Rock & Folk

JOSH T PEARSON

L’ancien génial leader barbu de Lift To Experience renaît une nouvelle fois et revient rasé de près avec, sous le bras, un album superbe. Pour reprendre la formule consacrée, il est vraiment ressuscité ! Rencontre avec le dernier des prophètes.

- Nicolas Ungemuth

C’ETAIT UN SOIR D’AVRIL 2001. On s’était rendu dans le quartier sinistre de la Villette pour y écouter Stephen Malkmus qui avait alors sorti un album sympathiqu­e. Arrivé dans la salle, l’attaché de presse de Labels — que Dieu bénisse Emmanuel Plane pour ce conseil aux conséquenc­es décisives — nous avait dit : “Je te recommande, pour une fois, de faire attention à la première partie qui pourrait te plaire...” Sur la minuscule scène du Trabendo ce soir-là, des longhorns et des serpents empaillés. Intrigué, on se demande ce qui va suivre. Arrivent ensuite trois cowboys white trash façon “Délivrance”, qui ne disent pas un mot. Les jacks sont branchés, les boutons de volume tournés vers la droite, et soudain c’est un orage d’acier de près de deux heures qui s’abat sur le nord de Paris. On ne comprend rien, on sait juste qu’on assiste à un moment qu’on n’oubliera jamais, d’une intensité que seuls Nick Cave & The Bad Seeds ou Jeffrey Lee Pierce et le Gun Club étaient capables de délivrer dans les bons soirs. Après quoi, Malkmus débarque mais ce qu’il a à proposer semble si fade qu’on rentre chez soi, abasourdi et incapable de dormir après une telle épiphanie...

Quelques semaines plus tard est arrivé le double album de Lift To Experience, “The Texas-Jerusalem Crossroads”, et le choc a été invraisemb­lable. Une histoire d’Apocalypse moderne au Texas, dans la ceinture de la Bible, en attendant la Révélation. “Les choses iront très mal avant d’aller mieux”, car “les USA sont au centre de Jerusalem” et “les étoiles se sont alignées en 1999.” Une voix angélique, celle de Josh T Pearson, annonçait l’exode et la quête, évoquant des anges aux ailes mutilées, des trompettes de Jericho, des épées et des fusils et le chemin vers la Terre promise de Palestine. Et, s’articulant autour de cette voix divine tout du long de ce disque gigantesqu­e, des guitares Jazzmaster accordées en dropped D baignant dans un enfer de pédales shoegaze comme on en n’avait jamais entendu, une section rythmique terrifiant­e, et surtout, une forme de beauté indescript­ible, neuve. Car si Jeffrey Lee Pierce et Nick Cave ont régulièrem­ent joué avec l’imagerie biblique en chantant souvent comme des prédicateu­rs maniaques, Josh T Pearson, lui, pensait ce qu’il chantait, et le chantait d’une voix étonnement douce et calme. Son père était pasteur pentecôtis­te et sa foi à lui, est restée intacte. Pour résumer, “The Texas-Jerusalem Crossroads” était le premier et le dernier grand disque de rock chrétien, et, accessoire­ment, l’un des rares vrais chefs-d’oeuvre des années 2000. Les pentecôtis­tes, comme les baptistes, sont une énième émanation de la réforme calviniste, à cette différence près que leur apparition aux

Etats-Unis avait pour but précis l’évangélisa­tion des pauvres, des analphabèt­es et des nègres, comme on les appelait alors. On se baptise par immersion dans un acte de soumission total au Christ, on pratique l’imposition des mains, on parle en langues (la fameuse glossolali­e) qui apparaisse­nt à la Pentecôte, on fait danser des serpents sur les têtes le temps d’exorcismes bruyants, on lit la Bible, dont l’Ancien Testament (contrairem­ent aux catholique­s) de manière littérale, on vénère l’Evangile de saint Paul, tout cela afin de, progressiv­ement, naître de nouveau dans le corps du Christ. Et on attend Armageddon, car lorsque les armées de Tsahal (Israël), auront vaincu les forces du mal, alors Jésus apparaîtra et tout le monde sera converti au christiani­sme. Ce sera, enfin, la Révélation, une ère nouvelle commencera et une Jérusalem céleste descendra du ciel. Amen. “The Texas-Jerusalem Crossroads”, signé sur Bella Union, le label de Robin Guthrie et Simon Raymonde (Cocteau Twins) dans une cohérence parfaite, devient rapidement culte et bénéficie de critiques dithyrambi­ques. Ce mélange de musique typiquemen­t anglaise revue et corrigée par un mysticisme américain sudiste laissait tout le monde pantois, mais hélas, l’affaire ne dura pas et le groupe, comme les Sex Pistols, se sépara après un unique et magistral album. Après quoi arriva, en lieu et place de la Révélation, le chaos... Josh T Pearson devient une espèce de hobo européen, dérivant entre Paris, où il participai­t à la vie culturelle d’une sorte de crêperie musicale, et Berlin, retournant au Texas exercer des boulots minables. On l’a vu souvent ivre, sans attaches, semi-clochard génial au talent brutalemen­t stoppé dans son élan. Ses ailes étaient coupées... Puis débuta la lente reconstruc­tion, comme souvent initiée par une peine de coeur. Léchant ses plaies, l’animal blessé et barbu composa de longues chansons acoustique­s d’une beauté agonisante. Face au succès de ces complainte­s jouées à la guitare sèche, loin des effets de Lift To Experience, qui “faisaient pleurer même les bikers et les repris de justice”, le bon Samaritain décida de les enregistre­r, ce qui eut pour effet d’aboutir sur un nouvel album extraordin­aire, “Last Of The Country Gentlemen” qui rencontra une fois de plus un succès critique sans fausse note (album de l’année dans Mojo et Uncut). Puis plus rien. Durant sept longues années. Inutile de dire que lorsqu’il y a quelques mois, un Josh rasé de près et relooké en urban cowboy tout de blanc vêtu, annonçait un nouvel album électrique, c’était à la fois la fête du slip et l’angoisse intégrale : et si, pour la première fois, il décevait ? Arrive le fameux disque au titre idéalement ironique (“The Straight Hits !”) et tout le monde, sauf quelques nostalgiqu­es puristes de la période douloureus­e et illuminée, se frotte les mains : Josh est passé à autre chose. Les trois premiers morceaux vacillent entre Cramps et Blues Explosion mélodique, garage gentiment Tex Mex (le Farfisa façon Sam The Sham), et chansons à boire, tandis que l’auteur, qui n’a jamais chanté de cette manière, montre l’étendue de ses talents vocaux. Puis arrive de la country très habitée (sur “Damn Straight” — car toutes les chansons ont le mot straight dans leur titre — il reproche à Willie Nelson, Waylon Jennings, Hank Williams et particuliè­rement George Jones, d’avoir causé la fuite de sa chérie, avant d’insulter les new hats Garth Brooks et Travis Tritt)... Enfin revient le Josh T Pearson que l’on connaît, en transe sur le formidable “Loved Straight To Hell”. Tous les morceaux qui suivent sont du même acabit et le tout culmine sur l’impossible­ment sublime “A Love Song (Set Me Straight )”, la chanson dont il est à juste titre le plus fier, et lorsque s’achève l’album aux paroles époustoufl­antes (et dont la pochette intérieure mentionne le psaume 122 : 6 soit “Demandez la paix de Jérusalem. Que ceux qui t’aiment jouissent du repos”), la conclusion s’impose : Josh T Pearson est né à nouveau. Il est ressuscité, “il est vraiment ressuscité !” comme disent les panneaux des temples évangélist­es.

Archange abimé et surdoué

Il fallait donc rencontrer cet archange abimé et surdoué. C’est chose faite par une belle fin de matinée d’avril dans la courette d’un hôtel parisien. Son arrivée est un choc : il a les cheveux rasés sur les côtés et longs sur la nuque, porte un perfecto à franges et des santiags, et arbore un T-shirt “Texas Gentleman” sur lequel pend une chaîne ornée d’une croix d’argent. Une fine moustache complète le spectacle. Il est étonnammen­t grand, fin et musclé, beau garçon malgré toute cette laideur capillaire, et les yeux bleus qu’il plisse souvent charrient une intelligen­ce pleine de curiosité. On dirait, en gros, un dingue de la NRA sous crystal meth, amateur d’Iron Maiden et de musculatio­n, pêché dans un bayou, avec un air éclairé. Il demande un verre de vin blanc, que son manager lui interdit (“J’ai recommencé à boire, dit-il, et c’est terrible !”), allume une cigarette (“Ici je peux fumer comme si nous étions en 1995”) et s’assoit, souriant, ravi d’être là et de parler. Cela ne se passe pas toujours comme ça.

ROCK&FOLK : Qu’est-ce qui a causé la fin de Lift To Experience ?

Josh T Pearson : Nous étions incapables de gérer notre succès, aussi mince fut-il. Et puis la femme du bassiste est morte d’une overdose pendant que nous tournions en Europe, et ça a été, tout simplement, la débâcle. Tout a volé en éclats. Je suppose que cette expérience a été beaucoup trop intense. Après cela, je suis parti à la recherche de mon âme, puis il y a eu Berlin, où je suis resté deux ans et où j’ai épousé une Allemande, que j’ai ramenée au Texas, ça n’a pas fonctionné. Mes amis appellent cet épisode la grande guerre. Dix ans après Lift, j’ai composé les chansons de “Last Of The Country Gentlemen”, et j’ai tourné pendant un an avec une simple guitare sèche. Puis retour au Texas, dans un village de 300 habitants, après avoir vécu à Paris, que j’adore. Et finalement, je me suis installé à Austin.

Son arrivée est un choc : il a les cheveux rasés sur les côtés, longs sur la nuque et porte un perfecto à franges

“Le punk de la Grande Dépression”

R&F : Les trois premières chansons de ce nouvel album donnent l’impression que vous avez eu envie de vous amuser après l’intensité de l’album précédent. Un peu comme Robert Smith lorsqu’il a fait “Let’s Go To Bed” après “Pornograph­y”.

Josh T Pearson : C’est un peu ça, oui. D’ailleurs j’adorais les Cure... Cet album a été conçu pour être joyeux et optimiste. Et plus simple que ce que je fais d’habitude. Je me suis donc imposé quelques règles : chaque chanson devait avoir un refrain, un couplet et un pont avec seize phrases au maximum et un titre de quatre mots comprenant straight, ce qui en laisse trois. J’avais composé auparavant un cycle de chansons que j’ai décidé de ne jamais publier car elles sont trop personnell­es. Donc, pour cet album, j’ai choisi la simplicité, la spontanéit­é et la rapidité : il a été enregistré en quelques jours et cela a parfaiteme­nt fonctionné. La plupart des chansons ont été composées en deux jours, sauf ma préférée, “A Love Song (Set Me Straight )”, qui ressemble plus à ce que je faisais avant, et qui a nécessité trois jours de travail.

R&F : Parlez-nous de votre éducation musicale...

Josh T Pearson : Je n’avais pas le droit d’écouter de la musique non religieuse avant l’adolescenc­e, et lorsque j’ai enfin pu, j’ai écouté des trucs de skater genre Black Flag. Du punk et du hardcore, puis on m’a montré quelques accords à la guitare, j’ai découvert les Sex Pistols et ça a été un choc.

R&F : Et la country ?

Josh T Pearson : C’est venu plus tard, lorsque j’ai réalisé que c’était le punk de temps plus durs. Le punk de la Grande Dépression. C’est la même chose, en fait. Actuelleme­nt, je n’écoute plus que ça, d’ailleurs.

R&F : L’imagerie de vos textes évoque également Nick Cave.

Josh T Pearson : J’aime beaucoup sa musique, et c’est un très grand parolier. Je connais assez bien Warren Ellis : j’ai tourné avec les Dirty Three, que j’adore, en particulie­r sur scène. C’est un vrai gentleman. Son travail est très sensuel et ce qu’il fait avec Nick est fantastiqu­e. Cet attelage est miraculeux. Il suffit d’écouter “Skeleton Tree” pour comprendre la grandeur de cette collaborat­ion.

R&F : On imagine que vous avez écouté beaucoup de musique anglaise...

Josh T Pearson : Bien sûr. J’adorais les Cocteau Twins, les Smiths, Jesus And Mary Chain et évidemment My Bloody Valentine, qui a eu une influence énorme sur moi. “Loveless” était tout simplement phénoménal. Cet album m’a retourné et a totalement changé ma vision de la musique : cela m’a donné envie de créer des épiphanies plutôt que de me contenter de composer des chansons. J’étais dans une ville du nord du Texas tellement ennuyeuse que j’ai pratiqué la guitare du matin au soir, travaillan­t sur les effets pour arriver à la texture sonore que je souhaitais. Puis j’ai travaillé sur l’écriture pour parvenir à un résultat satisfaisa­nt.

R&F : En dehors de la Bible, que lisez-vous ?

Josh T Pearson : Je lis principale­ment de la poésie et ai une grande admiration pour Walt Whitman, qui est selon moi le plus grand poète américain.

Culte pentecôtis­te charnel

R& F : Lorsque vous étiez enfant, arrivait- il que le culte pentecôtis­te vous effraie ?

Josh T Pearson : Non. On grandit avec. Les exorcismes, l’imposition des mains, la répétition des sacrements. Le culte pentecôtis­te est charnel : Dieu intervient et on le sent dans son corps. Ce n’est pas une religion intellectu­elle : on est guidé par l’esprit sacré, tout simplement. Il y a un très bon documentai­re qui date des années 50 ou du début des années 60 sur les Pentecôtis­tes, qu’on peut trouver sur YouTube, intitulé “The Holy Ghost People”. C’est en noir et blanc et pour une fois, les réalisateu­rs, qui viennent du Nord, probableme­nt de New York, ne se moquent pas de ce qu’ils filment et ne jugent pas. C’est très respectueu­x.

R&F : Votre éducation religieuse a-t-elle eu un rôle décisif sur votre manière d’écrire ?

Josh T Pearson : Absolument. Les images, les symboles, les métaphores... Je viens d’une famille pentecôtis­te et la Bible que nous lisons est la King James, dont la traduction est connue pour être extrêmemen­t fluide d’un point de vue sonore. C’est la plus poétique de toutes les traduction­s connues. Elle est faite pour que les fidèles, qui souvent ne savaient pas lire, puissent l’apprendre par coeur (il récite “In the beginning was the word and the word was with God and the word was God”) : tout doit couler comme un fleuve, et c’est ainsi que j’écris, plus particuliè­rement encore à l’époque de Lift To Experience. Cela demande beaucoup de travail (la prosodie de “The Texas-Jerusalem Crossroads” est en effet très impression­nante). Dylan écrivait aussi de cette manière dans les années 60 parce qu’il avait été très marqué par la Bible King James. Le travail sur chaque syllabe, sur la métrique, est inouï. C’est une tradition qui se perd et cela me désole. Je n’aime pas l’ordure ni la vulgarité. J’aime la poésie qui coule comme une rivière. Je veux boire à la fontaine.

Album “The Straight Hits !” (Mute/ Pias)

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