Rock & Folk

Shannon Shaw

“SHANNON IN NASHVILLE”

- EASYEYESOU­ND/NONESUCH

Après une décennie à enchanter le microcosme garage au sein de Shannon & The Clams — groupe aux aspiration­s sixties, voire fifties, qui a apporté une touche de doo-wop à la scène californie­nne — Shannon Shaw fait le grand saut de l’album solo. Quiconque ayant vu sur scène cette bassiste-chanteuse exubérante en avait la certitude : la soul est un terrain idéal pour Shannon, dont la voix, enrouée et sensuelle, a quelque chose d’intemporel. Restait à trouver celui qui pourrait offrir à cette interprète de premier ordre l’écrin parfait. Or, depuis peu, Dan Auerbach s’est mis en tête de mettre en lumière les héros de l’undergroun­d américain en leur procurant studio, label et éclairage via sa structure Easy Eye Sound. Après Sonny Smith, le leader des Black Keys s’est ainsi chargé de propulser Shannon & The Clams sur le devant de la scène en produisant leur excellent “Onion” (sorti en février). Un premier galop d’essai qui ne précède que de quelques mois l’album solo de Shannon, intitulé “Shannon In Nashville” comme un clin d’oeil à Dusty Springfiel­d (qui était allée à Memphis en 1968 pour relancer sa carrière et en était repartie avec un absolu chef-d’oeuvre). Auerbach, dont l’oreille est toujours aussi aiguisée (il a par le passé également produit Brimstone Howl, Black Diamond Heavies et même les Growlers pour un projet avorté) a ainsi dû insister auprès de la chanteuse afin de la convaincre de la viabilité du projet. Car Shannon, punk dans l’âme mais habitée par le doute sur ses propres capacités, n’avait pas d’aspiration­s solitaires et avait, dans un premier temps, refusé l’offre du leader des Black Keys (l’histoire veut même que la maman de Shannon aurait menacé de vendre sa propre voiture pour lui offrir le billet d’avion pour Nashville si elle ne le faisait pas elle-même). Entourée de vieux roublards au pedigree impression­nant — dont quelques Memphis Boys tels que Bobby Wood et Gene Chrisman, musiciens profession­nels ayant accompagné sur disque des géants comme Elvis Presley, Neil Diamond et, bien sûr, Dusty Springfiel­d — Shannon, ainsi, a vaincu ses peurs et confié ses chansons à Dan Auerbach. Des complainte­s mélancoliq­ues aux textes personnels qui prouvent que la jeune femme est avant tout une sacrée plume avant d’être une interprète de premier ordre. Sur “Shannon In Nashville”, elle chante ainsi les coeurs brisés avec pudeur et élégance, portée par des arrangemen­ts réalisés avec maestria par Auerbach, qui sait trouver la couleur qui convient à chaque piste, des violons pincés de “Freddies ‘N’ Teddies”, aux cavalcades de “Bring Her The Mirror” jusqu’à la douceur mariachi de “Leather, Metal, Steel”. Si l’enregistre­ment a eu lieu dans le Tennessee, il y a du Motown dans ce disque soul habité (“Make Believe”, “Lord Of Alaska”) qui n’hésite pas à aller vers le grand public sur des terrains déjà arpentés par Amy Winehouse (“Broke My Own”, “Bring Her The Mirror”) ou Adèle (“Golden Frames”). On y trouve, aussi, de grandes chansons pop, telle l’enjouée “Coal On The Fire” que n’aurait pas renié Nancy Sinatra. Touchante sur les morceaux aux violons lacrymaux (“Love I Can’t Explain”), enthousias­mante quand elle mène la danse (“Cryin’ My Eyes Out”), Shannon brille de mille feux sur ce disque magnifique. Le succès lui tend les bras désormais, mais le désire-t-elle vraiment ? ERIC DELSART

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