FREAKSHOW
Ils ont défrayé la chronique, donné des spectacles hors normes, laissé une empreinte dans l’histoire des Eurockéennes.
JAMES BROWN 1992 - PAGE & PLANT 1995/2014 - THE PRODIGY 1998/2009 - IGGY POP 1998/2001/2017 - MARILYN MANSON 1999/2007 - NINE INCH NAILS
2000/2005 - SLIPKNOT 2004/2009 - GOSSIP 2006/2008 - AMY WINEHOUSE 2007 - WU-TANG CLAN 2007 - JOEYSTARR 2007 - LA BANDE ORIGINALE 2008 - LANA DEL REY 2012
Ils ont défrayé la chronique, donné des spectacles hors normes, laissé une empreinte dans l’histoire des Eurockéennes. C’est le propre d’un grand festival que de proposer des moments uniques, et les artistes qui suivent ont réussi ce pari. À commencer par James Brown en 1992, avec sa longue intro qui rappelait les très riches heures de l’Apollo Theatre à Harlem, quand Jaaaaames débarquait après une longue présentation de son MC
Danny Ray et enfilait sa cape de super-héros du funk nucléaire. Sous la pluie battante, le Godfather a aligné les classiques face à un public les pieds solidement enfoncés dans la boue. Le soulman Rufus Thomas étant arrivé en retard, il fut demandé au Parrain s’il voulait bien lui faire une place dans son JB show. Ce qu’il fit, mais le temps d’un unique morceau. Le temps du Parrain est précieux. Pour nombre de festivaliers présents, le show de Jimmy Page
et Robert Plant en 1995 reste un souvenir impérissable, un des (nombreux) moments de grâce offert par les Eurocks. Accompagnés sur scène par des musiciens égyptiens, le guitariste et le chanteur de Led
Zeppelin ont soulevé la foule avec notamment leur version réorchestrée de “Kashmir” aux volutes orientales. Quand Robert Plant est revenu en 2014 défendre sa carrière solo, il n’a pas oublié de faire plaisir en jouant du Led Zep, avec une touche world music en guise de valeur ajoutée.
The Prodigy en 1998 sous le chapiteau, c’était Sodome & Gomorrhe version électronique, un ouragan techno rock mené de main de maitre par Liam Howlett, grand gourou de la punkitude machinale. Sur la lancée de leur tonitruant album “The Fat Of The Land” paru l’année précédente, The Prodigy détruisit une bonne fois pour toute l’idée reçue
que la musique électronique sonnait mieux en studio qu’en live. Avec
“Smack My Bitch Up” et “Firestarter” au répertoire, Liam et ses acolytes ont fièrement défendu leur style, luttant contre les coupures de courant qui hélas interrompirent leur show prématurément. C’est ce qui arrive quand un groupe calibré grande scène se retrouve sous un chapiteau… Du pur punk, on vous dit. En 2009, la machine tourne toujours à plein régime mais une partie de la magie des débuts s’est évaporée, ce qui n’empêcha pas Prodigy de faire un carton avec sa routine “Everybody
sit down… Now get up !!!”, transformant les festivaliers en pogoteurs au coeur de la nuit belfortaine.
Iggy Pop, c’est la magie d’un artiste jusqu’au-boutiste pour qui l’expression “tout donner” est à prendre au sens littéral. Lorsqu’Iggy quitta la scène en 2017 après une heure et quart supersonique, ceux qui le croisèrent eurent l’impression qu’il allait mourir dans quelques secondes : les yeux hagards, la bouche ouverte, soutenu par deux roadies, ne touchant plus terre… À 70 ans, l’iguane ne fait jamais semblant.
Marilyn Manson, deux apparitions, est arrivé la première fois précédé d’une sulfureuse réputation. Ceux qui attendaient un clown hard rock ont compris dès la conférence de presse qu’il donna avant son show qu’ils étaient face à un artiste redoutablement intelligent, et la performance de 1999 a mis tout le monde KO. Tatoué, menaçant, finissant torse nu et muni de longs gants cloutés, Marilyn a scarifié les Eurocks à jamais. Bruit toujours avec Nine Inch Nails, dont le premier passage coïncida avec le succès mondial de l’album “The Fragile”. Trent Reznor hypnotisa la foule avec son mélange subtil de noise rock et de musique
industrielle, accompagné du meilleur groupe qu’il ait jamais assemblé. Là encore, l’artiste a lui-même validé l’assertion selon laquelle le concert de Belfort fut le plus accompli de sa tournée. Renouvellera-t-il l’exploit en 2018 ?
Slipknot et son grand guignol de l’extrême a lui aussi laissé une forte impression aux festivaliers en 2004, en en bonus un paquet de crises d’asthme dues à la tempête de poussière déclenchée par le stampede des fans en délire. Et le bon vieux gimmick “Tous assis jusqu’à ce que je
dise ‘jump the fuck up’” fonctionna aussi bien qu’avec The Prodigy. De quoi stimuler Korn, leurs vieux potes avec qui ils s’étaient tiré la bourre (pour rire) toute l’après-midi, et qui du coup durent faire très fort pour tenir la cadence après les rockers costumés Halloween. Le retour de
Slipknot en 2009 fut tout aussi brutal et théâtral : un batteur démarrant le show avec des doigts d’arbre façon Groot dans “Les Gardiens De La
Galaxie”, des masques de serial killers du troisième millénaire, à Jim Root et sa Gibson Flying V, des fûts métalliques sur l’avant-scène et le slogan “All Hope Is Gone”, titre de leur quatrième album paru quelques mois auparavant. Un Barnum rock plein de bruit, de fureur et de défoulement jubilatoire.
Gossip a été découvert par hasard par l’équipe des Eurocks à Austin lors du festival texan South By Southwest. Fun fact : Beth Ditto a accepté de venir mi mars sur la foi d’une vue aérienne du site alors que la programmation était quasiment bouclée. Mais pas question de passer à côté de ce trio qui a retourné le chapiteau, devenu temple du slam.
Beth, ruisselante de sueur après le gig, a courageusement enchainé en fonçant vers la grande scène, car l’opulente diva ne voulait à aucun prix rater le show pyramidal des Daft Punk.
Amy Winehouse était chez elle aux Eurockéennes, se promenant
backstage avec son mec pour boire un verre au bar ou fumer une cigarette. Son concert marqua au fer rouge tous ceux qui eurent la chance d’y assister. En plus de ses multiples classiques issus du miraculeux album “Back To Black” (“Tears Dry On Their Own”, “Love Is
A Losing Game”, “Rehab”), la trop maigre chanteuse balança quelques reprises épiques comme “Hey Little Rich Girl” des Specials ou le fameux
“Monkey Man” de Toots & The Maytals. Accompagnée d’un band anglais exceptionnel, dans un décor intime avec quelques abat-jours et des drapés en fond de scène, Amy, simplement vêtue d’un jean et d’un tee-shirt sans manches, a ce soir-là conquis la foule, concluant sur un bouleversant “Me And Mr. Jones“. Quatre étés plus tard, le maudit club des 27 accueillait son âme tourmentée, désormais en paix après un trop court passage sur cette planète. Le Wu-Tang Clan, qui débarqua en 2007 quasiment au complet, a laissé des souvenirs impérissables au public… Et aux organisateurs du festival, ravis de les voir arriver, et encore plus de les voir partir. Par précaution, les organisateurs avaient prévu une clause dans le contrat du Wu : si certains des membres les plus importants ne venaient pas,
le cachet du groupe était diminué. Dès le départ, le chaos était au menu. Le Wu, sensé arriver en avion à Bâle, débarqua finalement à Zurich, d’où le tour manager appella l’organisation, s’étonnant de ne voir personne les accueillir. Quand les organisateurs expliquèrent au manager qu’ils allaient devoir attendre un bus venu de Bâle, celui-ci répliqua : “Non, on va plutôt les mettre dans des taxis, en plus deux membres du crew se sont battus dans l’avion donc ça tombe bien,
comme ça ils seront séparés”. Et c’est ainsi que 5 taxis arrivèrent au festival… Où les rappeurs se séparèrent et partirent dans tous les sens. Durant de longues minutes, le personnel technique communiqua à coups de talkies, annonçant la présence d’un rappeur du Wu sur la Plage, d’un autre dans les coulisses, d’un troisième dans les loges… Miracle des Eurocks : le posse au grand complet finit par se rassembler backstage juste avant le concert, qui fut solide. Dès leur sortie de scène, les rappeurs de Staten Island se firent un devoir de remplir le cahier des charges des musiciens rebelles en mettant le pandémonium dans les loges, avec assez d’anecdotes dingos pour écrire un volume de l’Encyclopedia Universalis. Un des programmateurs qui avait arrêté de fumer depuis deux ans a repris suite à cette saga wu-esque. La même année que le Wu, JoeyStarr était de retour, sans Kool Shen mais avec des musiciens du groupe métal Enhancer (qui retrouvaient
NTM l’année suivante pour leur comeback au POP Bercy). Enfin, dans un premier temps, ce sont les musiciens qui débarquèrent. Joey, dans une Mercédès noire en route vers Belfort, annonça qu’il n’allait pas tarder, avant de mettre son portable sur messagerie. On apprit par la suite que la Merco Benz Benz Benz était perdue dans la campagne belfortaine. C’est quand le groupe était déjà sur scène que Joey finit enfin par débouler, descendant en backstage de la berline qui fit crisser ses pneus. Puis le jaguar gorgone se fit installer son micro, changea de tee-shirt et grimpa sur scène en hurlant “Ça va ou quoi ?”. Le spectacle dura finalement 45 minutes au lieu de l’heure prévue suite au retard,
mais avec une énergie telle que le public en sortit rincé et satisfait.
La Bande Originale proposait un projet exclusif aux Eurocks pour l’anniversaire des 20 ans, avec un supergroupe comptant dans ses rangs Cyril Atef, Vincent Segal, Seb Martel, Nosfell et Vincent Taurel, plus un paquet de guests dont Olivia Ruiz, Camille, Arno,
Didier Wampas, Amadou & Mariam et on en oublie. Le répertoire de ce super band : des reprises d’AC/DC, Run-DMC, Les Rita Mitsouko, bref du hard au hip-hop via la pop. Un grand mezze de 15 chansons, de quoi donner des frissons.
Lana Del Rey a valu aux programmateurs les habituelles accusations de vente d’âme au diable (ils ont l’habitude, et le cuir tanné), mais les grincheux ont eu tort une fois de plus, puisque la magie solaire de celle qui lança sa carrière avec le sublime album “Born To Die” était au rendez-vous ce soir de juillet. Et ce malgré une coupure de courant qui lui a permis de se rapprocher de son public et de prouver que derrière la diva 2.0 se cachait une véritable artiste proche de son public.