité, s’il n’était pas trop beau pour être vrai. Ce serait déjà pas mal en ces temps de trop bon trop con mais c’est encore mieux que ça, car ce qui frappe, dans ce musée imaginaire, c’est sa subjectivité assumée, la passion de la musique et l’absence d’arrière-pensée. Avec ses 200 familles Daho abat ses cartes et démontre que chacun de ses engouements était entier, que son coeur d’artichaut ne cesse jamais de battre, ce n’est pas si fréquent alors il faut le dire. Je l’ai vu à l’oeuvre dans des circonstances moins scintillantes, sa sollicitude discrète envers des personnes dont tout le monde se fiche prouve que l’affection profonde qu’il suscite est fondée.
Retour en Slovénie trente ans après. Le studio Tivoli a brûlé, un peu partout, ici aussi, des hôtels design, comme si le monde avait fini par ressembler aux films de science-fiction des années 70 avec leurs formes régressives, leurs acteurs en pyjama-survêt’ et leur musique déshumanisée. Dans quelques jours Janez Janša risque de sortir gagnant des élections avec une nouvelle ligne qui ferait passer Laurent Wauquiez pour l’héritier de Pierre Mendès-France. Quand je pense qu’on était montés au sommet du Triglav, le point culminant de la Yougoslavie, pour demander sa libération. A Sarajevo, au Musée d’Histoire de la BosnieHerzégovine, une salle est dédiée au concert que Laibach donna là-bas sous les bombes. Peter Vezjak, qui réalisait les vidéos du groupe, est un homme élégant : il n’a jamais ressorti les publicités qu’il avait réalisées, et où apparaissait pour la première fois Melania Knauss.
“Les ventes mondiales de musique ont connu une croissance record en 2017, avec une hausse de 8,1 %, le numérique représentant pour la première fois la majorité des revenus grâce au streaming, a indiqué mardi la Fédération internationale de l’industrie phonographique (Ifpi) dans son rapport annuel” (Libération, 24 avril). On n’entend plus parler du salut par les sonneries de portables, c’est déjà ça, mais après la tarte à la crème “ce qui marche maintenant c’est les concerts” (je n’ai jamais réussi à gagner plus de 100 € par date, c’est déjà bien pour faire ce qu’on aime, mais bon) et le retour du vinyle (qui a explosé les délais et les tarifs de pressage) il va falloir se coltiner le poncif du streaming qui rend prospère, quand l’essentiel du magot est siphonné par quelques caïds des musiques dites zurbaines. Le temps que j’écrive cette chronique PNL ou Jul auront encore enregistré un album, écouté plusieurs milliards de fois dès sa mise en ligne, et le pire c’est que leurs chiffres ne sont peut être pas bidonnés. C’est tout de même marrant de voir certaines personnes s’extasier sur ce genre de productions, non parce qu’elles les apprécient, mais par peur de rater une nouvelle fois le coche, et de passer à côté du génie à l’état pur.
Sous-sol d’un pavillon dans le Val-de-Marne, fin des années 80. Comme pour les stupéfiants, la recherche ou la cession de matériel de musique est un moment de rencontres et de partage d’intimité. Je me souviens d’un type près de Roissy qui vendait des magnétos Tascam à prix cassé, il y avait un 16-pistes dans sa cuisine et des cartons de processeurs en rack dans la chambre des gosses. Ici un vocodeur Roland SPV-355, 1500 francs, annonce parue dans Sono Magazine. Le propriétaire s’appelle Jean-Pierre Goussaud, il est cordial, me parle de ce qu’il fait (des chansons pour Dalida ou Céline Dion) et je trouve ça nul, aujourd’hui j’aurais mille questions à lui poser. Il me dit qu’il était tombé malade et que sa femme, dont on sentait la présence au salon à l’étage, avait arrêté sa carrière de chanteuse pour être à ses côtés. C’était Rose Laurens. Il est mort peu après et elle le mois dernier. J’ai toujours la machine et je pense à eux chaque fois que je l’utilise.
Peu de gens le savent : ce titre est un clin d’oeil à Vince Taylor, qui aimait bien le saupoudrer dans sa conversation. A ses mousquetaires aussi, Jacques Barsamian, Jean-Louis Rancurel et Georges Collange, qui place des annonces dans le carnet des journaux tous les ans pour la mort de son ami Gene Vincent : cette page leur est dédiée.