Rock & Folk

GARBAGE

En 1998, le groupe de Shirley Manson triomphait avec son deuxième album. L’Ecossaise évoque ici ce rock technoïde devenu vintage.

- Isabelle Chelley

Tête d’affiche

IL Y A 20 ANS, “Version 2.0” annonçait le retour d’un groupe qui avait affolé les esprits et la critique dès ses débuts. Non content d’avoir enchaîné les hits avec sa formule chanteuse-parolière belle à forte tête/ trois producteur­s/ son entre électro et rock, Garbage brouillait encore les pistes, un pied dans le futur, l’autre dans le passé.

Tempes rasées et queue de cheval rouge

On débuterait bien l’interview, mais l’attachée de presse a dit à Shirley Manson qu’on avait un chien. Et la chanteuse de Garbage, tempes rasées et queue de cheval rouge, gilet en moumoute et robe noire, regarde ses photos sur notre téléphone.

“J’adorerais être un chihuahua, dit-elle avec un de ces éclats de rire franc qui ponctuent la conversati­on. Ma chienne est un croisé chihuahua et Jack Russell, elle vit comme une reine.” En attendant une reprise d’ “I Wanna Be Your Dog”, on aborde le sujet qui nous amène à Londres : ce processus de rééditions débuté en 2015. “C’est une idée de notre manager. Ça peut avoir l’air arrogant, mais il estimait qu’on devait ressortir ce disque pour montrer ce qu’on avait fait. Ça a été si bien en tournée qu’on en a fait autant pour ‘Version 2.0’. Ces disques nous ont donné la liberté d’enregistre­r aujourd’hui.” Ses souvenirs de la

création de “Version 2.0” sont glaçants. “On a passé l’hiver à Madison à travailler. Les lacs étaient gelés, on avait de la glace dans les narines en rentrant du studio le soir. Et je me souviens de notre assurance. On sortait d’un premier album au succès énorme. J’avais 30 ans et les mecs du groupe la quarantain­e. Avoir cette chance aussi tard dans une carrière, c’est extraordin­aire.”

On évoque la presse de 1998, ses titres sur la belle et les geeks, la poupée manipulée par les

vieux briscards. “C’est fou comme on a pu me considérer comme un objet. Je voulais qu’on me voie comme une artiste. J’ai écrit autant de choses sur les disques que le groupe, j’avais autant d’idées de production qu’eux... Les mentalités changent lentement. Quand Debbie Harry est arrivée, elle a été une pionnière pour nous toutes. C’est l’archétype de la chanteuse pop moderne qui a pulvérisé tous les murs. J’ai une énorme gratitude envers elle. Il n’y aurait pas de Madonna sans elle. Et sans Madonna pas de Beyoncé. Et sans Beyoncé, où serions-nous ?” conclut-elle en éclatant de rire. En 2017, les Américains ont pu voir les deux pétroleuse­s partager une scène quand Blondie et Garbage ont tourné ensemble. Shirley précise que sa première rencontre avec Debbie Harry remonte à 1984, à Liverpool quand elle jouait avec Goodbye Mr Mackenzie. “Son manager

m’a dit : ‘Je te trouve incroyable, si un jour tu

sors un disque, fais-moi signe.’ Il a cru en moi avant tout le monde, il a changé ma vie. En raison de ce lien, Debbie et moi étions souvent sur les mêmes labels, aux mêmes fêtes. Elle est venue me voir en première partie des Ramones à New York, elle était dans la fosse. La tournée a été fantastiqu­e pour un million de raisons, surtout, parce qu’en tant que femme de 51 ans dans la musique, je suis souvent la plus vieille dans la pièce. Et soudain, je me retrouvais en tournée avec une femme de 71 ans ! C’était très rare d’avoir des représenta­tions de femmes plus âgées dans les médias. Elle montait sur scène tous les soirs avec énergie, sex-appeal, esprit punk, elle reste d’une beauté incroyable. Mon groupe perdait les pédales quand elle leur parlait. Personne n’est aussi cool qu’elle.”

Le plafond de verre

Dans le genre modèle cool, la fille qui débutait “Version 2.0” en annonçant qu’elle était un loup déguisée en mouton n’était pas mal non plus.“C’était une façon de dire, ne me prenez pas pour une fillette parce que je porte une jolie robe, vous ne savez pas qui je suis.” Malgré tout, les années 90 ont été un âge d’or où il faisait bon être une grande gueule plutôt qu’une poupée. “J’ai aimé cette période, mais tout n’était pas idéal. La musique de l’époque me manque. Il y avait une telle liberté pour les femmes. A un certain moment, ma génération s’est dit qu’elle cassait le plafond de verre. Ce n’était pas vrai hélas.” Avant de prendre congé, on lui demande ce qu’elle aurait fait si elle n’avait pas connu le succès avec Garbage. “J’ai longtemps voulu être actrice, mais je n’ai pas pu entrer dans un cours d’art dramatique. J’ai travaillé 5 ans dans une boutique de vêtements avant de réussir à m’échapper dans un groupe. J’ai foutu en l’air ma scolarité. Vraiment. Aujourd’hui encore, mon père me dit :

‘tu aurais dû aller à la fac.’ Je lui réponds : ‘Papa, je suis une rock star, j’ai du succès...’ ”

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