Entrer dans Creedence
En moins de quatre ans, voici l’oeuvre considérable qu’ont enfantée John Fogerty et sa bande.
“Creedence Clearwater Revival” (mai 1968)
Créateur de véritables chansons, CCR est tout de même un groupe à albums, format dominant à l’époque. Originaire de San Francisco, il tourne le dos au psyché, lui préférant le rock’n’roll des origines. Cette option salvatrice s’affiche dès le premier 33 tours avec des reprises emblématiques, noires — “I Put A Spell On You” (Screamin’ Jay Hawkins, 1956), “Ninety-Nine And A Half (Won’t Do)” (Wilson Pickett, 1966) — et blanche, “Susie-Q” (de Dale Hawkins, 1957, orthographié de trois manières différentes selon les versions). Malgré une longueur (8 minutes 30) qui sonne comme une concession au goût du jour, “Suzie Q” fait l’objet d’un simple, premier d’une vingtaine de succès patentés.
“Bayou Country” (janvier 1969)
L’extraordinaire talent de John Fogerty pour créer un rock classique sans être académique, déjà perçu grâce à “Porterville” (dernière face des Golliwogs), éclate dans “Bayou Country”, qui inclut “Proud Mary”. Comme la chanson-titre, cette histoire de bateau à aube place l’univers du groupe dans un Mississippi fantasmé. Elle va atteindre l’universalité grâce à d’innombrables versions dont celles de Solomon Burke, Elvis Presley, Ike & Tina Turner... John Fogerty est lui-même un chanteur puissant dont l’une des principales influences est saluée par une interprétation de “Good Golly Miss Molly” (Little Richard, 1958).
“Green River” (août 1969)
CCR enregistre trois albums en 1969. Trois ! Tous d’une richesse stupéfiante. Le deuxième recèle deux immenses réussites, “Bad Moon Rising”, “Green River”, et plusieurs pépites comme “Wrote A Song For Everyone” ou, bientôt repris par Freddie King, “Lodi”. Capté essentiellement en direct dans le studio de Wally Heider, le groupe sonne foncièrement américain, héritier de l’esprit Sun.
“Willy And The Poor Boys” (novembre 1969)
Chaque disque comprend des emprunts. Après “The Night Time Is The Right Time” (d’après Ray Charles, 1958) dans le précédent, CCR se penche sur deux traditionnels appris de Leadbelly, “Cotton Fields” (1947), “The Midnight Special” (1941). Ce n’est pas par manque d’inspiration, les originaux — “Down On The Corner”, “Fortunate Son”, “It Came Out Of The Sky” — étant encore une fois d’un niveau supérieur.
“Cosmo’s Factory” (juillet 1970)
“Travelin’ Band” est conçu et interprété à la manière de Little Richard qui, beau joueur, se fera un plaisir d’adopter le morceau. La dilection de CCR pour les années 1950 l’incite à jouer “Ooby Dooby” (Roy Orbison, 1956) et “My Baby Left Me” (Arthur Crudup, 1950). John Fogerty n’en est pas moins un artiste de son époque : comment ne pas penser à la guerre au Vietnam en écoutant “Who’ll Stop The Rain” ou “Run Through The Jungle” ? Amateur de musique noire, il imprime sa marque à “Before You Accuse Me (Take A Look At Yourself)” (Bo Diddley, 1957) ou “I Heard It Through The Grapevine” (Gladys Knight & The Pips, 1967) alors que “Lookin’ Out My Back Door” souligne son talent pour écrire dans l’esprit country, ce dont se souviendront les Stray Cats, tandis que la modernité de “Up Around The Bend” touchera Hanoï Rocks...
“Pendulum” (décembre 1970)
Pour changer, CCR ne place aucune reprise dans le second album de 1970. John Fogerty renouvelle la métaphore météorologique dans l’une de ses grandes réussites, “Have You Ever Seen The Rain ?”. Ses chansons sont si bien inspirées qu’on les reconnaît dès les premières notes d’introduction. “Hey Tonight” fait partie de ces merveilles, comme l’énergique “Molina”, un pur rock’n’roll. Dans l’ensemble, une utilisation plus généreuse des claviers et des cuivres permet de légères variations du son.
“Mardi Gras” (avril 1972)
Le départ de Tom Fogerty déséquilibre le groupe dont “Mardi Gras” constitue le dernier album. John Fogerty ne signe que trois titres, sans surprise les plus réussis, “Lookin’ For A Reason”, “Someday Never Comes”, “Sweet Hitch-Hiker”. Il chante “Hello Mary Lou” (Ricky Nelson, 1961) en hommage au guitariste de la version originale, James Burton. Obligés de fournir le reste, les deux autres font de leur mieux, réussissant pas trop mal “Tearin’ Up The Country”. Mais on sent bien que la fête est finie...
Trois albums en 1969. Trois !