The Rolling Stones
Avant son passage dans la cité phocéenne, réflexion au sujet du plus grand groupe au monde. Comment se porte cette petite formation de blues devenue empire ?
Les Rolling Stones, aujourd’hui ? Un groupe expérimental. Pas via leur musique, mais à travers leur trajectoire et mode de vie. Aucune formation n’a tenu ainsi plus de 55 ans : sous nos yeux, en direct, jour après jour, nous suivons cette expérience — comment un groupe, l’incarnation même du rock, prend des rides ; comment Keith et Mick, 75 ans, survivent à leur propre paradoxe : quand ils ont débuté, quand ils ont défriché et inventé, le rock était synonyme de jeunesse. Fougue, arrogance, inconscience, subversion, c’est fini pour eux. Que reste-t-il alors sans ces éléments substantiels, qui ont fait du rock ce qui est arrivé de mieux à l’humanité au milieu du vingtième siècle ?
Formés en 1962, The Rolling Stones sont donc, extraordinairement, toujours en activité. Le groupe a traversé toutes les époques, survécu à toutes les modes. Scoop : sa longévité, persévérance et vitalité n’est pas qu’une affaire de business. Jagger, Richards et Watts auraient pu il y a belle lurette tout stopper, disques et concerts, pour vivre pleinement leur retraite de milliardaires. Mais non : les Pierres Roulent toujours — même si la bande de septuagénaires faisant la tournée des stades n’a plus grand chose à voir avec les sauvageons qui balançaient “Play With Fire”. Rebelles des sixties, trop contents de jouer aux méchants face aux Beatles, les Stones se retrouvent en 1970, suite au split des Fab Four, “le plus grand
groupe au monde”. Pour joindre les actes à l’étiquette, les Anglais débutent cette nouvelle décennie par “Sticky Fingers”. Keith Richards et Mick Jagger, 27 ans chacun, n’ont pas décidé, la concurrence éliminée, de calmer le jeu : les Stones sont ici au pinacle de leur bacchanale. “Sticky Fingers”, avec la pochettebraguette de Warhol, est un sommet de dépravation rock’n’roll, le guide de la défonce et du sexe. “Dead Flowers” : l’histoire d’un type qui, humilié par une snob, s’offre un bon petit shoot. “Brown Sugar” fait une analogie entre l’héro et l’esclavagisme sexuel. Quel rapport avec l’arrière-grand-père Sir Mick Jagger, aujourd’hui nommé Chevalier par le prince Charles, châtelain du castel de Fourchette ? Avec le Keith Richards qui cabotine dans “Pirates Des Caraïbes”, film Disney ? En apparence, rien à voir. Sauf que 1971 marque les débuts de Stones en route vers l’industriel. Ils fuient l’Angleterre pour cause d’impôts trop lourds, se marient (à Saint-Trop’), ont des enfants. Finie l’insouciance du temps présent, il faut penser aux points retraite, épargner, solidifier la marque RS. OK, il y a les drogues et parties fines, mais 1971, c’est l’année où le groupe quitte Decca pour créer son propre label, Rolling Stones Records, et se dote d’un truc tout nouveau : un logo. Génie marketing : à tout jamais, par delà les rides et l’arthrose, les Stones, ce sera cette langue obscène, ces lèvres rouges — l’incarnation d’un rock’n’roll rebelle et sexy, fun et provoc’. Le logo n’a pas vieilli. Contrairement aux Stones. Et à leur musique, plus aussi foudroyante. Pour les plus intransigeants (ou lucides), c’est la débandade après “Exile On Main St”. Pour les moins sectaires, il y a d’excellentes choses jusqu’à “Tattoo You”. Pour les inconditionnels, les Stones resteront toujours les Stones, alors qu’importe des albums de plus en plus négligeables : des miracles sont toujours possibles, plusieurs sursauts réjouissants ponctuant les quinze albums sortis à partir de 1971. Et puis pourquoi le plus grand groupe au monde n’aurait pas le droit d’enregistrer ce qu’il veut : c’est de toute façon toujours ça de pris.
Jagger, Richards et Watts auraient pu, il y a belle lurette, tout stopper, disques et concerts, pour vivre pleinement leur retraite de milliardaires. Mais non : les Pierres Roulent toujours