Rock & Folk

“Regarder la vie des autres me donne le cafard”

- Album “Bon Voyage” (Domino)

Les autres rentraient et je restais bosser. J’avais super peur, j’étais dans un studio au milieu d’une zone industriel­le, avec des junkies qui se piquaient et des trains qui passaient. Mais c’était vraiment un travail hypnotique et très amusant. A la base, le disque devait faire 45 minutes et je pense que ça aurait été trop. Je l’ai pensé comme une espèce de conte moderne. Je voulais qu’il y ait plein de contrastes, qu’il soit heureux et douloureux. Interne et externe, enfantin et mature. Violent et mesuré. J’ai toujours aimé l’esthétique belle et la bête.

R&F : Pouvez-vous nous parler des tâtonnemen­ts survenus avant ces séances en Suède ?

Melody Prochet : Après l’album de 2012, j’avais déjà presque tout un disque avec mon ex-partenaire. J’ai passé un an et demi à essayer de le terminer, pour finalement me rendre compte que ce n’était pas possible. C’était trop douloureux, je n’allais pas pouvoir le défendre sur scène. C’était trop émotionnel, je ne le sentais plus. Ça a été du temps perdu. Par la suite, j’ai cherché d’autres gens avec lesquels j’avais envie de créer. En fait, j’étais dans une sorte de pèlerinage. J’essayais de trouver un environnem­ent plein de douceur, de tendresse, de grâce. Malheureus­ement, j’étais à Paris, pas un endroit qui respire la légèreté. L’Australie avait été une bouffée de légèreté, de fraîcheur, de merveilles qui m’a inspirée tout de suite. Tandis qu’à Paris, plein de choses très lourdes, les attentats notamment, m’ont rendu assez malheureus­e. Pendant un petit moment, je n’ai pas eu envie de faire de musique, je n’ai pas trouvé la grâce.

R&F : Qui est survenue avec la rencontre de ces Suédois ?

Melody Prochet : Un jour, j’ai joué à Angers, au festival Levitation, et on s’est rencontrés. Chacun connaissai­t la musique de l’autre. On s’est regardés, et profondéme­nt reconnus. Du jour au lendemain, je suis partie en Suède, juste pour me retrouver avec eux. Respirer à nouveau, partir. De là sont nées quelques sessions en studio et une envie très forte de faire de la musique ensemble. On s’est lancés. Je suis arrivée là-bas avec zéro morceau, zéro idée, c’était la page blanche. C’était à la fois très fun et laborieux. Effrayant et en même temps fabuleux. Sans savoir où on allait, on s’est fait confiance, alors qu’on ne se connaissai­t pas. R&F : Vous savez jouer de plusieurs instrument­s, vous ne vous êtes pas dit que vous pourriez tout faire toute seule ? Melody Prochet : J’écris tout le temps de la musique, j’enregistre tout le temps sur mon ordinateur. Je pourrais faire des chansons comme ça, les terminer, mais ça ne m’intéresse pas tellement. Ce qui m’intéresse, c’est l’échange, vivre des émotions super fortes. Créer en compagnie de gens avec lesquels il y a un lien profond, que je reconnaîs comme des âmes soeurs. C’est extrêmemen­t rare, unique. Je n’éprouve pas autant de plaisir en faisant de la musique toute seule, il manque une magie, que je trouve dans le partage, les relations humaines.

R&F : Internet et les réseaux sociaux ont-ils joué un rôle néfaste ?

Melody Prochet : C’est le cancer, internet. Quand je lis certaines choses, c’est d’une violence terrible. J’ai une nature sensible, je doute beaucoup, je suis assez anxieuse. Et j’ai lu des choses abominable­s. Je me suis détachée à 80% du téléphone et d’internet. Par ailleurs, je trouve que trop d’informatio­n gâche un peu le rêve. J’aime le mystère. Regarder la vie des autres me donne le cafard. Internet, aussi, peut être un aspirateur à créativité.

Voir des elfes

R&F : Allez-vous refaire des concerts ?

Melody Prochet : Je n’en sais rien du tout. Pour l’instant je n’ai rien de prévu. Il y aurait beaucoup de choses à faire sur scène, mais, aujourd’hui, on ne nous donne pas les moyens pour produire ce genre de performanc­es. Pour faire les choses bien, il faudrait beaucoup d’instrument­s, de musiciens, de répétition­s. Chaque fois que je suis allée tourner aux Etats-Unis c’était merveilleu­x, mais j’ai perdu de l’argent. En fait je perds de l’argent sur tout, alors je préfère arrêter les frais. Pourtant, j’adore ça, la scène.

R&F : Vous avec presque totalement arrêté de chanter en français. Vous vous essayez un peu au suédois, mais l’essentiel est en anglais.

Melody Prochet : L’anglais, j’ai longtemps pensé que c’est parce que j’étais timide. En fait, je me suis aperçue que j’aime beaucoup les langues. Ma mère est hollandais­e, mon père est italien. J’ai vécu dans plein de pays, je parle assez bien anglais. C’est très mélodique une langue. Chaque langue a ses qualités musicales. Le suédois, je trouve ça très poétique et très mystérieux. Quand j’entends dans le métro une conversati­on sans doute très quotidienn­e que je ne comprends pas, j’ai l’impression de voir des petits elfes partout. Ça me fait rêver.

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