Rock & Folk

ROGER DALTREY

L’homme de Shepherd’s Bush revient avec un nouvel album solo. L’occasion de parler avec lui de Pete Townshend, de classe ouvrière et de vestes à frange, bref, des Who.

- Jonathan Witt

Roger Daltrey se fait rare. Aussi, la moindre occasion de rencontrer le légendaire shouter des Who ne peut décemment se refuser. L’alibi se présente sous la forme d’un nouvel album solo, “As Long As I Have You”, neuvième d’une carrière initiée en 1973 comme un passe-temps et premier sous son seul nom depuis vingt-six ans. Plus étonnant encore, il s’agit d’une belle surprise : la voix est presque intacte, le son idéalement caréné (choeurs, cuivres) et Pete Townshend est même de la partie, griffant quelques accords nerveux. Evidemment, Roger n’a jamais été un prolifique compositeu­r et on lui sait donc gré de ne pas trop s’aventurer sur ce terrain, préférant miser sur une série de reprises choisies avec goût, allant de Garnett Mills à Nick Cave, en passant par Stephen Stills, Dusty Springfiel­d, Stevie Wonder ou Boz Scaggs. Par un joli matin d’avril, on se retrouve donc face à l’homme, chemise immaculée, lunettes fumées et veston noir, assis sur le canapé d’un hôtel cossu de la capitale anglaise, pas très loin de Regent’s Park. Affable et d’une franchise à toute épreuve, Roger Daltrey ne rechigne pas à évoquer le passé. Bien au contraire.

J’étais enfant de choeur

ROCK&FOLK : Pourquoi avoir décidé d’enregistre­r un album solo après tout ce temps ?

Roger Daltrey : Le processus a en fait commencé il y a quatre ans, lorsque j’ai collaboré avec Wilko Johnson sur “Going Back Home”. A cette époque, Wilko faisait face à un cancer, avec un grand courage. Nous avions déjà essayé de faire quelque chose ensemble, mais là nous n’avions plus le choix, car on ne lui donnait qu’un an à vivre. Je l’ai appelé pour lui dire : “Allons y, entrons en studio, jouons de la musique.” Il en a résulté un disque qui a obtenu un certain succès, surtout si l’on considère qu’il était très blues. Je me suis rendu compte qu’il y avait tout un continent musical que les gens ignoraient, car certaines chansons ne passent jamais à la radio. Finalement, le disque lui a en quelque sorte sauvé la vie. Le label nous a demandé d’en faire un second dans la même veine, mais ça ne m’enchantait pas : je ne voyais pas comment nous pouvions faire mieux. Et puis les suites, ça ne marche jamais, c’est bien connu... On m’a donc proposé de faire un album solo, et j’ai eu l’idée de reprendre des titres que nous jouions à l’époque où les Who s’appelaient encore The High Numbers, avant que Pete ne commence à écrire ses propres chansons. J’ai accepté, et ai démarré le travail. On a été interrompu­s parce que Pete voulait lancer la tournée du cinquantiè­me anniversai­re des Who, puis j’ai été freiné par une méningite. J’ai dû passer du temps à l’hôpital et, au final, l’enregistre­ment a été suspendu pendant presque deux ans. Lorsque j’ai tout réécouté, j’ai trouvé que c’était plutôt mauvais ! Mais mon manager a envoyé le matériel à Pete, qui lui l’a trouvé intéressan­t. Il m’a téléphoné pour me dire que je me devais de terminer le boulot et qu’il adorerait participer au projet... Vous savez, pour moi Pete est le meilleur guitariste de tous les temps, le plus original, donc je me suis dit que si il pensait cela, c’est qu’il devait avoir raison. Je suis donc retourné en studio et Pete est venu poser quelques parties de guitare rythmiques, assez inattendue­s dans leur style je dois dire, et tout ça m’a donné l’énergie de finir cette satanée affaire. Aujourd’hui, je suis heureux et j’apprécie ce que nous avons réalisé. Ce n’était pas évident parce qu’habituelle­ment, je n’aime pas ma propre musique, ni même le son de ma voix (rires) ! Sauf qu’ici, la performanc­e générale me paraît vraiment enthousias­mante.

“Ça faisait partie de l’aspect visuel de ‘Tommy’ ”

R&F : La plupart des titres sont des reprises et certaines sont chargées politiquem­ent. Comment les avez-vous choisies ?

Roger Daltrey : Disons que le choix s’est affiné au fil du processus. En fait, ces chansons ne sont pas complèteme­nt à visée politique, le but était juste de dire que nous faisons continuell­ement les mêmes erreurs. La chanson de Stevie Wonder, “You Haven’t Done Nothing”, n’est peut-être pas l’une de ses meilleures, mais je trouve qu’elle rend bien compte de la situation actuelle dans le monde. Nous n’avons plus l’air d’avancer, nous sommes comme coincés dans une faille, comme un disque rayé qui sauterait. “Get On Out The Rain” est un morceau de Parliament. Je l’apprécie, mais je crois que c’est celui que j’aime le moins sur cet album, parce que je préfère chanter des choses qui parlent aux gens plutôt que de leur dire quoi faire. Voilà, le but n’était pas de viser quelqu’un en particulie­r, mais d’évoquer les temps présents : peu de gens semblent heureux avec les gouverneme­nts actuels.

R&F : Vous avez écrit deux chansons pour cet album. Comment vous sont-elles venues ?

Roger Daltrey : C’était il y a bien longtemps. J’ai écrit “Certified Rose” en 2003, en pensant à ma fille. Elle était davantage country, à l’origine. Je n’étais pas censé la chanter, et puis je me suis réveillé un matin, l’an dernier, en me disant qu’elle ferait une bonne chanson soul. Pour “Always Heading Home”, nous l’avons coécrite avec un ami, en 1992 ou 1993. C’est une chanson spirituell­e, mais pas religieuse. Elle me ramène un peu à ma jeunesse, du temps où j’étais enfant de choeur.

R&F : Vous avez dit que cet album était un retour aux débuts des Who. Est-ce que c’est votre période préférée ? Roger Daltrey : C’est vrai que les premiers temps étaient géniaux, parce que j’adorais monter sur scène. J’aimais vraiment ça. C’étaient peut-être nos meilleurs shows. Nous sommes des musiciens, pas des rock stars, et tous les moments passés sur scène avec Pete sont extraordin­aires pour moi.

R&F : A cette époque, vous travaillie­z aussi comme ouvrier métallurgi­ste.

Roger Daltrey : Notre groupe jouait en soirée, même si nous nous produision­s dans des clubs pour ados, des mariages ou même pour des bar mitzvah. Après le lycée, on a enchaîné avec le circuit des pubs, comme tous les groupes qui débutaient. Et à cette époque, effectivem­ent, je bossais dans une usine. Je dirais que la musique m’aidait à me motiver pour tenir toute la journée pendant que je trimais.

R&F : Vous étiez déjà fan de musique soul...

Roger Daltrey : J’ai toujours été fan de soul et de blues. Nous n’étions pas noirs, mais nous étions dans un système de classes sociales en Angleterre. Ce n’est pas aussi brutal ici que ça pouvait l’être aux Etats-Unis, évidemment. Quand tu es en bas de l’échelle là-bas, c’est vraiment le fond du fond. Mais nous comprenion­s le blues, parce que nous étions de la classe ouvrière, et qu’il y avait un parallèle avec le fait d’être noir aux Etats-Unis. Petite anecdote, à l’occasion de l’inaugurati­on d’une statue de Winston Churchill, on m’avait demandé de chanter deux chansons outre-Atlantique, sachant que le public était composé de John Kerry et d’une tripotée d’ambassadeu­rs : la première était “Stand By Me”, et la seconde était une version acoustique de “Won’t Get Fooled Again”. J’en ai donc goupillé une version avec un choeur d’église et, croyez-le ou non, c’était merveilleu­x. Le monde doit savoir que “Won’t Get Fooled Again” peut devenir un magnifique gospel.

R&F : On a lu que vous étiez le seul membre du groupe à ne pas boire ou prendre de drogues. Est-ce vrai ?

Roger Daltrey : Ce n’est pas tout à fait exact. En réalité, je ne prenais pas de drogues dures... Dans les premiers temps, nous buvions beaucoup. J’avais la chance de pouvoir assez bien me contrôler et d’être le seul à pouvoir être à peu près sobre au milieu de trois types qui étaient complèteme­nt plongés dans leurs addictions. Je me devais de l’être et cela m’incombait, car il en fallait bien un. Ce n’était pas toujours facile d’être sur la route avec ces trois gars.

Par ici la monnaie

R&F : Vous êtes en train d’écrire vos mémoires, n’est-ce pas ? Roger Daltrey : Absolument, ils devraient sortir en octobre prochain.

R&F : A ce titre, est-ce que vous vous souvenez du festival Woodstock ?

Roger Daltrey : Je me dois d’être honnête avec vous. Ça va peutêtre vous décevoir mais, vu de l’intérieur, ce n’était qu’un spectacle de plus. La légende est venue bien après. A l’époque, ce n’était qu’un putain de concert, par ici la monnaie ! On était même très heureux d’être le seul groupe à avoir été payé pour jouer à Woodstock. C’est moi qui ai été réclamer l’argent et on m’a répondu que c’était un concert de freaks. Non mais allez vous faire foutre ! Nous avions besoin de cet argent pour rentrer chez nous.

R&F : D’où teniez-vous cette veste à franges devenue iconique ?

Roger Daltrey : Disons que ça faisait plus ou moins partie de l’uniforme du rock. J’avais besoin de porter un vêtement qui laissait ma peau respirer, car j’étais comme consumé de l’intérieur sur scène, je transpirai­s beaucoup. C’était l’époque de “Tommy”, et il me fallait une identité pour ce personnage. Quelqu’un m’a apporté cette veste, sans que je sache d’où il la tenait, et j’ai pensé que ça pouvait participer à créer une image forte que l’on pourrait associer à “Tommy”.

R&F : Vous portiez aussi une énorme croix autour du cou. Y avait-il une raison religieuse à cela ?

Roger Daltrey : Ça faisait aussi partie de l’aspect visuel de “Tommy” parce qu’en ce qui me concerne, je suis plutôt athée. Mais je crois qu’il y a une forme d’énergie supérieure, et que nous faisons tous partie d’un grand ensemble.

R&F : Revenons à des considérat­ions plus terre à terre. Il paraît que vous n’aimiez pas “Who’s Next” à l’époque. Vraiment ?

Roger Daltrey : C’est inexact. Le seul album que je n’ai jamais aimé est “It’s Hard”. Je n’ai pas trop goûté le mixage de “Quadrophen­ia” non plus, je trouvais que ma voix était comme écrasée.

R&F : Et “The Who Sell Out” ?

Roger Daltrey : Ah oui, je l’aime bien celui-là, j’en ai même choisi les morceaux. Pete m’avait soumis au moins vingt chansons, et il était surpris parce que j’avais choisi uniquement les siennes. Je suis très satisfait de ma sélection, et je trouve que le disque tient même mieux la route aujourd’hui qu’à l’époque où il est sorti.

R&F : Vous n’aviez donc même pas placé votre propre titre, “Early Morning Cold Taxi” ? Roger Daltrey : C’était une chanson correcte, mais pas terrible quand même ! En réalité, je suis le plus grand fan de Pete, c’est peutêtre un problème mais c’est la stricte vérité.

Ultime petite histoire

R&F : Y aura-t-il un autre album des Who ?

Roger Daltrey : Qui sait ? Est-ce que je serai encore vivant demain ? Difficile à dire. Si Pete le décide, il y en aura un. Je peux même écrire quelques chansons au besoin. Il est toujours le meilleur selon moi, et je chante encore juste, il n’y a donc pas de raison pour laquelle on devrait s’abstenir.

R&F : Quel est le secret de votre voix ?

Roger Daltrey : J’adore chanter et je ne suis jamais davantage moimême que lorsque je suis sur scène. Tenez, puisque vous êtes français, j’ai une ultime petite histoire pour vous : Johnny Hallyday m’avait demandé d’enregistre­r avec lui, il y a six ou huit ans. Je lui ai dit de m’envoyer des chansons, et lorsque j’ai écouté... c’étaient les morceaux les plus merdiques que j’avais jamais entendus ! Comment pouvait-il aimer ces trucs-là (rires) ? Je lui ai donc répondu que je ne pouvais pas, que ça ne fonctionne­rait pas avec moi. Mais ça aurait été cool de travailler avec lui. Pas forcément parce qu’il était un grand chanteur de rock, mais parce qu’il était une vraie rock star.

“Ce n’était pas toujours facile d’être sur la route avec ces trois gars”

Album “As Long As I Have You” (Polydor/ Universal)

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