MELODY’S ECHO CHAMBER
La Française Melody Prochet, après quelques atermoiements, sort enfin son nouvel album. Elle raconte ce long cheminement.
AINSI VA LE SHOW BUSINESS DEPUIS L’ANTIQUITE. Certains — Richard Wagner, Kanye West ou Madonna — ont un ego et une assurance en titane, qui leur permet de faire carrière sans laisser paraître la moindre faille. D’autres — Brian Wilson, Marilyn Monroe, ou Francis Bacon — sont au contraire sujets à une certaine fragilité. Melody Prochet, appartiendrait plutôt à la seconde catégorie, celle des papillons que la fameuse roue risque à tout moment de briser. En 2012, la Française sortait sous l’alias Melody’s Echo Chamber, un album à la beauté stupéfiante, une folie psychédélique, pop, rêveuse qu’on pensait impossible au pays de Bérurier Noir et Pleymo. Les esthètes étaient fiers de leur compatriote qui, d’ailleurs, fut immédiatement adorée au-delà des frontières par d’autres amateurs de belles choses, Paul Weller en tête. Dans les mois qui suivirent la parution du disque, on apprit que Melody avait cessé sa collaboration avec son partenaire d’alors, le talentueux Kevin Parker de Tame Impala, qui avait, il est vrai, remarquablement réalisé le disque. C’est à ce momentlà que les choses ont commencé à devenir compliquées. Beaucoup de questionnements, on suppose, pour la chanteuse, qui posta néanmoins un nouveau morceau par-ci, une vidéo d’enregistrement par-là, mais dont l’album ne sortait toujours pas. Du côté des observateurs, sur internet, lourdeur et misogynie étaient de mise. Forcément, la jeune Provençale, ne serait pas capable d’enregistrer un album aussi bon sans son génie australien, oubliant au passage qu’elle a toujours tout composé, fait le conservatoire et sorti avant cela, en 2010, sous le nom de My Bee’s Garden, un album où figuraient déjà quelques chansons remarquables. En juin 2017, on apprenait que la musicienne avait subi un “accident sérieux”, nécessitant une longue hospitalisation et l’annulation des concerts qui étaient prévus pour défendre un album tout juste terminé. Un an plus tard, celui-ci sort enfin. “Bon Voyage” mélange beauté harmonique totale et frottements expérimentaux, instruments acoustiques et travail électronique. Il prouve, surtout, que Melody’s Echo Chamber a eu raison de s’obstiner. Jointe par téléphone aux pays des santons, la trentenaire donne quelques nouvelles :
“Le pire est passé, rassure-t-elle. Reparler de toutes ces choses me tend un peu, ce n’est pas très confortable.”
ROCK&FOLK : L’album a mis presque six ans à se faire. Comment vous sentez-vous ?
Melody Prochet : Assez sereine, heureuse. Je pensais sincèrement que je n’arriverais pas à le terminer, que ça ne sortirait pas. C’était un processus un peu infini. Beaucoup de choses se sont passées dans ma vie personnelle et tout a été un peu compliqué. C’est fantastique qu’il sorte. Je me sens très bien, c’est assez divin que tout soit rentré dans l’ordre. Je me sens dans une bulle assez douce, et c’est pour ça que j’essaie de m’isoler un petit peu, de ne pas trop parler, de prendre de la distance. Le plus important a été fait.
R&F : Ces morceaux ?
Melody Prochet : Tout a été fait entre 2016 et 2017, sur un an et demi. Sauf “Shirim”, qui est plus ancien et qui est quasiment un bonus track pour moi, un pont entre mon passé et ce disque-là.
R&F : Le titre ?
Melody Prochet : Il vient d’un disque traditionnel de jazz suédois, signé Jan Johansson, qui s’appelle “Lycklig Resa”, ce qui veut dire bon
voyage. Un album fantastique, qui m’a beaucoup inspirée et que tous les musiciens suédois connaissent, aiment et qui a bercé mes sessions là-bas. La pochette est sublime, c’est une petite valise avec du point de croix et une locomotive ancienne.
R&F : Oui, car ce sont les membres de Dungen, des Suédois, qui jouent sur le disque.
Melody Prochet : Pas seulement, j’ai fait beaucoup de choses. Reine (Fiske) de Dungen est là. Fredrik Swahn de The Amazing, qui est un groupe parallèle de Dungen, également. On a eu la chance d’avoir Johan (Holmegaard) et Gustav (Estjes) à la batterie, qui sont venus deux ou trois fois en un an et demi. Ce sont de petites apparitions. Mais oui, ce sont des virtuoses, absolument fabuleux.
R&F : Vous tentez énormément de choses dessus, c’est très dense.
Melody Prochet : C’est assez sculptural. Tout le monde se moque de moi quand je dis ça, mais j’ai plus sculpté la matière que composé de la musique, en fait. Il y a eu un travail d’editing considérable, dans lequel je me suis plongée des nuits entières, passées à faire ces espèces de puzzles sonores.