Guns N’Roses
“APPETITE FOR DESTRUCTION”
Geffen/ Universal
Comment en sommes-nous arrivés là ? Plus de trente ans après sa sortie, le virus ressort en différentes éditions de la plus simples (remasterisée, comme toujours), à la plus luxueuse (album original, live, démos, versions inédites, tatouagestemporaires, lithographies, billets de concerts, crucifix à tête de mort, bagues à tête de mort en laiton, bandana). Pour mieux comprendre, nous avons décidé de partir en immersion périscopique, et d’écouter ce disque pour la première fois de notre vie (à l’époque, on avait d’autres disques à fouetter), en dehors des singles inévitable entendus en cette période heureusement défunte où MTV régnait sur l’univers. D’abord, comme toujours, il faut voir le contexte : 1987 est sans doute l’une des pires périodes du rock. La seconde moitié des années 80 était une déception énorme par rapport à la première (notamment grâce à cette chaîne maudite qui a instauré l’ère absurde où des vidéos étaient plus importantes que des chansons) : en Angleterre, c’était la bérézina. Les Mary Chain faisaient de mauvais disques, le micromouvement C-86, noisy pop où quel que soit le nom qu’on lui donne aujourd’hui, avait généré des groupes majoritairement très médiocres. Aux Etats-Unis, c’était la même chose : les promesses des années 1981-1984 n’ont pas été tenues, la scène paisley s’est dégonflée (sauf pour les Bangles lorsqu’elles ont mis de l’eau dans leur grenadine), des groupes comme les Cramps ou le Gun Club ne sont jamais sortis de l’underground, et les autres, plus ou moins rootsrock ou cowpunk (Lone Justice, Del Fuegos, Blasters, etc.) n’ont pas décollé non plus. Hüsker Dü s’effondrait, les Replacements aussi, Dinosaur Jr. venait de naître et les Pixies n’existaient pas encore, alors qu’ils seraient pourtant le dernier groupe vraiment révolutionnaire aux Etats-Unis (mais il n’y a qu’en Europe qu’ils ont vaguement plu). Le metal, à tendance thrash (Metallica), était underground. Alors les blaireaux se sont payés un boulevard. D’abord Poison et Mätelescroütes. Mais tout de même, ils faisaient un peu trop crétins... L’idéal, donc, pour le débarquement des Guns qui ont joué les super, mais alors super méchants. Un premier album nommé Appétitpourladestruction (en dehors de talocher ses bonnes femmes, on ne sait pas trop ce que cet Axl-sans-E a détruit, mais ce n’est pas grave), rien que ça. En récupérant les recettes de ces prédécesseurs dont les éternels losers finnois de Hanoï Rocks (venir de Laponie et se faire passer pour un Viet est grandiose en soi), les ploucs — sauf Slash, fils de bourgeoise — ont occupé la place en jouant les tueurs : “Bienvenuedanslajungleettuvas mourriiiiiiiiiir,chériiiiiiiiie!” (on aurait dû l’envoyer chez les Karens en Birmanie à la fin des années 80, et il aurait sans doute compris que le Strip de 1986 n’était pas forcément l’endroit le plus dangereux de la terre) , “Watchitbringyoutoyourshunn-n-n-nn-n-n-nkniiiis,kniiiiiiiis!” qui n’était pas sans évoquer “leschevaliersquidisent Ni!” de “Sacré Graal”. Et puis, pour bien montrer qu’ils étaient vraiment des bad boys, ils ont fait une chanson sur la drogue (“Mr Brownstone”). Brrrr... Mince alors, depuis “Chinese Rocks”, “Dancing With Mister D” et “Heroin”, tout le monde trouvait cela parfaitement ringard mais les Gunners, comme disaient leurs fans, n’étaient pas au courant. On écoute le disque, donc. Les paroles sont évidemment affligeantes (“Ramène-moi danslavilleparadisiaqueoùl’herbeest verteetlesfillesjolies”, au hasard), mais les riffs... Les riffs, hein ? Pas un seul capable de rivaliser avec les plus bourrins (“I Can’t Explain”, “You Really Got Me”, “Louie Louie”), comme les à peine plus sophistiqués (“Gimme Danger”, “Rebel Rebel”, “Search And Destroy”, “Can’t You Hear Me Knocking” ou “Ace Of Spades”). On reste dans le cliché, métaul de base, sidérant de nullité cosmique. Mais le pire arrive : ce truc pénible qui passe pour une voix... Lorsqu’il beugle à peu près normalement, Axlsans-E a une voix non pas formidable mais vaguement potable. Le problème est que, manifestement, il jouit lorsqu’il monte dans des aigus terrifiants : de toute évidence, ce garçon adorait secrètement Rob Halford, le chef en cuir de Judas Priest. Mais il va plus loin encore ; avec lui, c’est un goret qu’on égorge en direct. Quant au guitarhero, qui s’appelle Slash (à quand un Hashtag dans un groupe ?), il se roule dans la saturation métaul habituelle, incapable de sortir un truc digne de Wayne Kramer, Sonic Smith ou James Williamson, même pas d’Angus Young : c’est un boulevard de clichés bien gras encore plus enlaidis par toutes ces pédales d’overdrive. On connaît la suite : Axl-sans-E faisant sa fameuse danse du serpent en micro short et perfecto blanc taille XXXXL, les slows à la Elton John et la melonisation inévitable (sans parler de l’embonpoint)... On ne remerciera jamais assez Kurt Cobain d’avoir définitivement ringardisé tout ça.